Dès la station de métro Noailles, Marseille vibrait comme les grands jours, ceux des matchs ou des manifs. Pourtant pas de banderoles, pas de tag bleu et blanc sur les joues, un métro qui à chaque station se remplit tranquillement, jusqu’à être bondé au rond-point du Prado. En ce 23 septembre dès 13 h 00, les rames déversent à chaque passage des centaines de pèlerins qu’il suffit de suivre pour s’acheminer vers le Vélodrome. Pas de doute le peuple de Marseille a répondu présent au rendez-vous avec François. Les contrôles sont rigoureux, l’attente est longue et je cherche dans ma mémoire quel est l’événement qui ne soit, ni sportif, ni musical qui aurait attiré tant de monde. Me revient alors au début des années soixante-dix un meeting, qui se voulait historique, entre Enrico Berlinguer secrétaire général du Parti communiste italien et Georges Marchais que l’on ne présente plus. Le stade était plein d’un peuple ouvrier et militant venu de Nice à Alès pour célébrer ce qui devait être la fin du stalinisme et la naissance d’un eurocommunisme qui fit long feu. Il y eut aussi après paraît-il Jean-Marie Le Pen mais je n’y étais pas, puis, ce fut la fin, avec l’interdiction de rassemblement politique dans cet antre du sport.
Un public familial avec enfants, des groupes de jeunes joyeux et enthousiastes
Quel pari que de remplir ce stade pour une simple messe ! Le cardinal Aveline aurait pu pour conclure les Rencontres méditerranéennes célébrer un office à la Major avec une retransmission sur le parvis. Le diocèse de Marseille et son patron ont fait ce choix audacieux d’en appeler au peuple de Marseille pour accueillir massivement le pape François. Et le public qui est là n’est pas celui chenu et blanchi des messes du dimanche matin dans les églises clairsemées. Certes les anciens ont fait le déplacement, mais la majorité du public est venue en famille avec enfants et surtout massivement en groupe de jeunes, joyeux, enthousiastes, curieux. Il y a aussi ceux qui nombreux, n’ont aucune attache chrétienne, des athées, des mécréants, des chercheurs de sens, des musulmans dont certains se sont tournés vers Gomet’ pour trouver le chemin d’une place et qui ont voulu participer à cet événement d’exception autour d’un pape d’exception. Ils sont là aussi, et ils découvriront pas à pas la liturgie catholique.
Je dois me retrouver dans un stade, à vrai dire que je ne fréquente pas, rejoindre la tribune Ganay, porte 7 et au bloc K, et retrouver mes collègues de Radio Dialogue RCF. La présidente Francine Lanceleur, protestante a convié ses prédécesseurs, Robert Bodard, l’orthodoxe et l’auteur de ces lignes, protestant et président puis vice-président il y a une quinzaine d’années de cet objet œcuménique non identifié qui depuis 40 ans fait alterner à égalité dans sa gouvernance les quatre Églises chrétiennes de Marseille et Aix : arménienne, orthodoxe, protestante et catholique.
Le stade se remplit tranquillement, le virage sud avec les chasubles bleues est le plus dense et le plus enthousiaste. La pelouse qui a été protégée des piétinements reçoit peu à peu des participants qui resteront debout. Les gradins seront quasiment tous pleins à l’heure de la messe. Mais en attendant, se succèdent au micro, chanteurs et musiciens qui font patienter la foule comme le groupe lyonnais Glorius. Mais c’est Gad Elmaleh, l’acteur et humoriste, jeune baptisé catholique qui a le plus de succès et qui soulève l’enthousiasme : « Né au Maroc, dit-il, terre d’Islam qui a tremblé il y a quelques jours et à qui on envoie nos pensées et nos prières aujourd’hui, né dans une famille juive, je demande aujourd’hui la protection de Notre-Dame de la Garde. Je le veux, je l’assume, j’aime nos différences. »
Les 800 choristes réunis dans le virage nord répètent encore leur partition. Ils lancent la ola qui fait tanguer le stade. Le temps passe, puis une rumeur indique qu’il se passe quelque chose. Des deux entrées du virage sud, les prêtres, des centaines de prêtres en aube blanche entrent en bel ordre, traversent le stade par son mitant et rejoignent les gradins à la droite du siège papal, ils sont suivis par les évêques, nombreux, plusieurs dizaines qui eux escaladent les gradins de la tribune et seront à la hauteur du blanc fauteuil de l’évêque de Rome. Une tribune simple blanche, carré mais oh combien masculine et oh combien hiérarchique. Des centaines de prêtres, certes mais que des hommes et en haut, dominant, la hiérarchie des évêques. À l’heure où l’Église catholique réfléchit à son organisation synodale, cette scène semble d’un autre siècle.
Les deux écrans qui paraissent bien petit dans le contre-jour de cette chaude, très chaude après-midi, retransmettent le parcours de la papamobile sur le Prado.
Puis, enfin le véhicule blanc, avec à son bord le pape mais aussi le cardinal Aveline, fait son entrée sous les vivats dans le stade. Inutile d’essayer de le suivre des yeux, il suffit d’écouter la clameur et les applaudissements pour suivre ce lent tour de piste. C’est au virage sud que la surprise promise par les supporters décolle des gradins : un tifo, un portrait géant du pape devant la silhouette de Notre-Dame-de-la-Garde qui s’élève lentement jusqu’au ciel du stade.
L’œuvre éphémère se replie et le pape reprend sa déambulation vers le virage nord pour aller endosser les habits sacerdotaux. Pas une minute de retard, tout est chronométré. Les 36 chorales donnent de la voix sous la direction du chef Remy Littolff.
Le diocèse a passé commande d’une œuvre originale Missa Mare Nostrum pour chœur mixte, deux trompettes, deux trombones, timbales et orgue afin d’accompagner ce temps de recueillement. Le jeune compositeur Grégoire Rolland, organiste titulaire de la cathédrale d’Aix, en a écrit la partition et interprète la partie pour orgue. Une musique puissante qui doit s’imposer dans le stade et qui accompagne la liturgie mariale de cette messe votive dédiée à Notre-Dame-de-la-Garde.
« Nous avons besoin de retrouver passion et enthousiasme »
Pape François
Venu le temps de l’homélie, le pape François emprunte un ton plus posé, plus évangélique, plus marial que la veille lors de ses interventions publiques, mais il ne bouge pas d’un iota sur son exigence et sur son encouragement à l’humilité. Extraits : « Nous avons besoin de retrouver passion et enthousiasme, de redécouvrir le goût de l’engagement pour la fraternité, d’oser encore le risque de l’amour dans les familles et envers les plus faibles, et de retrouver dans l’Évangile une grâce qui transforme et rend belle la vie. »
« Nos villes métropolitaines, et tant de pays européens comme la France où coexistent des cultures et des religions différentes, sont en ce sens un grand défi contre les exacerbations de l’individualisme, contre les égoïsmes et les fermetures qui produisent solitudes et souffrances... »
Et nous voulons être des chrétiens qui rencontrent Dieu par la prière et nos frères par l’amour, des chrétiens qui tressaillent, vibrent, accueillent le feu de l’Esprit pour se laisser brûler par les questions d’aujourd’hui, par les défis de la Méditerranée, par le cri des pauvres, par les “saintes utopies” de fraternité et de paix qui attendent d’être réalisées.
Frères et sœurs, avec vous, je prie la Vierge, Notre-Dame de la Garde, de veiller sur votre vie, de garder la France, de garder toute l’Europe, et de nous faire tressaillir dans l’Esprit.»
Cet appel appuyé par un texte de Claudel soulève l’assistance qui va par la suite participer à l’Eucharistie. Le Cardinal Aveline officie devant les 57 000 participants, le Pape préside (contrairement à ce qui a été sous trop souvent écrit). Les milliers d’hosties, partagés grâce à 600 points de communion circulent dans les rangs et en un quart d’heure le défi est relevé.
« Je crois que ce soir, même la Bonne Mère a la larme à l’œil ! »
Jean-Marc Aveline
À la fin de ce temps d’eucharistie massive, Jean-Marc Aveline apparaît manifestement heureux, souriant, lumineux, mais surtout soulagé. Il s’avance vers le bord de l’estrade, alterne français et italien, pour s’adresser au Saint-Père et par des mots choisis et pleins d’humour déclenchant l’enthousiasme et une ferveur retenue pendant la messe. Vous avez été « baptisé marseillais » ose-t-il proclamer. Soulignant, non sans malice, que les Marseillais sont « à jamais les premiers » en France à avoir accueilli une messe célébrée par le Pape François, le cardinal affirme qu’en venant au Vélodrome, le Saint-Père a finalement rendu visite chez eux à tous les Marseillais : « Si vous saviez comme nous en sommes fiers et heureux ! Je crois que ce soir, même la Bonne Mère a la larme à l’œil ! ».
Liens utiles :
Notre dossier consacré à la visite du pape François à Marseille
[Document source] L’intégralité du discours du pape François au Mémorial des marins et migrants disparus
[Document source] L’intégralité du discours du pape François au Pharo