Ce fleuron français de la construction navale est plutôt discret. La nature des activités du groupe, impliqué dans la défense, reste en grand partie confidentielle et donc méconnue du grand public. Après la crise des sous-marins survenue en septembre dernier, à la suite de la rupture soudaine par l’Australie d’un contrat de commande de douze sous-marins, Naval Group a tourné la page et multiplie les contrats à l’international. Présent au quatre coins du monde, il est particulièrement bien implanté dans le Sud de la France avec trois sites : Toulon, Saint-Tropez et Ollioules. Chacun développe un pan de l’activité du groupe : Toulon est spécialisé dans l’entretien et la réparation des navires ou sous-marins, tandis que le site de St Tropez est entièrement dédié à l’étude, la conception, la réalisation et la maintenance des systèmes d’armes sous-marines et des systèmes associés. Ollioules, enfin, où Naval group est implanté depuis 2016, est le site de référence pour le développement des technologies de pointe sur le numérique pour équiper navires et sous-marins. Didier Gilavert, directeur du site, nous détaille les activités du groupe sur ce site et fait le point sur la situation économique de l’entreprise.
Naval Group dispose de 10 sites en France, dont trois dans le Sud de la France. Quelle est la spécificité d’Ollioules ?
Didier Gilavert : Le site d’Ollioules, pour sa part est spécialisé dans les systèmes de missions et de combat embarqués. Concrètement, notre rôle porte sur deux fonctions principales : concevoir, développer puis intégrer les équipements qui vont permettre le fonctionnement et le pilotage du navire. Puis des systèmes pour la partie armée du navire avec notamment des « capteurs », c’est-à-dire les équipements qui permettent de définir un théâtre tactique (radars, sonar) dans lequel le bâtiment évolue. D’autre part, les armes qui permettent de réagir en cas d’attaque, qu’on qualifie d’ « effecteurs » : torpilles, missiles, canons etc. Ces équipements peuvent être fabriqués par d’autres groupes comme Thalès, MBDA… et notre rôle est alors de les intégrer à nos bâtiments, mais certains sont conçus directement sur le site de Naval Group à St-Tropez, comme les torpilles.
Nous fabriquons toutes les structures informatiques qui vont relier les capteurs et les effecteurs. C’est ce que l’on appelle les systèmes de management de combat. Les trois sites du Sud représentent en tout 5 000 emplois, ce qui fait de Naval Group le premier employeur privé du Var.
Concrètement, comment intégrez-vous les systèmes de mission et de combat embarqués sur un bâtiment ?
D.G : Il s’agit principalement de lignes de codage. 85% de nos employés sont des ingénieurs. Nous recevons la data qui provient des différents capteurs et nous la travaillons pour créer une représentation graphique. Une fois les outils numériques développés, nous les intégrons à des consoles, installées ensuite à bord du bâtiment. L’objectif est d’apporter au commandant de bord toutes les informations dont il a besoin pour prendre des décisions. Nous pouvons aussi prodiguer des formations aux marines, pour assurer une bonne utilisation des outils. Il faut comprendre qu’il s’agit d’un des systèmes numériques les plus complexes au monde.
Nous pouvons aussi avoir recours à la réalité virtuelle et à la réalité augmentée. Nous projetons une sorte de jumeau numérique du bâtiment situé à Lorient, à l’échelle, ce qui nous permet de travailler en quasi-réel sur l’intégration des équipements à bord du bâtiment, avant même qu’il ne soit assemblé.
De même, nous avons aussi la possibilité de recréer virtuellement des environnements situés à bord du navire ou du sous-marin, et évoluer à l’intérieur grâce à des lunettes de réalité virtuelle. Ce type d’outil a vocation à nous permettre de tester les équipements. Cette technologie se retrouve sur tous les sites de Naval Group et nous sommes amenés à l’utiliser à Ollioules. Enfin, nous assurons l’entretien des systèmes, comme la mise à jour des logiciels. Nous intervenons pendant toute la durée de vie du bateau.
Cette utilisation accrue du numérique ne génère-t-elle pas un risque en matière de cybersécurité ?
D.G : Si, la cybersécurité est un enjeu clé et un domaine dans lequel nous recrutons énormément. Le sujet jaillit aujourd’hui au grand public mais nous travaillons dessus depuis longtemps déjà. C’est une activité pleinement intégrée depuis dix ans. Ce qui est nouveau est l’ampleur que cela prend et la diversification des menaces. Ces menaces peuvent provenir d’autres Etats ou du grand banditisme. Nous devons donc protéger aussi bien nos infrastructures propres que celles de nos clients. Nous avons notamment constitué un CERT (Computer Emergency Response Team) pour détecter et contrer les menaces.
Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur l’activité du groupe ?
D.G : Comme de nombreuses entreprises, nous avons été touchés par cette crise. Il faut distinguer deux périodes : l’année 2020, avec le premier confinement qui a été très brutal sur le plan économique. Nous avons néanmoins réussi à rattraper notre retard et à honorer nos commandes. Nous avons adapté nos outils pour permettre à nos collaborateurs de télétravailler.
En 2020, nous avons réalisé un chiffre d’affaires d’un peu plus de trois milliards d’euros sur l’ensemble du groupe, ce qui n’était pas tout à fait à la hauteur de nos objectifs. Nous sommes en train de clôturer les comptes pour 2021.
En septembre dernier, l’Australie rompait son contrat avec la France pour la création de 12 sous-marins, conçus par Naval Group. Comment vous êtes-vous relevés de cette épreuve ?
D.G : Nous nous sommes relevés car nous sommes une entreprise résiliente. Bien sûr, nous ne nous attendions pas à cette annulation : lorsqu’on a des équipes aussi passionnées que les nôtres, il y a forcément une certaine frustration à ne pas aller au bout du travail. Malgré tout, les Etats restent souverains dans leur décision.
Dans le sud, nous avons moins été impactés que les autres sites. Toulon n’était pas directement concerné, et les systèmes de combat avaient été attribués à un concurrent américain. Notre travail, sur le site d’Ollioules, aurait consisté à assurer la compatibilité de nos bâtiments avec les systèmes de combat américains. Sur notre site, l’annulation concerne une cinquantaine de personnes sur 1 500 au total, et principalement à des postes d’ingénieurs. Ils ont pu donc être réaffectés à d’autres programmes.
« Sur la rupture du contrat australien, les tranches réalisées par Naval Group vont être payées, il n’y a donc pas de travail perdu »
Didier Gilavert, directeur du site d’Ollioules de Naval Group
Bien sûr, il y a des conséquences économiques sur le groupe : cependant, le contrat étant découpé en tranches, l’Australie nous a payé pour les tranches réalisées. Qui plus est, nous n’en étions qu’à la phase d’étude, pas encore en phase de réalisation. Les clauses stipulaient qu’il était possible de mettre fin au contrat à l’issue d’une tranche. Le travail n’est donc pas perdu, mais nous n’obtiendrons pas le montant total du contrat pour la partie qui concerne Naval Group, que nous ne pouvons pas communiquer. La somme de 50 milliards de dollars australiens (environ 38 milliards d’euros), évoquée à maintes reprises dans la presse, ne concerne pas que Naval Group mais aussi toutes les autres entreprises parties prenantes au contrat.
Naval Group négocie également un contrat avec la Grèce pour la fabrication de frégates de défense et d’intervention (FDI). En quoi le site d’Ollioules est-il impliqué dans ce projet ?
D.G : C’est un bon exemple de l’intégration du site d’Ollioules au sein de Naval Group. Ces FDI sont des bâtiments neufs de nouvelle génération. La première des FDI est destinée dans un premier temps à la marine française. Nous développons et validons actuellement tous les systèmes de captation des informations sur une version grandeur nature des installations, déployée sur le site de Saint-Mandrier, près d’Ollioules. Nous contrôlons toute la partie qui correspond au système de management et de combat, du choix des systèmes intégrés à leur déploiement au sein du navire pour relier les capteurs et les détecteurs. Il s’agit d’un des systèmes numériques les plus complexes au monde.
Cette frégate est la première d’une série de cinq navires en tout, destinés à la Marine française qui seront livrés entre 2024 et 2030, et la Grèce en a commandé trois autres. Le contrat est en phase finale de signature. Mais les exigences de la marine grecque ne sont cependant pas les mêmes que celles de la marine française : il faudra procéder à des adaptations en fonction de leurs souhaits. Le site d’Ollioules est donc très impliqué.
Vous ne craignez pas le même scénario avec la Grèce que pour le contrat australien ?
D.G : Absolument pas. Le contrat qui va être signé avec la Grèce n’est pas aussi complexe que l’Australien. Ce dernier comprenait à la fois l’achat de sous-marins mais aussi et surtout une souveraineté que l’Australie s’achetait avec contrat sur 50 ans. Le contrat grec est un peu plus classique.
Quels sont les autres projets en cours sur le site d’Ollioules ?
D.G : Ollioules est sollicité sur l’entretien des systèmes de mission et de combat embarqués du porte-avions Charles de Gaulle. Mais nous travaillons aussi sur le chantier du deuxième porte-avion, qui a vocation à épauler le Charles de Gaulle et, à terme, à le remplacer. Ollioules est impliqué sur les phases d’études démarrées au sein de Naval Group et les réseaux intégrés à bord. Le chantier va se poursuivre pour plusieurs années.
Parmi les programmes en cours, nous avons aussi un contrat avec les marines belges et hollandaises pour la lutte antimines, avec la construction de bâtiments servant à effectuer des opérations de déminage en mer. Ce programme est réellement en phase de construction et nous développons actuellement les futurs systèmes. C’est une première génération de bâtiments où nous allons faire appel à des systèmes autonomes, typiquement des drones.
Nous avons également des contrats avec la marine argentine pour la fabrication de quatre corvettes, mais aussi avec le Brésil et la marine indienne pour des sous-marins.
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