Présenté en ouverture de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) au Festival de Cannes en mai 2023, le premier long-métrage de Maxime Rappaz, déjà multi récompensé dans des festivals (Namur, Zürich et Montréal), sort dans les salles de la métropole mercredi 20 mars. Le récit poétique et touchant de la double vie d’une mère, à l’orée de la cinquantaine, dévouée à son fils handicapé, dont les tentatives d’émancipations vont se heurter à ses propres limites. De passage à Marseille, pour présenter son film en avant-première, nous avons rencontré Maxime Rappaz au cinéma les Variétés.
Un paysage vertigineux dominé au loin par des massifs enneigés. Un train de montagne sillonne une vallée sublime, et traverse des tunnels. Seule dans un compartiment, une belle dame brune, pensive, apparaît en gros plan. Puis, le pas pressé, elle marche sur un pont au-dessus d’un barrage et se dirige vers un hôtel. C’est Claudine (l’énigmatique Jeanne Balibar), on le comprend tout de suite, elle se rend régulièrement dans l’établissement pour vivre des moments de plaisirs avec des amants de passage, qu’elle aborde avec élégance, le sourire enjôleur. Elle les choisit consciencieusement, de préférence étrangers, et s’interdit un quelconque attachement.
En quelques minutes, cette succession de plans superbes met en place une dynamique étonnante, pose un univers singulier, introduit un personnage et en suggère la complexité. Claudine, donc, le désir assouvi, regagne sereinement son foyer, de l’autre côté de la vallée. Méthodique, dénuée de tout artifice, elle reprend son travail de couturière auprès de ses clientes, sous le regard admiratif et complice de Baptiste, son fils handicapé psychomoteur (Pierre-Antoine Dubey, dont la performance est à saluer). Le garçon, fervent admirateur de la Princesse Diana (l’action se situe en 1997), se réjouit du retour de sa mère, d’autant qu’elle lui a ramené de son escapade, des photos de l’élégante altesse. Un jour, lors d’un séjour à l’hôtel, elle fait la connaissance du délicat Michael, un géologue (interprété par le comédien allemand Thomas Sarbacher, tout en nuances), qui lui demande de rester plus longtemps que prévu. Claudine se met alors à rêver à une autre vie. Réussira-t-elle à s’émanciper de son amour filial…
Entretien exclusif pour Gomet’ avec Maxime Rappaz. Le cinéaste genevois nous parle de son parcours, de son intérêt pour la figure maternelle, de ses choix esthétiques, et de ses projets.
Vous avez commencé par une carrière dans l’univers de la mode, puis vous vous êtes tourné vers le cinéma et vous avez travaillé avec Christophe Honoré, pouvez-vous nous en dire plus ?
Maxime Rappaz : C’était il y a longtemps. En fait, ce qui m’intéressait dans la mode c’était surtout de créer un univers autour du vêtement, la vidéo et la photo, mais pas tant le vêtement. Puis, j’ai été finaliste du concours de la photographie au “Festival international de la mode et de la photographie de Hyères”, (en 2012, n.d.l.r), où j’ai fait la connaissance de Christophe Honoré qui était membre du jury et je lui ai fait part de mon envie de bifurquer vers le cinéma. J’ai donc repris tardivement des études en master cinéma et écriture de scénario en Suisse. J’ai travaillé par la suite avec Christophe Honoré en tant que script sur Les Métamorphoses (2014), et Plaire, Aimer et courir Vite (2018). Entre-temps, j’ai réalisé deux courts-métrages.
Revenons au film. Dès les premières images, vous nous plongez dans un ailleurs, à travers des paysages envoûtants, avec une esthétique épurée qui se rapproche du cinéma asiatique contemporain, qu’en pensez-vous ?
Maxime Rappaz : Le côté asiatique, on me l’a déjà dit, mais je ne sais pas d’où ça vient. J’aime les choses épurées c’est certain. Pour ce qui est de cette entrée dans le film, tout vient d’une photo que j’ai prise dans ce petit train de montagne, il y a quinze ans environ, où j’avais vu une femme de dos qui était habillée très élégamment et qui dénotait avec le reste des voyageurs, des randonneurs et elle était assise toute seule à l’avant. C’était dans ce train là, et cette photo m’a poursuivi. Pour moi, c’était une évidence de faire ce long travelling dans le train pour questionner cette femme qui au final reste un peu énigme. Même à la fin du film, on ne sait pas vraiment. Quant au fait de commencer par ce long trajet en train, c’était aussi une façon de prendre la main du spectateur et lui dire, voilà, vous allez nous suivre dans un monde qui n’est pas tout à fait naturaliste
Qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer votre premier long-métrage au portrait d’une mère ?
Maxime Rappaz : Dans tout mon travail, il y a eu la question de la figure maternelle, de près ou de loin. J’ai toujours été touché par des histoires qui mettent en scène des femmes de la cinquantaine que ce soit dans les films, comme Sur la route de Madison, les mélodrames de Douglas Sirk, ou à travers les femmes qui m’entourent dans ma propre vie. Je pense que la cinquantaine est un moment hyper-intéressant pour les femmes, car elles doutent. C’est une période charnière, où elles peuvent avoir envie de procéder à certains changements. J’aimais bien l’idée de s’interroger sur ce qu’on à perdre et ou à gagner quand on veut opérer à ces changements. Et puis, je voulais mettre un double parallèle avec l’émancipation du fils. Je n’avais pas envie de créer une émancipation de la mère qui se passerait au détriment du fils. Pour moi, ils avancent de concert, et à la fin, le fils est émancipé. C’est un parcours heureux pour tous les deux.
Vous avez écrit le scénario avec Florence Seyvos et Marion Vernoux, avez-vous pensé à Jeanne Balibar dès le départ ?
Maxime Rappaz : Pas forcément. Mais l’idée me trottait dans le coin de la tête, car je lui avais proposé un rôle pour mon dernier court-métrage, et cela n’avait pas pu se faire. Mais c’est vrai qu’en arrivant à la fin de l’écriture, il y avait comme une évidence. En tout cas, ce que moi je m’imaginais de Jeanne Balibar, collait bien avec la façon dont j’avais écrit les dialogues par exemple, ou le fait qu’il n’y ait pas d’intrigue dans le film. L’intrigue c’est vraiment Claudine. J’avais envie d’une actrice qui m’intrigue, déjà moi, et qui puisse jouer à la fois dans le registre de la retenue, mais aussi de façon plus expressionniste, comme cette crise d’angoisse qu’elle a au moment du départ. J’avais envie aussi d’une actrice qui soit très à l’aise avec son corps.
Justement, quel a été votre parti pris pour filmer les scènes intimes ?
Maxime Rappaz : Pour moi c’était important de montrer ces scènes, parce qu’elles sont essentielles dans la vie de ces personnes à ce moment-là. Pour autant, je ne voulais pas être trop pudique, tout en restant dans la grammaire du film, avec une certaine distance, avec quelque chose d’épuré. Je voulais rester dans ce rapport très minimaliste au découpage. Ce sont forcément des scènes particulières, qu’on prépare un peu plus, on les chorégraphie à l’avance.
Pouvez-vous nous parler de Pierre-Antoine Dubey, dont la présence est très forte également, comment s’est-t-il préparé au rôle de Baptiste ?
Maxime Rappaz : Pierre-Antoine Dubey est un comédien zurichois, formé au Cours Florent à Paris.J’ai travaillé avec lui sur mon précédent court-métrage (Tendresse n.d.l.r). Concernant son personnage dans le film, je savais que je voulais créer un lien de dépendance entre la mère et le fils et la question du handicap est venu assez vite. À partir de là, on s’est beaucoup documenté et on s’est entouré de personnes qui sont concernées par l’handicap, au sein du corps médical et du corps social. Et surtout, Pierre-Antoine Dubey, s’est immergé dans un centre médical à Fribourg en Suisse. Il y est resté plusieurs semaines sur une période de six mois, au milieu des personnes en situation de handicap. Il a pu partager des moments de vie avec eux, ils ont fait des lectures du scénario et discuter du rôle. Les résidents ont pu voir aussi comment un acteur qui n’était pas handicapé pouvait interprété le rôle d’un handicapé. Toutes ces questions, on les a travaillé ensemble.
Ce qui est touchant dans la relation entre Claudine et son fils, c’est aussi le fait qu’elle choisisse ses amants en fonction de leur profil, pour raconter des récits de voyage à Baptiste.
Maxime Rappaz : Cette idée m’est venue au fur et à mesure des versions. Je voulais trouver un lien entre le fait qu’elle soit là-haut à l’hôtel et que son fils soit en bas. Je trouvais drôle qu’elles volent ces récits à ses amants, comme une contre-partie qu’elle donne à son fils. Peut-être parce qu’elle se sent coupable de passer ces journées avec ses amants, comme une sorte d’adultère, et aussi parce qu’elle a d’autant plus de lien avec son fils, qu’elle lui doit ces moments de lettres qu’elle est obligée de coucher avec ses hommes.
Le décor naturel participe également à la dramaturgie du film, où avez-vous tourné ?
Maxime Rappaz : Nous avons tournédans un canton qui s’appelle le Valais, c’était une évidence pour moi, parce que j’ai des origines là-bas, et je trouve cette région magnifique. Ensuite, j’avais envie de placer mon film dans un décor qui soit peu fréquenté, d’autant qu’ il y a encore plein d’endroits qui sont préservés. D’autre part, il y avait ce barrage, qui pour moi symbolisait toute la retenue de cette femme qui fallait faire exploser. Je trouvais que cette configuration, barrage, montagnes avec l’hôtel en dessous correspondait à une sorte de logique de ce que je voulais raconter. Ces décors qui sont assez majestueux, cette femme entourée de montagnes, ou ce trajet train au début du film, permet d’aller vers quelque chose qui se rapproche de l’ordre du conte. On n’est pas dans le naturalisme ambiant.
Vous travaillez déjà sur votre second long-métrage, pouvez-vous nous en dire plus ?
Maxime Rappaz : C’est l’histoire d’un amour impossible entre deux hommes. L’un, découvre son désir sur le tard et l’autre, qui est souffrant a déjà décidé de mourir. C’est un petit peu lié à des questions sur le suicide assisté, ce sont des sujets de société qu’on a plus en Suisse qu’en France. Mais, rassurez-vous, j’aime bien les récits poétiques … (conclut-il en riant)
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