Revenons un peu au début de votre histoire avec Marseille. Quand et comment arrivez-vous ici ?
Marc Pietri. Je suis né au Maroc à Ifran. Mon père était médecin. Nous avons quitté le Maroc, j’avais huit ans. Ensuite mes parents se sont séparés… J’ai fini par me poser, vers 15 16 ans à Versailles. Puis j’ai enchainé avec mes études. J’arrive à Marseille par hasard, après avoir fait des études de droit à Sceaux et Assas, parce que tout simplement mes parents achètent un appartement ici, à une société qui s’appelle Constructa. Je connaissais la ville puisque mon père était Marseillais (il est né rue Clapier), j’avais vécu deux trois ans à Marseille après la séparation de mes parents. Ma mère s’était remariée en Algérie puis nous avions du nous rapatrier à cause des événements. Nous sommes au début des années 60. En 1973, quand je reviens, cette ville est au début de son grand déclin. A l’époque je n’avais pas de projets professionnels. J’étais un fêtard professionnel. Je jouais au rugby, j’avais mes potes. J’avais fait droit pour avoir un diplôme, une médaille,… comme tous les Corses. Et en plus j’ai eu raison. Car même si ce n’était « qu’une » maîtrise de droit, ça sert quand même. On vous demande toujours ce que vous avez fait, pourquoi vous l’avez fait et ce que voulez faire. Une maîtrise de droit d’Assas et de Sceaux, c’est bien.
Pourquoi à cette époque avoir choisi l’immobilier à cette époque ?
M. P. Par hasard. J’aurais très bien pu être dans les fruits et légumes. Mais il se trouve que je m’y passionne. Les premiers travaux que j’effectue notamment sur la valorisation des terrains de la Côte Bleue, de Carry-le-Rouet, je me passionne. D’abord j’aime la nature et ensuite j’aime les gens. L’immobilier c’est un joli point de rencontre. Marseille est au début de son déclin parce que Marseille est frappée par la décolonisation, les conséquences de la désindustrialisation puis la crise du pétrole doublée d’une crise politique. Gaston Defferre n’est plus là. Il court à Paris. Il veut être président de la République, puis il sera ministre de l’Intérieur. Et donc on assiste ici à une guerre de succession qui en 20 ans mettra Marseille par terre. On a perdu 200 000 personnes qui sont parties ailleurs. On était guidé par des principes du style : tout ce qui est accession à la propriété c’est un terreau pour le Front national. [pullquote] Edmonde Charles-Roux « boboïse » Marseille à mort.[/pullquote] Edmonde Charles-Roux – paix à son âme – gèle une centaine de projets. Elle ne veut plus construire comme par exemple au Frioul. Elle préfère utiliser l’argent de la ville pour la culture.L’immobilier, c’est un métier de fripons, c’est sale, c’est pas beau. Et donc elle « boboïse » Marseille à mort. Il a fallu attendre Robert Vigouroux qui a relancé la ville de Marseille, remarquablement avec des projets. Puis Jean-Claude Gaudin, qui est l’homme d’Euroméditerranée, une opération qui deviendra la locomotive de Marseille.
Vous dites que Jean-Claude Gaudin est l’homme d’Euroméditerranée, d’autres pensent que c’est Robert Vigouroux ?
M. P.Non, on va dire que Robert Vigouroux a initié le projet et Jean-Claude Gaudin l’a arraché à l’Etat. C’était une très bonne chose. Ca va représenter 7 milliards d’investissements. Un euro public d’investissement va attirer trois euros d’investissements privés. On nous dit avec le Marseille bashing, « ici il y a des problèmes. » Sauf qu’ici, il y a tous les plus grands investisseurs du monde.
Tous ?
M.P. Bon… pas tous mais vous avez Hammerson, JP Morgan, Primerica… Il y a une trentaine de grands opérateurs. C’est énorme pour une ville. Ils ne lisent pas la presse. Heureusement ! Ils regardent simplement les fondamentaux.
La politique à ce moment là, ça ne vous intéresse pas ? Pour justement prendre le contre-pied du pouvoir en place ?
M. P. Non, non, non. La politique, j’en fais au sens étymologique du terme. Je m’occupe des affaires de la cité. Et je me conduis comme un citoyen. La politique, pas question.
Vous décidez de partir aux Etats-Unis. Est-ce lié à ce déclin de Marseille ?
[pullquote]Constructa une unité commando en territoire ennemi pour le compte des plus grands institutionnels de la planète[/pullquote]M. P. Pas du tout. C’est le hasard et la nécessité. Oui, il y a du déclin ici. Chaque qu’il y a eu du déclin, j’ai cherché des solutions. La première solution que j’avais trouvée c’était la Côte d’Azur, le Var… sortir de son territoire. On avait la réputation de notre ADN : « Constructa une unité commando en territoire ennemi pour le compte des plus grands institutionnels de la planète. » Ici je représentais déjà les étrangers et les Français qui avaient peur de s’établir à Marseille. C’est pour ça que je suis parti aux Etats-Unis. Parce qu’ils se sont dit : « le type qui résiste à Marseille, il peut résister aux Etats-Unis. » Les Français avaient investi en masse parce qu’il voulaient fuir la gauche. Ça a été un carnage, une boucherie. Ils m’ont envoyé là-bas pour faire ce que l’on appelle du « work out ». Je suis devenu le Red Ader (pompier héroïque américain, NDLR) de l’immobilier. On a fait 58 missions de réorganisation.
Quelles ont été vos recettes pour réussir aux Etats-Unis ?
M.P. D’abord l’humilité. Il ne faut pas aller là-bas pour leur donner des leçons. Ce n’est pas qu’ils sont plus en avance que nous mais ils sont plus grandioses. Aux Etats-Unis, ce n’est pas un drame de faire faillite. Regardez Donald Trump, il a fait cinq ou six faillites, dont la plupart frauduleuses. Ce qui ne l’empêche pas d’être candidat à la présidentielle. Aux USA, la recette est simple : l’humilité, le respect des autres, le respect des communautés et s’inscrire comme un bon petit soldat citoyen en participant à la vie locale.
Vous n’êtes pas trop dépayser en arrivant ?
[pullquote] Miami, c’est comme Marseille. [/pullquote] M. P. Non, parce qu’aux Etats-Unis, il y a 367 ethnies différentes. Tout le monde est accepté. Je suis très à l’aise là-bas. Il n’y a que dans les milieux snobs de New York ou de Boston que l’on ne se sent pas à l’aise. Miami, c’est comme Marseille. C’est exactement la même chose sauf que moi, trois fois par an, je rends des visites au grand rabbin, je rends des visites au pasteur, au maire, aux représentants de la communauté juive, au consul général… Je vais rendre compte à tous et leur dire je suis venu pour apprendre, pas pour donner des leçons. Je participais à la communauté. C’est ça la clé aux Etats-Unis.
Là-bas comme ici, est-ce que vous doutez parfois de vos choix ?
M. P. Je passe ma vie dans le doute, l’angoisse et la superstition. Mais il y a quelque chose qui est encore plus fort chez moi, ce sont les convictions, c’est ma passion. Et comme tout me passionne. C’est dur. Parfois, on frôle la catastrophe, mais c’est un métier d’actions qui me convient tout à fait. Je suis plus tétanisé pour la visite médicale, quand je vais chez mon confesseur ou mon avocat que quand il faut aller investir au Mexique. Comme j’aime les gens, je n’ai pas de problèmes pour aller leur parler.
Demain la suite et la fin de notre entretien (réalisé le 8 juillet) avec Marc Pietri.
[L’entretien] H99, Horizon, Constructa, Marseille et la Métropole… Marc Pietri dit tout
Lire le premier volet :
[L’entretien] Marc Pietri : « Il reste encore 25% de travail pour terminer Les Docks Village» (1/3)
(Illustration : Au printemps dernier, Marc Pietri et ses équipes reçoivent un Mipim Award à Cannes pour l’opération des Docks Village)