Jean-Michel Bérenger est entomologiste à l’IHU Méditerranée Infection et responsable d’un insectarium. Passionné par les insectes, il crée en 2010 le service d’entomologie médicale à l’hôpital d’Aix-en-Provence puis a rejoint l’insectarium de l’IHU Méditerranée Infection de La Timone, à Marseille.
Gomet’ Qu’est-ce qu’une punaise de lit ? Jean-Michel Bérenger : Ce qui différencie une punaise des autres insectes, c’est le rostre avec lequel elle pique des végétaux ou d’autres insectes. La punaise de lit, contrairement aux autres punaises, est hématophage : elle se nourrit de sang. On en distingue deux espèces : Cimex lectularius que l’on trouve dans nos climats et dont on parle beaucoup ces temps-ci, et Cimex hemipterus, qui vit en milieu tropical mais qui est également arrivée à Marseille en 2015 et 2017. Les deux vivent à nos dépens.
Depuis quand existe-t-elle ? J.-M. B. Les punaises de lit existent depuis des milliers d’années : on a découvert leur présence dans certaines tombes égyptiennes datant de 3550 ans. Les hôtes originels des punaises de lit étaient les chauves-souris avec lesquelles elles vivaient dans les grottes. Lorsque les premiers hommes se sont installés à l’entrée de ces cavernes, elles sont passées sur les humains. Cimex lectularius a pourtant disparu de la vie quotidienne dans les années 50, grâce à une nette amélioration de l’hygiène de notre habitat et à une augmentation du niveau social et économique mais s’est maintenue dans les pays pauvres. Après la guerre, l’utilisation de l’insecticide DDT a certainement bloqué l’expansion des punaises de lit. Puis, le DDT a été interdit. Depuis les années 90, une recrudescence mondiale est observée : Amérique du Nord, Europe, Australie, Nouvelle-Zélande. Des infestations de bâtiments entiers sont décrites. A New-York en 2009, on a assisté à une flambée épidémique.
En France, quelle est la situation ? J.-M. B. La répartition couvre tous les départements de la métropole, avec des pics de densité dans les grandes villes. Ce sont des insectes majoritairement urbains. En 2015, 87% des services communaux d’hygiène et de santé (SCHS) ont déjà été sollicités pour des punaises de lit. Le nombre de sollicitations augmente également ces cinq dernières années, selon ces services.
L’entomologiste élève et étudie les punaises de lit. Photo : C.A.
Et sur le territoire d’Aix Marseille ? J.-M. B. Il n’y en a pas plus qu’ailleurs. J’ai commencé en 2008 à travailler à Aix. Il y en avait déjà beaucoup. A Marseille, la recrudescence a mis plus de temps. En 2011, nous intervenions sur quelques cas isolés. Mais ces derniers temps, le problème explose.
Comment expliquer cette prolifération ? J.-M. B. Elle peut tout d’abord s’expliquer par leur mode de reproduction : le mâle insémine la femelle, qui « stocke » le sperme dans une zone de son abdomen. Une fois fécondée, la femelle peut pondre 5 œufs par jour et entre 200 et 300 œufs tout au long de sa vie. Donc, une femelle fécondée qui arrive dans un logement en janvier donnera une population en juin de plus 30 000 individus. La punaise ne saute ni ne vole. L’homme transporte donc la punaise à l’occasion de voyages, de déménagements, d’introduction dans son domicile de vieux meubles, livres ou objets d’occasion. Et plus le nombre de personnes hébergées est grand, plus le risque d’introduction de punaises de lit est grand : hôtels, maisons de retraite, trains de nuit, auberges de jeunesse, hôpitaux, foyers, prisons… J’ai même aidé à traiter de grands palaces : un niveau social élevé n’est pas un gage de non-contamination.
Quel rôle avez-vous joué dans l’infestation à La Timone ? J.-M. B. Quand ce problème d’infestation a commencé au début du mois de janvier, l’hôpital a agit seul, dans la panique. Une infirmière a été piquée, les soignants ont vu les insectes. Ils ont rapidement fermé tout le service. Mais en début d’infestation, si l’on agit vite, le problème peut être réglé très rapidement. D’ailleurs à La Timone, deux interventions de désinsectisation ont été nécessaires seulement. Les punaises de lit, il y en aura tout le temps et partout. Il faut savoir comment réagir. Nous avons donc monté une procédure avec le Clin, le comité de lutte contre les infections nosocomiales. A chaque insecte suspect, ils me l’envoient et l’on prend des mesures. La semaine dernière, l’Institut Paoli-Calmettes m’a appelé car ils ont trouvé deux punaises sur un patient. Ils ont suivi mes recommandations : déshabiller le patient, mettre toutes ses affaires dans des sacs poubelle étanches, les laver à 60 degrés, faire prendre une douche au patient. Et la société de désinsectisation est passée le lendemain. Le but, c’est d’éradiquer l’infestation au plus vite et que ça n’ait pas le temps de se répandre. Mais il faut la fixer et éviter de fuir les lieux, sinon l’infestation se propage.
Les déjections des punaises de lit prennent la forme d’un amas de tâches noires et sont utiles pour repérer leurs nids. Photo : J.M. Bérenger
Que se passe-t-il à la Belle de Mai ? J.-M. B. La Belle de Mai, quartier populaire de Marseille, connaît également une infestation. Le problème, c’est que parfois, les gens n’ont pas les moyens de payer un désinsectiseur. Alors, ils jettent les matelas dans la rue, traitent avec des bombes achetées dans le commerce et l’infestation se propage. Les services de la mairie auraient dû guider la population mais ils n’ont pas les moyens financiers et humains.
Comment les repérer ? J.-M. B. Les punaises sont surtout actives la nuit, elles fuient la lumière, ce qui ne facilite pas leur découverte. En plus, leurs nids sont généralement difficiles d’accès : fentes de bois, cordons de matelas, structures de lit, cadres de tableau, tringles à rideau, etc. Pendant le premier mois de la contamination, les nuisances sont peu perçues par les habitants. Mais lorsque les insectes sont repérés, l’infestation est souvent très importante et la lutte plus difficile. On les repère souvent grâce à leurs déjections, du sang digéré, qui prennent la forme de petites tâches noires et qui contiennent des phéromones qui leur servent à se guider pour regagner leur cachette après un repas.
Sont-elles vectrices de maladies ? J.-M. B. Les punaises de lit sont sources de troubles psychologiques phobiques variés voire aussi d’anémie en cas d’infestation sévère. Elles sont principalement connues pour les atteintes dermatologiques et allergiques qu’elles occasionnent allant de la simple piqûre à des manifestations généralisées pouvant s’apparenter à une urticaire. Le risque de transmission d’agents pathogènes a été évoqué mais à ce jour, la punaise de lit n’a jamais démontré cette capacité.
Comment s’en débarrasser ? J.-M. B. Il faut d’abord établir le diagnostic, le plus rapidement possible, et estimer le niveau d’infestation. Ensuite, une lutte mécanique s’impose : désencombrer au maximum pour limiter les cachettes, passer l’aspirateur puis un appareil à vapeur car les punaises meurent à partir d’environ 55 degrés, enfermer le linge dans des sacs hermétiques et le laver à chaud, ou congeler trois jours, car elles craignent également le froid. Ensuite, l’idéal est de faire appel à un désinsectiseur.
La punaise de lit est un insecte piqueur suceur. Photo : J.M. Bérenger
On parle souvent de résistances aux insecticides. Qu’en est-il ? J.-M. B. Oui, car le mâle ne distingue pas une femelle d’un mâle. Il lui arrive donc de « féconder » d’autres mâles. Un mâle peut ensemencer une femelle avec du sperme de plusieurs mâles. Cela favorise la transmission du gène de résistance aux insecticides. Si une génération 1 montre deux individus résistants, la génération 2 en montrera 6. Le problème des bombes vendues en supermarchés, c’est qu’elles favorisent la sélection d’individus résistants. Un traitement chimique doit être effectué par un professionnel et doit prévoir au moins deux passages, car les œufs résistent au traitement et il faut donc attendre qu’ils aient éclos.
D’autres moyens de lutte sont-ils proposés ? J.-M. B. Aux Etats-Unis, des solutions mécaniques professionnelles sont davantage développées car les punaises sont quasiment toutes résistantes aux insecticides. Ces méthodes reposent sur la destruction par la chaleur ou par le froid. Le but est de monter ou descendre très vite en température, pour que les punaises n’aient pas le temps d’émettre des « heat shock proteins », qui les protègent du froid et du chaud, ou de fuir. Mais en France, très peu de désinsectiseurs sont formés et équipés. Pourtant, c’est l’avenir. Les insecticides sont toxiques et contraints par les normes européennes. La lutte mécanique fonctionne très bien et un jour ou l’autre nous n’aurons plus de choix. C’est pour cela que je forme au maximum les désinsectiseurs aux méthodes naturelles : froid, chaud et dioxyde de silicium, ou terre de diatomée.
La punaise de lit est-il un nouveau marché économique ? J.-M. B. Oui. Il existe une demande tellement croissante que de nombreux produits arrivent sur le marché mais il faut s’en méfier. Les sociétés de désinsectisation explosent. Un désinsectiseur prévoit normalement 3 passages, 2 pour les faibles infestations et propose un suivi. Il procède à une inspection du logement, recherche l’origine de l’infestation et propose une intervention allant dans une fourchette de prix entre 300 et 450€. Le problème, c’est que l’obtention du Certibiocide et donc la possibilité de créer une société de désinsectisation demande quatre jours de formation. C’est clairement insuffisant.
Photo : Ecoflair
Eco-Flair, la société de détection canine des punaises de lit Dressés à détecter les phéromones émises par les punaises de lit, les interventions des chiens renifleurs sont capables de les localiser très précisément, à tous les cycles de sa vie, de l’œuf à l’âge adulte. Basée à Toulouse, l’entreprise créée en 2011 et qui compte sept chiens et six personnes à son effectif, se déplace dans toute la France chez les professionnels que chez les particuliers. A La Timone, ce sont les chiens d’Eco-Flair qui ont permis de cartographier l’infestation et de valider l’efficacité des traitements. Marie Effroy, fondatrice et directrice de la société, a également ressenti l’augmentation progressive de la demande : « Depuis quatre ans, les interventions augmentent chaque année. En 2017, le chiffre d’affaires a d’ailleurs augmenté de 40%. » Eco-flair diversifie ses activités et propose de la formation aux bailleurs, aux régies et à toutes les institutions et recrute actuellement deux personnes, une à Paris et l’autre, pourquoi pas, sur le territoire métropolitain.
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