Gomet’, attaché à la vitalité du débat local, est heureux d’accueillir des contributions extérieures. Aujourd’hui, nous publions la tribune de Mathilde Chaboche, ancienne adjointe à l’urbanisme de la Ville de Marseille, démissionnaire en mai dernier. Co-fondatrice du collectif MadMars (qu’elle a quitté en juin), composante société civile du Printemps Marseillais vainqueur des élections municipales à Marseille en 2020, Mathilde Chaboche, est désormais simple conseillère municipale (inscrite dans le groupe écologiste et pluriel de la majorité municipale). Elle réagit ici aux annonces de la Première ministre Elisatbeth Borne, qui est revenue cette semaine sur les émeutes urbaines du début de l’été en France. Mathilde Chaboche propose une autre analyse et d’autres pistes de solutions.
Inscrits à la bombe sur un mur du centre-ville de Marseille, « On n’a rien à perdre à part nos vies de merde ! », ces mots résonnent depuis le début de l’été et les violences urbaines qu’a connues la France, dans la foulée de la mort d’un jeune adolescent, tué par un agent de police. Et depuis ? Beaucoup de mots et pas grand-chose d’autre.
Le gouvernement se réveille tout juste et nous propose un florilège d’actions principalement répressives : faisons vite taire cette révolte qu’on ne saurait entendre !
Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. Finissons-en avec l’hypocrisie de la novlangue, celle qui dit « quartiers prioritaires » pour dire « quartiers relégués », ou, pudiquement, « les quartiers » tout court pour désigner ceux où s’accumulent les difficultés. Assumons les vrais mots pour décrire les vraies choses : derrière la colère, il y a la pauvreté et de tous petits espoirs. Au mieux, quoi ? Un rendez-vous à Pôle Emploi pas trop humiliant ? Un logement social, un jour, dans la barre d’immeuble à côté de celle où on a grandi ? Quoi d’autre ?
Une triple relégation : sociale, spatiale et, souvent, raciale
Et en attendant ? L’échec scolaire, le décrochage, l’enclavement et l’assignation à résidence dans les ghettos qu’ont produits minutieusement des décennies de politiques publiques. Quoi d’autre ? Le sentiment d’indignité que renvoie sans cesse « l’institution », quelle qu’en soit l’incarnation : élu.es, police, école… Bref, une triple relégation : sociale, spatiale et, souvent, raciale.
C’est bien la pauvreté, celle qui se transmet et se reproduit implacablement de génération en génération, qui est le problème de fond. Et cette pauvreté,nous en sommes tous responsables. Comment ça, les pouvoirs publics – quelle que soit leur couleur politique – seraient responsables de la situation actuelle ? Attention : scoop !
Quand on croit « faire le job » en continuant d’empiler des logements sociaux dans les mêmes quartiers parfois pour faire grossir la misère dont certains font leur beurre électoral, quand certaines cités en sont à leur 3ème rénovation urbaine, quand on se dédouane du sujet en repeignant les halls d’immeubles… et qu’on se refuse à faire face aux sujets de fond, quand on considère tellement peu la jeunesse de certains quartiers qu’on n’a pour elle aucune ambition à part de la faire jouer au foot…
Oui, on est responsables, collectivement responsables de ne pas considérer toutes les habitantes et tous les habitants de notre pays comme égaux, dans toute leur dignité
Mathilde Chaboche
Oui, on est responsables, collectivement responsables de ne pas considérer toutes les habitantes et tous les habitants de notre pays comme égaux, dans toute leur dignité.
Nous avons le devoir de trouver, avec les habitant.es, des solutions, y compris avec les plus jeunes, bien placés pour expliquer ce qui les a conduits à se révolter récemment. Tout ce qui se fait sans nous, se fait contre nous.
Trois mots clés : éducation, formation, emploi
Il est urgent de passer aux mesures concrètes, en voici quelques pistes, simples, basiques :
1. Affronter les questions de fond et arrêter de penser qu’on peut se contenter de démolir quelques tours ou de venir distribuer de temps en temps dans les quartiers populaires quelques bienfaits – une crèche, un centre culturel ou un petit emploi pour l’un ou l’autre – pour s’acheter la paix.
2. Trois mots clés : éducation, formation, emploi. Pense-t-on sincèrement qu’un jeune en réussite scolaire, considéré avec dignité, qui aurait des perspectives sérieuses de succès académique et professionnel, irait risquer sa vie ? Personne n’est délinquant par vocation. Comprenons que ces jeunes n’ont rien à perdre parce que, justement, ils n’ont rien. Rien et surtout pas d’espoir.
Pour y remédier, il faut donner à l’Education nationale plus de moyens pour accompagner la réussite scolaire, déployer des programmes avec l’enseignement supérieur pour que ceux et celles qui s’en sortent ne soient plus une exception. Il convient aussi de mobiliser les entreprises dans l’accès à l’emploi et à l’insertion des publics issus des quartiers défavorisés. Ce n’est pas faire la charité, c’est faire société.
3. Redonner des forces et des moyens aux structures de prévention et de médiation sociale, sans déléguer cette fonction aux bailleurs sociaux car ce n’est pas qu’une fonction de maintien du calme dans les cités HLM.
Nous n’avons plus d’autre choix que celui du courage. Le courage de réparer ensemble nos villes, avec les jeunes et les habitant.es.
Mathilde Chaboche
4. Affecter des moyens renforcés à la santé publique dans les territoires les plus en difficulté, à la psychiatrie en particulier, ainsi qu’à toutes les disciplines de santé qui accompagnent les enfants et adolescents en difficulté.
5. Remettre en place une véritable police de proximité, présente au quotidien, dans tous les territoires, en veillant à ce qu’elle représente la diversité de notre pays.
6. Réhabiliter les forces de l’ordre et leur réaffecter les moyens nécessaires pour qu’elles puissent faire sereinement leur métier.
7. Stopper la production de ghettos en empêchant la concentration de logements sociaux dans les quartiers qui en sont déjà saturés, en imposant aux bailleurs sociaux la réhabilitation de leur parc, en assumant enfin des politiques urbaines qui visent la répartition des logements sociaux dans tous les quartiers en se préoccupant des vraies conditions de vie des vraies gens, et pas seulement des chiffres.
Face au désespoir, face à notre responsabilité collective, face à la colère, nous n’avons plus d’autre choix que celui du courage. Le courage de réparer ensemble nos villes, avec les jeunes et les habitant.es.
Mathilde Chaboche
Urbaniste et sociologue,
ayant travaillé dans des contextes urbains difficiles
depuis les bidonvilles de Casablanca, les camps de réfugiés de Port-au-Prince
et les quartiers Nord de Marseille en tant que coordinatrice du Labo Sociétal de l’Ecole Centrale de Marseille.
Conseillère municipale de Marseille et conseillère métropolitaine d’Aix-Marseille Provence.
Liens utiles :
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Le dossier de presse du Comité interministériel des villes à Comité de Chanteloup-les-Vignes du 27 octobre 2023