C’est dans un climat d’échanges engagés, parfois tendus, toujours passionnés, que s’est tenu l’atelier consacré aux Services express régionaux métropolitains (Serm), également qualifiés de RER métropolitains, lors des 4es Rencontres du vélo et des mobilités douces organisées par Gomet’ Media’, vendredi 23 mai, à la Coque, à Marseille.
Après une large table-ronde initiale qui a permis de fixer les enjeux globaux, cette rencontre, un des quatre ateliers au programme du jour, a réuni élus locaux, représentants d’associations d’usagers, experts du ferroviaire et citoyens, tous désireux de débattre autour d’un sujet central : la transformation en profondeur des mobilités du quotidien dans la métropole d’Aix-Marseille-Provence.
Parmi les grands chantiers de la mobilité de demain, les Serm incarnent une promesse forte pour repenser les déplacements du quotidien. Mais derrière l’ambition politique et, plus encore, l’attente (très) forte des usagers, les débats sur la gouvernance, le financement et la temporalité des projets montrent que le chemin est encore long.
Serm : une ambition territoriale au service du territoire
Lancée dans le cadre de la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM), puis approfondie par la loi Serm votée en 2023, cette nouvelle catégorie de service ferroviaire entend répondre aux besoins de mobilité du quotidien dans les grandes agglomérations françaises. A tout rapporteur, tout honneur, c’est à Jean-Marc Zulesi, ancien député et porteur de cette loi, qu’est revenu la resposabilité d’ouvrir les débats.
« Il faut avoir un peu d’humilité. Ce projet n’aurait jamais vu le jour sans les élus locaux, les associations d’usagers, les techniciens, tous engagés bien avant le législateur », a-t-il rappelé d’emblée, soulignant l’importance de l’implication des territoires dans la définition du périmètre des Serm, un principe fondamental validé au Parlement pour garantir l’adhésion et la pertinence des projets. « C’est un service au service des territoires, avec quelques principes fondamentaux : une ossature ferroviaire, la multimodalité, c’est-à-dire la capacité de passer facilement d’un transport à un autre, notamment d’un car à un train, et un modèle de gouvernance retravaillé où on laisse une place importante à nos élus locaux et régionaux. »
Exit donc l’idée d’un modèle unique imposé d’en haut. Chaque Serm se construit sur mesure, selon les besoins locaux et les dynamiques régionales. En région Sud, quatre projets ont été labellisés, portés par les collectivités territoriales.
La gouvernance, condition indispensable du succès
Si le consensus sur la nécessité des Serm semble acquis, le flou persiste sur les responsabilités concrètes. Qui pilote quoi ? Qui décide ? Qui finance ? François Delétraz, président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports), est catégorique : « La problématique des Serm, ce n’est pas une problématique financière aujourd’hui, c’est une problématique de gouvernance. Et tant qu’on ne saura pas qui fait quoi, on n’arrivera à rien. »
Et de citer l’exemple des Hauts-de-France : « Ils ont mis tout le monde autour de la table : la région, le département, la métropole, les communes… Ils ont créé un système où c’est le Serm qui décide quels sont ses besoins, où sont les populations qui sont mal servies, quel est l’existant, et qu’est-ce qu’il faudrait créer. C’est la clé. »
Serm : un financement incertain et sous pression
Une réflexion partagée par Jean-Claude Reboullin, de l’Association des usagers des transports des Bouches-du-Rhône (AUT13), qui insiste néanmoins sur un triptyque : ambition, financement, gouvernance. Déplorant un projet « a minima » du Serm dans sa version actuelle, limité par des visions court-termistes et le carcan autoroutier dominant, il appelle à une vision prospective à 2050, alignée sur les dynamiques économiques et les zones d’activité.
Considérant par ailleurs que la gouvernance est un sujet central, car « s’il n’y a pas ces structures de coordination, les usagers n’auront pas la satisfaction », Jean-Claude Reboullin estime néanmoins que « la mer des batailles, c’est le financement ».
Malgré l’insistance des élus et usagers, les moyens ne suivent en effet pas toujours l’ambition. Et tous s’accordent sur un point : l’État n’apportera qu’une contribution modeste. Le reste devra venir des collectivités locales, voire d’innovations financières ou fiscales. Le président de l’AUT 13 résume l’enjeu : « Il est illusoire de vouloir demander des infrastructures si elles ne sont pas financées. Et la conférence de financement, on l’attend… mais on comprend bien qu’il n’y aura pas grand-chose à en attendre. » Cela pose la question de ressources nouvelles, de l’éventuelle gratuité des transports, mais aussi de la capacité à redéployer intelligemment les fonds existants.
Le ferroviaire comme colonne vertébrale
Jean-François Degand, fondateur d’Objectif RER Métropolitain, clarifie l’ambition, au-delà des enjeux de gouvernance et de moyens : ce qu’il faut, dit-il, c’est bien un RER du quotidien, sur le modèle de ce qui se fait en Ile-de-France, en Suisse ou encore à Milan. Mais un RER, insiste-t-il, ce n’est pas uniquement une infrastructure : c’est un service intégré, cadencé, accessible de la première à la dernière heure, avec tarification unifiée, et interconnexion multimodale… « Sur la longue distance, on a bien travaillé en France, on est un exemple à l’échelle internationale, mais sur le quotidien, on peut mieux faire, en particulier dans un bassin comme le nôtre ».
Stéphane Coppey (Noster Paca) s’alarme, lui, du manque de perspective à long terme : « On ne demande pas le grand soir, mais il faut commencer dès demain. Créer une halte à Venelles, une aux Milles, un service transversal entre Aix et Marseille et progressivement, au fil des années, on augmente le nombre de haltes, on augmente le nombre de services, et on se sert des moyens qu’on a. Utilisons ce qu’on a déjà ! » D’autant, insiste-t-il, que les infrastructures ferroviaires existent : ligne Paris-Lyon-Marseille, ligne d’Aix « qui continue jusqu’à Pertuis », ligne de la Côte-Bleue…
Stéphane Coppey défend une approche pragmatique : « On a les voies, le matériel, les réseaux urbains. Ce qui manque, c’est la transversalité. Le train doit relier les quartiers entre eux, les banlieues entre elles, pas seulement la ville centre, sur un axe qui dessert le maximum d’habitats et d’emplois. »
Portant un projet soutenu par plusieurs associations, la ligne très symbolique Aubagne–Marseille–Aix–Les Milles, qu’il qualifie de « troisième ligne de métro que Marseille n’aura jamais autrement », le secrétaire général de Noster Paca déplore : « Cela fait trois ans qu’on attend le schéma d’armature ferroviaire métropolitaine. Et quand on demande à participer, on nous dit : “Vous verrez bien quand on sera prêts à vous le présenter”. »
Industrie lourde, inerties institutionnelles et dette grise
Mais ces appels à l’action se heurtent à la réalité du ferroviaire, selon Jean-Pierre Serrus, vice-président aux Transports de la région Sud, qui rappelle fermement que le rail est une « industrie lourde », avec ses délais, ses contraintes techniques, et ses coûts : « Je veux simplement dire que créer une halte, ce n’est pas simplement faire en sorte que le train s’arrête. On parle de signalisation, de sécurité, de croisement de voies. Qu’on arrête de penser que de faire un point d’arrêt sur une carte, ça suffit pour que l’affaire soit terminée. »
L’élu évoque aussi la « dette grise », héritée de 40 ans de sous-investissement dans les réseaux régionaux. Aujourd’hui, des efforts « considérables » sont faits – 700 M€ par an pour la région – mais ils doivent être priorisés : « Il faut qu’on comprenne qu’on a une mutation d’un réseau ferroviaire régional, qui a été conçu à l’origine pour relier des territoires, Briançon à Marseille, Marseille à Toulon, à Nice. On veut le transformer, et c’est une nécessité, mais à vitesse forcée, en un système qui est un système de train du quotidien dans des zones denses. Le réseau sur lequel on a laissé passer les obligations de maintenance pendant 40 ans, il faut qu’en quelques années, on le transforme d’un réseau de liaison régionale à un réseau de fréquence et haute capacité sur les trains du quotidien. Donc, on est obligé de faire par priorité. »
Il insiste : le Serm d’Aix-Marseille est piloté par la métropole, avec financement croisé (25% Région, 25% État, 32,5% Métropole, 12,5% Département). Les concertations existent, selon lui, mais doivent se faire dans la réalité industrielle, et non dans « la projection théorique ». Quitte à faire encore grincer quelques dents.
Une dynamique évolutive et ancrée localement
Tous s’accordent néanmoins sur une chose : les Serm doivent être des projets vivants. Loin d’un plan figé à l’horizon 2040, ils doivent évoluer par étapes, s’adapter aux contraintes et opportunités, tout en gardant le cap stratégique. « Ce qui compte, c’est de savoir ce qu’on peut faire en 2026, 2027, 2030… Arrêtons de penser que ce qu’on va décider avant le 31 décembre 2025 sera inscrit dans le marbre et ne pourra plus être bougé, en 2030, en 2035, en 2040. Heureusement, il va y avoir des revoyures. Le reste suivra, à condition de bien poser les bases aujourd’hui », conclut Jean-Pierre Serrus.
Le chemin promet d’être encore long même si chacun se rejoint à penser que le train du quotidien, s’il arrive à l’heure, doit être le moteur de la transition écologique et sociale des métropoles françaises de demain.
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