Elle existe depuis 60 ans mais fait surtout parler d’elle ces dernières années : l’intelligence artificielle. Pourquoi diable a-t-il fallu si longtemps pour appréhender cet outil révolutionnaire dans bien des domaines ? « C’est parce qu’il y a aujourd’hui du “deep learning” et du “machine learning” », explique simplement Olivier Guillaume, président et cofondateur de la start-up O2 Quant, spécialisée dans les algorithmes. Derrière ces anglicismes barbares, on parle respectivement « d’apprentissage automatisé » et « d’apprentissage profond ». En somme des techniques pour enseigner aux ordinateurs ce que les humains sont capables de faire naturellement, en allant encore au-delà.
« On a une explosion des données avec l’avènement du numérique. Ce qui signifie une puissance de calcul phénoménale par rapport à avant », ajoute Olivier Guillaume. Et par conséquent, la possibilité d’exploiter réellement l’intelligence artificielle. Dans des domaines comme la santé, l’industrie, la sécurité ou encore les smart cities, cette technologie a un fort potentiel. Des entreprises ont senti ce filon et usent déjà de ses capacités pour faire évoluer les pratiques.
L’IA pour détecter les cancers de la peau
Bernard Fertil, président et fondateur d’Anapix Médical (Meyreuil), le reconnaît : l’optique standard, à savoir les appareils photo, est assez peu utilisé dans le monde médical. Faute d’habitude pour les praticiens, qui ont été formés à une époque où cette technologie était loin d’être avancée comme aujourd’hui. « Or, les dermatologues peuvent faire des diagnostics seulement avec une photo ! ». Et c’est justement à ce type de spécialistes que la start-up s’adresse.
Dans le cadre de leur profession, ces médecins sont amenés à diagnostiquer des mélanomes, cette tâche derrière laquelle se cache le cancer de la peau. Un diagnostic difficile à réaliser et dont les conséquences peuvent être tragiques. S’il est fait trop tardivement, le taux de survie à 5 ans est de l’ordre de 15% pour le patient. Les dermatologues n’hésitent donc pas à sortir leur bistouri dès un faible doute. Résultat, 95% des interventions sur des mélanomes sont inutiles car la tâche est en réalité bénigne.
C’est là que l’intelligence artificielle a trouvé toute sa place chez Anapix Médical. « On a développé un algorithme qui, sur la base d’une photo prise avec un dermoscope, échelonne la dangerosité d’une tâche ou d’un grain de beauté », explique Bernard Fertil. Pour cela, la machine compare les points de concordance entre la photo et les milliers d’images intégrées à son système. Grâce à une application, SkinApp, les clichés sont enregistrés et seront automatiquement comparés au prochain rendez-vous pour connaître l’évolution de la tâche. « Pour autant, l’homme ne sera pas remplacé par l’application. C’est le médecin qui prend la décision de retirer ou non le grain de beauté en fonction des résultats de la machine. Il y a une grande différence entre l’intelligence artificielle et l’humain : le bon sens. La machine en est totalement dépourvue ».
Les nouveaux yeux des humains
Dans le secteur industriel, notamment manufacturier, où la qualité est une priorité, l’intelligence artificielle a aussi su tirer son épingle du jeu. Encore aujourd’hui, l’inspection des produits, par exemple d’une voiture neuve dans une usine, se fait par l’homme. Un contrôle à l’œil, long, pénible, où des détails peuvent échapper au regard. La start-up Scortex, basée à Paris, a trouvé la solution pour les éviter. Elle a développé une solution d’inspection combinant deep learning et vision industrielle. « Concrètement c’est une box connectée à des caméras industrielles pour filmer tous les angles d’une pièce sans fatigue », explique Hugues Poiget, machine learning engineer au sein de l’entreprise. L’algorithme classe les informations transmises par les caméras pour savoir si un élément est conforme ou au contraire présente des défauts. « On remplace les yeux de l’humain par des caméras », synthétise l’ingénieur. Et les résultats sont là : 3 secondes pour l’inspection d’une pièce par la machine contre 15 secondes par l’homme. Multiplié par le nombre d’éléments qui composent une voiture, le gain de temps est réel. La start-up déploie sa box connectée également dans des usines de produits de consommation ou des fonderies. Elle peut contrôler aussi bien des pièces plastiques que métalliques ou peintes.
Suivre un chantier à la minute
Dans le domaine de la construction aussi, l’intelligence artificielle a réussi à tracer son chemin. L’entreprise Devisubox, installée à Marseille, l’utilise pour suivre l’évolution des chantiers. Pour cela, elle a créé un boîtier intelligent équipé d’appareils photo reflex. L’un, de 5 millions de pixels, fait des clichés toutes les cinq secondes. Il déclenche alors le deuxième, de 24 millions de pixels. Ensemble, ils immortalisent toutes les étapes d’un chantier dans diverses conditions. Et peuvent réaliser jusqu’à 700 photos par jour. Des images à retrouver en ligne en temps réel pour le client. Et qui peuvent donner naissance à une vidéo accélérée (timelapse) à la fin du chantier (voir ci-dessous).
À ses débuts en 2006, l’entreprise réservait ses boîtiers aux chantiers de maisons individuelles. Aujourd’hui, elle équipe même les plus gros chantiers, comme celui de la tour La Marseillaise. Les boîtiers peuvent être installés en une heure et sont entièrement autonomes puisqu’ils fonctionnent à l’énergie solaire.