En ce jour de second tour Marseille est inondée de soleil, l’air est doux, le mistral souffle fort. Le Vieux-Port est rempli de badauds heureux de redécouvrir les bienfaits de la vitamine D. Les terrasses font le plein, les affaires marchent, les commerçants retrouvent le sourire. La vieille brasserie « La Samaritaine » ne fait pas exception, les gens rigolent, on entend très peu parler de politique, ici c’est l’OM qui préoccupe tout le monde. Contre Nice, un match pour l’Europe se joue. A bien y réfléchir les résultats de la présidentielle sont dans la même veine, un maintien ou non dans l’Europe… Mais le stress n’est pas le même, autant le derby du Sud peut semer le trouble dans les esprits, la victoire de Marine Le Pen n’est pas envisagée.
Et pourtant ici « tout est à droite, extrême ou non les toilettes sont à votre droite monsieur » indique le patron avec les lunettes sur son crâne rasé de près. Les serveurs déambulent à travers leurs rangs afin de prendre les commandes. Il n’y a pas match. La limonade et la célèbre boisson anisée locale l’emportent à plat de couture sur le café bien noir et serré. Les discussions et les rires volent, emportés par les bruits de la circulation environnante. Toutefois, plus les minutes passent et plus les téléphones sortent des poches pour être posés sur les tables au plateau de marbre. Maurice attablé depuis une petite heure en plein soleil est détendu, et un peu désabusé. « On pense quand même au résultat, mais je ne vais pas en faire une maladie. Les politiques font beaucoup de promesses sans jamais les tenir donc, que se soit l’un ou l’autre ce n’est pas un problème. Je vais écouter les résultats, mais cela ne me préoccupe pas ».
Même son de cloche pour bon nombre de Marseillais ou vacanciers qui tournent au fur et à mesure leurs chaises pour suivre la progression du soleil. Un touriste normand est affairé avec son smartphone. « J’attends les résultats, mais aussi de voir en ville la réaction des gens quant au visage dévoilé par les chaînes télévisées. Je n’ai pas voté, et je m’en voudrais si Mme Le Pen passe. » Charly a voté « par procuration, car je suis de Macé dans l’Orne. Au premier tour, je n’ai pas pu et je m’en mords les doigts, car mon candidat n’est pas passé. Après avoir suivi le débat, qui était assez pitoyable, je me devais de voter. » Les plateaux volent. Ils sont chargés de verres tous remplis de boissons alcoolisées ou non, mais ils ont pour dénominateur commun une bonne dose de glaçons. En face du comptoir en inox, la télévision diffuse en boucle une chaîne d’information continue, elle ne trouve pas son public. Aujourd’hui l’insouciance est de mise, le destin semble scellé.
Le brouhaha général monte d’un cran sur la grande terrasse, les visages sont penchés sur les téléphones et servent à se tenir au courant d’une actualité qui ne s’arrête jamais. Un septuagénaire se pose devant l’écran plat et regarde « je ne suis pas tendu mais très intéressé par ce qui se passe. Je suis allé voter, j’ai fait mon devoir de citoyen donc j’attends le résultat sereinement. »
Quelques klaxons se font entendre au loin
À la télévision, les quartiers généraux des deux camps s’animent. La foule s’amasse sur le parvis du Louvre. La file d’attente s’allonge d’une manière exponentielle. La tension est plus palpable à Vincennes. Le décompte fait son apparition, cinq, quatre, trois, deux, un… Le visage du nouveau président s’affiche, le service s’arrête un instant. Puis les serveurs reprennent les commandes, rangent les chaises, un « ouf » de soulagement est sorti, les affaires reprennent. Pour le reste de la population, le résultat est divulgué dans l’indifférence quasi-générale. Quelques klaxons se font entendre au loin, mais rien qui perturbe la quiétude du Vieux Port. La balade dominicale, un temps suspendue peu reprendre, les trottoirs ensoleillés accompagnent un foule, à la peau brunie, peu concernée par les échéances nationales.
Alors que la terrasse se vide petit à petit à mesure que l’ombre envahit le terrain, Hakim et Moktar ont leurs téléphones collés aux oreilles. Après des appels à la famille et aux amis, ils se confessent. Hakim, la cinquantaine joyeuse nous explique« On avait la démocratie en jeu aujourd’hui, nous sommes contents. Je reviens d’Indonésie, les gens sont étonnés de voir Mme Le Pen avec ses idées rétrogrades au deuxième tour, ils ne comprennent pas que notre pays en soit arrivé là. Avant de nous poser en terrasse, nous avons voté, puis fait un tour dans les bureaux pour prendre le pouls. Nous avons aussi discuté avec les gens dans la rue et nous nous sommes tenus informés sur internet. Maintenant, nous sommes heureux, un peu bon gré mal gré, mais heureux » .
En face de lui, Moktar un Perrier à la main jubile, en silence. Il a vu son poulain l’emporter. « Je l’avais dit quand il était au gouvernement qu’il avait la stature pour devenir un jour président. Le peuple a puni certains candidats, et élu un visage nouveau. La politique se renouvelle. On a maintenant un Pitbull avec un parcours exceptionnel, je suis convaincu qu’il fera de grandes choses, je ne doute pas de lui. » Le sourire étincelant du sexagénaire trahit son bonheur d’un soir, avant que son compagnon de sortie lance un bémol « M. Macron a eu le talent pour se faire élire, maintenant on va voir s’il va avoir le talent pour gouverner. » Les lunettes de soleil tombent sur le nez, le retour à la maison sera jovial pour ces Marseillais. Pendant ce temps à l’autre extrémité de la terrasse, deux jeunes gens sirotent des bières en profitant de la douceur de la fin de journée. Brendan a la mèche rebelle et la cigarette électronique vaporeuse, mais aussi la parole facile. « On revient de la plage, on a strictement rien suivi, d’ailleurs qui est passé ? » Une fois la victoire de l’ancien ministre d’Hollande confirmée, il poursuit « je suis soulagé, c’est le moins pire des deux qui passe. Je suis entrepreneur donc le programme de Macron correspond plutôt à mes activités. Toutefois, j’ai un doute sur la personne. D’ailleurs, je ne suis pas allé voter, car je ne me retrouvais dans aucun des candidats, puis j’étais sûr qu’il allait passer, donc il n’y avait aucun stress de mon côté. »
Pour l’OM face à Nice, aucune certitude.
Le soulagement est général, la population est déjà passée à l’après. D’ailleurs, une fois le ballet des plateaux terminé, il est venu le temps de ranger et nettoyer. Mais aussi d’enfiler le maillot et l’écharpe de l’OM. L’un des serveurs se précipite pour se rendre au Stade Vélodrome. « J’étais sûr de la victoire d’Emmanuel Macron, par contre concernant le match de ce soir, je n’ai aucune certitude. » Le nouveau Président va devoir aussi composer avec une France qui a voté pour lui pour sauver le République, mais qui reste sceptique. Alors que le drapeau bleu, blanc, rouge est agité par milliers à Paris sur l’esplanade du Louvre, l’équipe de la Samaritaine ferme les portes de la brasserie, chacun arbore un large sourire après une journée placée sous le signe d’un soleil éclatant. La recette s’avère être exceptionnelle malgré à un rare cocktail, entre la présidentielle, le match de l’OM et un fort mistral les Marseillais ont tout de même décidé de profiter de la douceur ambiante sur la terrasse de la Samaritaine.