Vous ne pouviez pas organiser ces événements à distance ?
Quand on est en face des gens, on lit sur les visages. Il y a des choses qui se débloquent.
Loïc Fauchon
Loïc Fauchon : Non. La « télé-rencontre » a ses limites. Il y a une plaisanterie qui n’en n’est pas une en réalité. Elle dit que dans les grandes rencontres internationales, ce qui est important c’est ce qui se passe dans les couloirs. C’est très vrai et ce n’est pas péjoratif. Parce que lors d’une pause café, on peut avancer différemment, en bilatéral, … on écrit une motion… Ces avancées elles sont liées au présentiel. Est-ce que les Européens auraient réussi à sortir par le haut de leur dialogue difficile à la mi-juillet s’ils n’avaient pas été en contact physiquement ? Je n’en suis pas sûr. Les images le montrent un peu. Il faut des apartés. Et quand on est en face des gens, on lit sur les visages. Il y a des choses qui se débloquent.
Quelles sont les hypothèses sur le table concernant le prochain Forum ?
Loïc Fauchon : On ne fera pas un « Forum virtuel » dans tous les cas. Soit on le maintient physiquement, avec une audience qui n’aura peut-être pas celle que l’on prévoyait (si les limites aux déplacements sont toujours présentes), soit on le reporte. On étudie cela de manière très fine. C’est compliqué de reporter un événement de cette importance : 40 à 60 chefs d’Etat, 15 000 délégués, 100 000 visiteurs venant de la jeunesse, des communautés locales, des groupes de
femmes… Et ensuite, il faut trouver une place dans l’agenda international qui est aujourd’hui très embouteillé. Quand on organise des événements planétaires, il faut que toute la planète puisse y participer. Pour l’instant nous avons décidé d’attendre un peu pour savoir ce que nous allons faire. Je vais essayer de me déplacer sur place au Sénégal en août. Et je pense que nous aurons la visibilité sur ce qui est faisable ou pas à la fin de l’été.
Vous n’envisagez pas un autre format ?
Loïc Fauchon : Non, pas à cet instant. Si nous décidons de le maintenir il n’y aura pas eu les événements préparatoires d’une qualité et d’une quantité prévues. Si nous reportons de huit mois ou d’un an on pourra reprendre notre cycle préparatoire, comme pour les autres éditions.
Durant la crise sanitaire mondiale, avez-vous pu observer des pratiques particulièrement
remarquables et inspirantes ?
L’eau est le premier élément du geste barrière le plus efficace à savoir se laver les mains
Loïc Fauchon
Loïc Fauchon : Oui tout à fait. Parlons d’abord d’enseignements. Avec quelques mois de recul, on voit bien, et c’est une confirmation, que l’eau est le premier élément du geste barrière le plus efficace à savoir se laver les mains. C’est pour cela que de manière très symbolique, j’ai fait acheter 85000 savons de Marseille pour les faire distribuer aux populations les plus pauvres de la Ville de Dakar où nous organisons le Forum mondial de l’eau. Cette crise a été pour certains, y compris des leaders politiques, l’occasion d’une prise de conscience : « ah, oui, l’eau c’est important. » L’eau c’est aussi la santé, l’hygiène. Et donc on voit bien qu’il est nécessaire de faire un effort supplémentaire pour l’eau. Nous allons donc saisir cette occasion pour dire aux décideurs, aux chefs d’Etat, aux autorités locales, aux banquiers du développement, voilà une raison supplémentaire d’investir dans l’eau qui est un moyen de lutter contre cette pandémie comme celles à venir ou comme ce fut le cas dans les épidémies antérieures.
Avez-vous eu des échanges particuliers avec des membres durant cette crise ?
Loïc Fauchon : Oui. Par exemple, de nombreux professionnels à travers le monde nous ont immédiatement alerté sur le l’éventuelle possibilité de la transmission du virus dans l’eau. Début avril, nous ne savions pas répondre à cette question. Les Turcs, les Hollandais, parmi d’autres, ont été très en pointe dans la recherche. Immédiatement, ils ont lancé des analyses sur les eaux usées. Très rapidement l’eau salée a été dédouanée. Ainsi que l’eau potable. Par contre, on a constaté une présence du Covid 19 dans les effluents des stations d’épuration des eaux usées. On a publié en juin un article scientifique qui fait le point sur l’utilisation d’une cartographie des germes du Covid pour suivre l’avancée de la contamination des populations. C’est novateur.
Le thème de l’annulation de la dette de l’eau va rebondir
Loïc Fauchon
Des pratiques issues de la crise, des recherches scientifiques, une prise de conscience, voyez-
vous d’autres conséquences à la pandémie pour le secteur de l’eau ?
Loïc Fauchon : Il est un peu trop tôt pour cerner les impacts concrets sur les projets. Mais ce qui est certain, c’est que les bailleurs de fonds, ceux qui financent, ont déjà ouvert des enveloppes pour l’ensemble du sujet de l’eau parce qu’il y a eu le Covid. Ce qui fait d’ailleurs émerger le débat sur la dette, et son remboursement ou pas.
Quelle votre point de vue sur le sujet ?
Loïc Fauchon : J’ai pris position il y a une dizaine d’années sur ce que j’appelle l’annulation de la dette de l’eau. On pourrait dire aux pays les plus concernés : « d’accord nous annulons la dette, mais en contre-partie vous avez pour obligation de réinvestir sur des sujets liés à l’eau. » Le thème de l’annulation de la dette de l’eau va rebondir et sera sans doute au centre du prochain Forum mondial de l’eau. Le président du Sénégal, parce qu’il est un expert de l’eau – c’est un hydrologue de formation – a dès les premiers jours avec Emmanuel Macron, dit qu’il fallait annuler la dette en général. Ils ne parlent pas que de l’eau. La crise sanitaire pourrait accélérer le traitement de ce dossier.