Plus que trois jours pour aller voir La Fuite ! au TNM La Criée, avant que la troupe ne prenne la route des tournées. Un spectacle orchestré de main de maître par Macha Makeïeff pour onze acteurs et une petite fille, qui retrace l’exil des Russes dans les années 20.
À l’origine de ce spectacle, le texte de Mikhaïl Boulgakov, écrit en 1927 sous Staline et qui coûta quasiment la vie à son auteur, désespéré de n’avoir jamais pu le monter. Une pièce pour 28 comédiens et jouée qu’une seule fois en France, que Macha Makeïeff, directrice du théâtre national de Marseille La Criée, découvre un été et qui fait étrangement écho à l’histoire de ses grands-parents, Olga Ivanovna Makeeva et Georg Ivanovitch Makeev. L’histoire de milliers de Russes fuyant la guerre civile après la révolution, et, en parallèle, celle d’artistes, comme Mikhaïl Boulgakov, broyés par un système totalitaire.
Sur scène, se jouent dans un magnifique décor astucieusement modulable, les destins de généraux et officiers de l’Armée dite blanche, cosaques et simples soldats, de femmes aimantes et perdues, d’évêque lâche, d’ex-ministre corrompu, d’aristocrate et de joueurs invétérés. Entre crainte, espoir, suspicion, dénonciation, séparation, amour, vices et mort. Tous vont se croiser et recroiser. Une fois le contexte historique suggéré dans une chapelle perdue en Tauride (NDLR nom antique de La Crimée) à l’automne 1920, le public embarque avec eux pour une année d’errance en direction de Constatinople puis de Paris. À chaque nouveau songe, une nouvelle étape et une nouvelle tranche de vie éphémère, temporaire, comme si on était nous-mêmes des exilés ne sachant pas ce qu’il nous attend. Un suspens qui donne des allures de thriller politique à la première partie de ce qui est annoncé comme une comédie fantastique. Et si l’on peut ressentir parfois quelques rares longueurs – le spectacle dure tout de même 3h30 avec entracte -, il faut admettre que la curiosité, voire l’angoisse du prochain songe, nous rend quelque peu impatients. D’autant que la mise en scène, les jeux de lumière et de sons servent magnifiquement cette ambiance de désordre, de chute et de terreur. Mais dans l’exil, le temps semble certainement bien plus long.
Il faut saluer également le beau travail de troupe réalisé encore une fois par Macha Makeïeff et ses acteurs ; un travail dans l’esprit des grandes machineries du théâtre populaire russe. Parmi tous ces comédiens, dont la majorité joue plusieurs rôles, tous sexes confondus, Geoffroy Rondeau qui endosse l’habit et l’âme du Général Khloudov, hanté par ses propres démons, capte l’attention du public à chacune de ses apparitions. Comme ses compatriotes venus se mettre sous sa protection, on est “suspendus à ses lèvres” pour connaître ses décisions.
Grand admirateur de Molière, Mikhaïl Boulgakov a voulu faire de La Fuite ! une comédie fantastique, certes, mais on s’étonne d’apprendre, qu’il pensait obtenir la reconnaissance de Staline, car il dépeint une situation dramatique, celle des vaincus auxquels le spectateur s’attache forcément.
> La Fuite ! jusqu’au vendredi 20 octobre
> Taifs : de 25 € à 9 €
> TNM La Criée – 30, quai de Rive Neuve, Marseille 2e
> Billetterie en ligne
Lire notre article précédent : Libres d’aimer… toute la saison à La Criée