À l’occasion des Rencontres de la finance verte et solidaire, Gomet’ a invité Thien-Minh Polodna à prendre la parole. Le responsable commissions et relations membres du Forum pour l’investissement responsable précise comment la France fait partie des leaders mondiaux en matière d’investissement responsable.
La France fait partie des leaders mondiaux en matière d’investissement responsable. Plusieurs raisons expliquent ce positionnement mais la législation est définitivement l’une des principales.
Le reporting extra-financier des entreprises
Celle concernant les entreprises d’abord, en particulier leur reporting extra-financier, poussé dès 2010 avec la loi NRE, loi relative aux Nouvelles régulations économiques puis la loi Grenelle II et des dispositions comme la Déclaration de Performance extra-financière DPEF, avant les NFRD, Non financial reporting directive 1 et CSRD, Corporate sustainability reporting directive, européens. Elles ont « offert » aux investisseurs un accès à de nombreuses informations en matière de durabilité qui sont progressivement devenues plus granulaires.
Les investisseurs à découvert…
Elle concernant les investisseurs ensuite, avec notamment la loi Grenelle II : « Les sociétés d’investissement à capital variable et les sociétés de gestion mentionnent dans leur rapport annuel et dans les documents destinés à l’information de leurs souscripteurs les modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance. » L’article 173- VI de la Loi relative à la transition énergétique pour la croissante verte de 2015, a fait date et a été considéré comme une révolution ; il a obligé les investisseurs institutionnels à dire comment ils prenaient en compte la durabilité et le risque climatique dans leurs décisions d’investissement : comment ils faisaient de l’investissement responsable. Nous avons ensuite eu l’article 29 de la Loi Énergie Climat qui a renforcé ces obligations en ajoutant la composante biodiversité. Ces législations ont fortement œuvré en faveur du développement de la finance responsable. Ces différents dispositifs ont clairement influencé la réglementation européenne qui se met progressivement en place.
Mobiliser l’épargne
En ce qui concerne la mobilisation de l’épargne vers une économie plus responsable, la France a également été la première à instaurer en 2016 les labels publics ISR (Investissement socialement responsable) et GreenFin (finance verte) pour les fonds d’investissement ouverts au grand public. Si Novethic avait créé en 2009 un premier label ISR, il s’agit bien ici, d’un premier label d’investissement responsable d’Etat, porté par le ministère de l’Économie et des Finances. Il sera suivi du label GreenFin, porté le Ministère de la Transition écologique.
Le paysage législatif français est donc favorable à l’investissement responsable. 2023 a vu deux moments forts où politique et investissement responsables se sont entremêlés.
Say on climate : le froid…
Le « Say on Climate » est une résolution soumise par l’entreprise au vote des actionnaires lors de son assemblée générale. Cette résolution vise à recueillir l’avis des actionnaires sur la stratégie climatique de l’entreprise et/ou sa mise en œuvre. Le FIR soutient la généralisation d’un « Say on Climate » exigeant à toutes les entreprises depuis 2021. À l’occasion des débats sur la loi Industrie verte pendant l’été, le FIR a eu l’occasion de travailler avec Alexandre Holroyd, député Renaissance sur un amendement proposant la généralisation d’un Say on Climate non contraignant à toutes les entreprises cotées françaises.
Cet amendement, s’il avait été adopté, aurait constitué une révolution et permis aux investisseurs d’avoir un réel dialogue sur le climat avec les entreprises dans lesquelles elles sont investies. Il a fait l’objet d’un contre-lobbying intense notamment de la part des organisations patronales, l’AFEP en tête et faisait ainsi avant son passage à l’Assemblée nationale l’objet d’un avis défavorable du rapporteur de la loi et du Ministre Roland Lescure. Contre toute attente donc, il fut adopté le vendredi 21 juillet vers minuit grâce notamment au retrait d’amendements similaires, mais plus contraignants portés des députés insoumis et socialistes en sa faveur. Une nouvelle qui fut accueillie comme une réelle surprise et une bonne nouvelle, mais qui n’était pas définitive, dans la mesure où la loi Industrie verte devait encore passer en Commission mixte paritaire en octobre.
L’intense bataille en coulisses a continué à la rentrée et l’issue fut défavorable au Say on Climate dans la mesure où les deux rapporteurs (un pour l’Assemblée, l’autre pour le Sénat) se sont mis d’accord, avant même la CMP, pour retirer cet amendement. Une déception pour le FIR et d’autres organisations et ONG engagées ainsi que des investisseurs qui ont collectivement souligné cette « occasion manquée pour le climat » de la part des élus et du gouvernement.
La loi Industrie verte a fait l’objet d’intense batailles en coulisses et en séance à l’assemblée Crédit : Assemblée nationale.
Label ISR, investissement socialement responsable : le chaud
Le label ISR a agité la place financière ces dernières années. Lancé en 2016 pour servir de référence aux épargnants pour les fonds d’investissement responsable, il a très vite connu le succès auprès des gestionnaires d’actifs à tel point qu’en 2023, il représentait 1174 fonds labélisés ISR pour un encours total de 773 Mds€.
C’est un label généraliste d’investissement socialement responsable qui répond à un cahier des charges. Il a fait de plus en plus polémique au fur et à mesure que la masse de fonds labélisés augmentait. Quelles étaient les critiques ? C’est un label certes robuste, qui pose des bases sérieuses pour un fonds d’investissement responsable, mais qui ne répond pas forcément aux attentes des épargnants : C’est un label unique, global, généraliste. Un fonds répondant aux exigences minimums mais n’étant pas très ambitieux aura le même label qu’un fonds qui aurait un objectif ambitieux en matière de durabilité.
C’est une source de confusion pour les épargnants qui par exemple peuvent faire cette distinction sur les produits alimentaires grâce au Nutriscore. Il ne comporte aucune exclusion sectorielle, à contre- courant de quasiment tous les autres labels en Europe et à une époque où l’opinion publique s’est faite de plus en plus hostile à des secteurs comme le charbon, le tabac ou les hydrocarbures. Plusieurs sondages montrent aujourd’hui que les Français ne veulent pas financer ces secteurs avec leur épargne.
Ces critiques ont progressivement remis en cause la crédibilité d’un label qui n’avait pas évolué depuis 2016 et qui de facto participait selon certains à généraliser le greenwashing dans la finance. Les critiques n’ont pas été émises uniquement par des organisations militantes, puisque l’Inspection générale des finances a produit un rapport très critique en 2020 pointant un risque important de perte de crédibilité s’il n’évoluait pas rapidement.
En réaction, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, a mandaté en 2021 le Comité du label, garant de son bon fonctionnement, à travailler à une refonte en profondeur. Le comité a remis sa proposition finale en avril 2023. La proposition du comité d’exclure les énergies fossiles dans la nouvelle mouture du label dans un pays qui compte une entreprise de l’ampleur de TotalEnergies, fut sans aucun doute un vrai signal.
Un label qui retrouve sa crédibilité
Signal qui semble-t-il a fortement perturbé Bercy, retardant son arbitrage final. Comme pour le Say on Climate, une bataille intense a fait rage en coulisses pour et contre cette exclusion des hydrocarbures. Une lettre ouverte a notamment été adressée à Élisabeth Borne pour l’inciter à conserver cette exclusion, avec parmi la soixantaine de signataires le FIR mais aussi Jean Jouzel, Cécile Duflot ou Pascal Demurger. C’est finalement le mardi 7 novembre que Bercy a fait part de sa décision en entérinant bien le maintien de l’exclusion de ce secteur dans le label. Une décision saluée par de nombreux acteurs de l’investissement responsable tout comme les organisations militantes : le label sort du greenwashing. Des évolutions sont encore nécessaires pour aller vers des fonds plus exigeants pour répondre aux attentes des épargnants. C’est la prochaine étape.
Thien-Minh Polodna, responsable commissions et relations membres du Forum pour l’investissement responsable
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