Libres d’aimer ! C’est avec ces mots que Macha Makeïeff, directrice du théâtre national de Marseille La Criée, résumait la présentation de la nouvelle programmation en juin dernier. Nous y voilà. Direction la Russie avec, vendredi 7 octobre, la première de sa création 2017 – La Fuite ! de Mikhaïl Boulgakov -, puis samedi 8 octobre, une journée portes ouvertes riche en découvertes. On ne fuit pas la “maison”, on y va !
Il n’était pas libre, Mikhaïl Boulgakov. Il faisait partie des « artistes empêchés » sous le régime de Staline. Macha Makeïeff a donc choisi de mettre en scène La Fuite ! pour ouvrir sa nouvelle saison, « un manifeste de liberté artistique dans un contexte historique très dur, explique t-elle. Et bien plus car cette pièce, écrite vers 1927, nous plonge au cœur de l’exil de milliers de Russes à la fin de la guerre civile qui suit la Révolution d’Octobre. « Ils partaient vers la Crimée, vers Constantinople et de là, parfois vers Paris. Ce fut le circuit de mes grands-parents… Il y a un lien familial avec cette pièce ».
Mikhaël Boulgakov essaya pendant dix ans de faire jouer La Fuite ! mais en vain. « À cette époque, il était de bon ton de célébrer les vainqueurs, lui, il a écrit du côté des vaincus, poursuit Macha Makeïeff. La thématique est magnifique. Nos destins ne sont que des dés lancés ; la grande Histoire fracasse les destins privés (…) Cette pièce n’a été joué qu’une seule fois en France, en 1970, dans une mise en scène de Pierre Debauche. C’est une pièce que je trouve vraiment magnifique, une métaphore de ce que l’on doit abandonner, s’alléger pour aller plus en avant. Boulgakov était fan de Molière et ses personnages sont de grands caractères. Je me devais de la faire connaître. »
Comédie fantastique en huit songes et quatre actes, La Fuite ! a été écrite pour vingt-huit personnages ; ils seront tout de même onze comédiens et une petite fille sur la scène de la grande salle de La Criée. Une troupe que Macha Makeïeff salue car « le théâtre russe induit ce genre d’état-major », et dans laquelle on retrouvera, notamment, les acteurs de Trissotin. Un travail scénique qui s’est avéré lui aussi très important, pour passer d’un songe à l’autre, d’un lieu à l’autre – monastère, gare, palais dévasté… – et « pour faire bouger les acteurs, j’ai demandé un coup de main à Angelin Preljocaj ». À découvrir donc.
Mise à feu samedi avec la jeunesse notamment
L’an passé, 900 scolaires ont assisté à une représentation à La Criée. Pour les autres, les tarifs enfants de moins de 12 ans et le pass Criée Jeunes mettent les places de spectacles entre 6 et 12 euros. Et parce que Macha Makeïeff aime ouvrir les portes du théâtre, et la scène, à ces jeunes générations, la journée du samedi 8 octobre leur est particulièrement dédiée. Films, documentaires, lectures, ateliers surprises de création d’affiches ou de philosophie … s’enchaîneront dès 11h, pour petits et grands, avec l’équipe artistique de La Fuite ! À noter tout particulièrement pour démarrer un ciné-concert qui fera découvrir, aux plus de cinq ans, cinq pépites du cinéma d’animation russe sur une musique de Rachmaninov, interprétée en direct par Vadim Scher au piano et Dimitri Archmenko au violon.
Parmi les animations proposées aux adultes, car il y en a, Gérard Conio évoquera Boulgakov face à Staline, à 16h30 : une conférence qui sera précédée d’une lecture d’extraits des lettres de l’auteur au dictateur. Suivra une autre conférence, à 18h, de Bruno Bagni cette fois, sur la Corse, terre d’accueil des Russes. De 14h à 16h, Maria Constantinova, la voyante la plus célèbre de Russie, sera là pour vous prédire tout ce que vous voulez ! Et à 18h30, le parvis du théâtre deviendra la scène d’un grand flashmob. Enfin, pendant qu’une partie du public assistera à la deuxième représentation de La Fuite !, l’autre pourra découvrir Utopie des images de la Révolution russe, unfilm d’Emmanuel Hamon qui nous fait découvrir, à travers des images des fictions soviétiques de 1917 à 1934, une bande de jeunes gens pour va révolutionner le 7e art.
À l’image de ce week-end d’ouverture, la saison 2017-2018 de La Criée s’annonce toujours aussi intense et variée. 192 levers de rideaux auront lieu cette année, soit 63 propositions dont cinq créations in sitù et deux productions maison. Première demain !
Informations pratiques > La Fuite ! Comédie fantastique en huit songes de Mikhaïl Boulgakov, adapté et mise en scène par Macha Makeïeff – À partir de 13 ans > du 6 au 20 octobre 2017 au TNM La Criée – 30 quai de Rive Neuve, Marseille 7e > tarif : de 25 € à 10 € > Réservez votre place en ligne surwww.theatre-lacriee.com ou par téléphone au 04 91 54 70 54
De Rabelais aux phoques du pôle, via Pecuchet : La sélection de notre confrère Alain Masson
Jérôme Deschamps revisite Flaubert
Ayant relu Boulgakov et sa “fuite” vers l’exil – après les furieux affrontements entre Russes blancs et rouges, cette descendante de migrants tient avec cet insolent point de vue de vaincus sa création d’ouverture. C’est là, tout juste un siècle après la révolution bolchevique, qui souleva l’enthousiasme de millions de prolétaires, sur la terre entière. Mais dégénéra rapidement en système dictatorial liberticide. Héritier de Molière et de Gogol, Mikhaïl Boulgakov mourra en 1940, mais jamais le régime stalinien ne permettra que cette “fuite” soit jouée en Russie, du vivant du dramaturge.
Autre auteur méconnu, et pour cause : Diego Sinibaldi. Il n’a que 9 ans ! Et tout Marseille se précipitera en novembre afin de découvrir son héros – marionnette. Il s’appelle Natanaël et lance avec gouaille : « J’adore les carottes, c’est ce que je préfère dans les petits pois. »
Six cent soixante-dix ans après l’immense Pantagruel, des “paroles gelées” vont réchauffer sur scène les mots et sons de Rabelais, du 13 au 15 avril 2018.
En mai suivant, place à l’éternelle et universelle bêtise. Bouvard et Pecuchet, débiteront les meilleures perles que Flaubert leur a ciselées. Jérôme Deschamps signant l’adaptation, le spectateur s’en tient les côtes d’avance.
Parmi la soixantaine d’autres projets de la cuvée 2017/18 , il ne faudra pas manquer depuis la criée une grande expédition vers le pôle nord, passant par la Guinée et la Tanzanie. Ce cycle de trois récits titré Âmes offensées s’inspire des carnets de l’ethnologue Philippe Geslin. Cet explorateur conduira l’assistance à la rencontre des guerriers Massaï, au pied du Kilimandjaro; vers les Inuits en chasse aux phoques sur la banquise, mais aussi connectés via la toile. Ou près des Soussou, dans la mangrove guinéenne, qui témoignent du respect naturel en disant :« le crayon de Dieu n’a pas de gomme ». Alain Masson