Invitée d’honneur du Festival Music & Cinéma de Marseille, la célèbre cheffe d’orchestre Zahia Ziouani était présente mercredi à Marseille pour présenter le film Divertimento, réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar sorti en 2013. Un biopic qui retrace le parcours exceptionnel de la future maestria, sous les traits de la comédienne, Oulaya Amamra.
Née à Pantin au sein d’une famille de mélomanes, d’origine algérienne par ses parents, Zahia Ziaouni a commencé par apprendre la guitare, puis l’alto au conservatoire de Paris. Particulièrement douée, elle intègre l’orchestre des élèves, puis ambitionne de devenir cheffe d’orchestre professionnelle. Remarquée par le chef d’orchestre roumain Sergio Celibidache, alors qu’elle est à peine âgée de 16 ans, elle crée trois ans après, son propre ensemble “Divertimento”, pour abolir les frontières élitistes d’un milieu très conservateur et amener l’excellence aux instrumentistes de toutes classes sociales.
Aujourd’hui, Zahia Ziouani dirige des formations de premier plan, en France comme à l’international. Elle marque par son énergie un important répertoire de Mozart à Saint-Saens, puis crée des spectacles où se mêlent parfois athlètes, chorégraphes et artistes hip-hop. Elle est aujourd’hui une référence dans le monde de la musique classique et sa maîtrise n’est plus à prouver.
Nous avons rencontré cette artiste hors du commun, lors de son passage dans la cité phocéenne, elle nous parle avec passion de son attachement pour la Seine-Saint-Denis où elle est toujours installée avec son orchestre Divertimento, de son engagement pour combattre les inégalités dans la culture, et de son approche pluridisciplinaire pour faire bouger les lignes de la musique classique.
Quel regard la cheffe d’orchestre reconnue aujourd’hui porte sur le parcours de la jeune Zahia ?
Zahia Ziaouni : C’est un regard plutôt optimiste, même si à cet âge-là, je me posais beaucoup de questions sur mon avenir. En tout cas, il y a quelque chose de commun entre ce moment où j’étais plus jeune et maintenant, c’est que je suis toujours allée au bout de mes projets, sans jamais faire de compromis même si cela n’a pas toujours été facile, et que j’ai rencontré des résistances. Mais, c’est vrai qu’au bout de vingt-cinq ans, même si mon parcours est reconnu aujourd’hui, cela a été plus long et plus dur que pour d’autres chefs d’orchestre. Je suis toujours restée fidèle à mes engagements, à mes idées et c’est dans la durée que les choses ont plutôt porté leurs fruits.
Justement, vous avez dit lors de la sortie du film, que vous devez encore aujourd’hui revendiquer votre place de cheffe d’orchestre, parce que beaucoup de vos pairs considérent que vous n’exercez pas votre métier dans les règles. C’est toujours le cas ?
Zahia Ziaouni : Aujourd’hui, je pense que c’est un peu différent, parce que la société évolue et que les sujets sur l’inégalité et l’ouverture sont beaucoup plus au coeur des échanges, et des discours des politiques publiques. Il y a vingt cinq ans, quand on disait, je vais créer, diriger un orchestre et jouer en milieu urbain ou en milieu rural, ce n’était pas du tout dans l’air du temps; c’était même quelque chose qui était dévalorisée, parce que la seule façon de faire cette musique à l’époque, c’était de jouer dans les grandes salles de concert, et si on était pas prévu dans les grandes salles, cela signifiait qu’on n’était pas bon. En ce qui me concerne, j’ai toujours revendiqué le fait que de faire des concerts de qualité en jouant à Stains, à Saint-Denis ou en milieu rural, avait autant de qualité que lorsque je le faisais à la Philharmonie de Paris. Or, pendant longtemps ce point de vue n’a pas toujours été partagé. Aujourd’hui, je pense qu’il y a encore beaucoup de conservatisme dans notre milieu musical, mais c’est un peu plus dans l’air du temps, de réfléchir à comment ouvrir le milieu musical. Aussi, il y en a beaucoup qui en parlent, mais il y en a peu qui agissent véritablement.
À 19 ans, vous créez votre propre orchestre “Divertimento”. Comment avez-vous trouvé cette énergie ?
Zahia Ziaouni : Quand on veut quelque chose, l’énergie on la trouve. Après bien sûr, il faut être lucide et beaucoup travailler. En fait, je crois que j’étais un peu agacée, parfois même complexée de voir le regard du monde extérieur sur la jeune fille que j’étais à l’époque. Non pas, parce que je n’avais pas les compétences, mais parce que je m’appelais Zahia, et surtout parce que je venais de la Seine-Saint-Denis. J’avais tellement envie de prouver aux autres et aussi à moi-même d’ailleurs, que j’étais capable, que tant que je ne parvenais pas à faire aboutir mes projets, je ne lâchais rien. Il faut dire que j’avais aussi le soutien de mes parents, qui ont toujours été très proches avec beaucoup d’exigence, que ce soit dans notre éducation ou dans les résultats à l’école. Le fait d’avoir grandi dans cette exigence m’a fait comprendre qu’on avait rien sans rien, et qu’il fallait beaucoup travailler pour aller au bout des choses. Et puis, je crois que j’avais vraiment envie de montrer à tous ceux qui me disait que ce n’était pas possible qu’ils se trompaient. Et puis, le fait de voir dans ma famille des femmes comme ma mère, ma grand-mère ou d’autres femmes fortes et combatives, cela m’a donné cette force là.
Selon vous, quelle est la plus grande qualité d’un chef d’orchestre ?
Zahia Ziaouni : Je pense que c’est être tourné vers les autres. Parce que c’est vrai qu’on pourrait penser qu’être cheffe d’orchestre, c’est un peu comme si on était dieu sur terre, d’autant que l’orchestre n’est pas un endroit démocratique. Quand le chef d’orchestre donne une direction musicale, il n’y a pas d’autres solutions que de l’écouter et de le suivre. Mais je pense qu’il faut avant tout faire ce métier pour les autres, on ne fait pas ce métier pour soi. Je passe beaucoup de temps à expliquer cela quand je fais des masterclass auprès des jeunes chef.fes d’orchestres. Donc je pense que c’est vraiment cette notion d’altruisme, il faut être généreux, être dans le partage et puis il faut être aussi innovant . Ce n’est pas évident d’expliquer cela lorsqu’on s’appuie beaucoup sur des musiques qui viennent du passé.
Justement vous réussissez à faire bouger les lignes de la musique classique en la rendant accessible à tous les publics, comment vous y prenez-vous ?
Zahia Ziaouni : Ma façon d’exercer ce métier, c’est d’être à la fois sur les scènes et d’être dans les liens avec les publics. La musique a toujours été écrite dans un contexte, c’est important de le comprendre, cela nous permet de comprendre la société d’aujourd’hui. Lorsqu’on s’interroge sur notre histoire, ou sur ce que c’est qu’être français, en ce qui me concerne, j’aime bien jouer des oeuvres parmi les plus emblématiques de la musique française et montrer que beaucoup d’entre elles sont inspirées aussi de la culture de l’Espagne, de l’Italie, de l’Afrique du nord ou de l’Asie. Il est nécessaire de se rappeler que notre histoire de la musique en France, s’est aussi construite dans cette rencontre avec ces cultures. Par exemple, dans quelques mois on va accueillir les jeux olympiques, ce sera l’occasion faire découvrir au public d’autres cultures venues d’autres continents comme l’Asie, de l’Afrique, à travers la musique symphonique. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine. J’aime bien que le public ressorte de mes concerts en ayant appris quelque chose ou qu’il s’interroge. Donner du sens au programme, ne pas jouer juste quelque chose parce que les oeuvres sont belles et qu’on a envie de les jouer. C’est important d’apporter un regard dans notre société, aujourd’hui.
Revenons à la thématique du festival et aux liens entre la musique et le cinéma, quel pouvoir la musique apporte-t-elle à l’image selon vous ?
Zahia Ziaouni : Elle contribue à alimenter la narration et surtout les émotions. On ne regarde pas une même scène avec ou sans musique. On ne va pas ressentir la même chose avec des musiques différentes. Quand vous écoutez un orchestre symphonique, il y a beaucoup de puissance qui s’en dégage, on passe par différentes émotions. La diversité des sonorités, des timbres on peut aller très loin dans certaines émotions, c’est pour cela que la musique symphonique occupe autant de place dans le cinéma.
Vous-même, vous avez interprété des musiques de film, quelles sont vos préférences ?
Zahia Ziaouni : J’ai interprété un certain nombre de musiques de film en concert comme celles de Georges Delerue, Vladimir Cosma, super bien écrites ou dans un style plus jazz, Henri Mancini, ou encore John Williams, des musiques magnifiques à entendre, difficiles à diriger mais qui sont au top. J’ai fait aussi des ciné-concerts sur des films de Charlie Chaplin, j’ai même fait un travail avec un compositeur, qui était au sein de l’orchestre Divertimento, à qui j’avais commandé une musique sur le premier film muet d’Hitchcock The Lodger et que j’ai dirigé en live. C’était super intéressant de faire ce travail là, de jouer ces partitions pour la beauté et la richesse de ces musiques, même si ce n’est pas la majorité de mon répertoire, c’est aussi une façon de faire le lien avec d’autres disciplines artistiques, comme on le fait avec la danse, cela dépend des thématiques qu’on développe.
Pour conclure, pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Zahia Ziaouni : Je suis actuellement sur un projet important que j’écris avec le chorégraphe Mourad Merzouki sur le rapport entre la break dance – qui va faire son entrée dans les jeux olympiques – et les musiques symphoniques. On va jouer en région parisienne, puis on va partir en tournée à Honk Kong.
Avec “Divertimento”, on a une saison qui continue sur le thème des Jeux olympiques et paralympiques, forcément cela va être un actualité importante en région parisienne où on est basé.
On va inviter des athlètes à monter sur scène avec lesquels on va travailler sur la synchronisation du geste sportif avec la musique. Un thème comme celui des jeux olympiques, m’a fait pas mal avancer aussi sur certains sujets, notamment sur celui de l’inclusion. Et donc dans le cadre des jeux paralympiques, il y aura pas mal d’artistes et de sportifs en situation d’handicap, qui seront sur scène avec nous. Nous aborderons des séquences plus sensorielles, comme par exemple des chorégraphies en langue des signes. Ce que je trouve intéressant, c’est comment un sujet tel que les jeux paralympiques a été un formidable accélérateur pour ma réflexion. Je suis très heureuse de le porter !
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