Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM était l’invité de marque du Grand Bain, l’événement de rentrée de la French Tech Aix Marseille Région Sud (FTAM) mercredi 13 septembre, le jour même où le groupe de transports et de logistique fêtait ses 45 ans.
Après son arrivée dans les jardins du Pharo, accueilli par Julie Davico-Pahin, la présidente de FTAM et des membres du board de l’association, le dirigeant d’origine libanaise passe d’abord quelques minutes dans le village des exposants en s’arrêtant sur l’espace de Zebox, le dispositif d’incubation et d’accélération de start-up du groupe.
Rodolphe Saadé arrive ensuite sur la grande scène du Grand Bain pour partager sa vision, notamment de l’innovation. En ce jour anniversaire pour CMA CGM, il rend hommage à son père, Jacques Saadé, le fondateur de l’entreprise en 1978 à Marseille, et remercie tous les collaborateurs. « Je suis très fier du travail qui a été accompli » déclare Rodolphe Saadé qui développe lui-même le groupe à vitesse accélérée depuis qu’il en a pris les commandes en novembre 2017.
Ne pas opposer développement durable et développement des entreprises
Comment garder la culture de l’innovation dans un grand groupe l’interroge Julie Davico-Pahin, elle-même à la tête de la start-up Ombrea. « Il faut faire attention de ne pas se noyer dans trop d’administratif, observe le dirigeant qui emploie aujourd’hui 155 000 personnes dans le monde, dont près de 4 000 à Marseille où est situé son siège. « On a l’esprit d’imagination et on essaye de regarder les choses un peu autrement. Cela nous permet de faire abstraction de notre taille et d’essayer de faire des choses innovantes que les autres ne font pas nécessairement. » Un état d’esprit qui le guide dans de nombreux sujets.
A l’instar des enjeux climatiques. On apprend au passage le nouveau nom de baptême du fonds énergie doté de 1,5 milliard d’euros, lancé en septembre 2022 : “Pulse”. « Nous vivons dans une société où les crises environementales se succèdent (…) il faut que les entreprises puissent continuer à réfléchir et apporter des solutions innovantes. » Pour le patron il ne faut pas « opposer développement des entreprises et environnement, bien au contraire. »
L’IA un sujet “casse-gueule” sur lequel il faut investir
Autre sujet d’intérêt de Rodolphe Saadé : l’intelligence artificielle, l’IA. Il reconnait sa passion pour le domaine : « Parfois j’ai l’impression d’être comme un enfant dans un grand magasin de jouets où il y a énormément de choses. J’ai envie de tout prendre dans mes mains, de tout toucher mais je sais que ce n’est pas possible… et qu’il y a quand même certaines règles qu’il faut respecter. »
Interrogé justement sur la régulation du secteur, il avertit : « Attention, la France doit faire face à une concurrence effrénée d’autres grands pays. Si l’on se met à réguler à outrance, nous allons nous retrouver complètement largués. Je crois beaucoup à l’intelligence artificielle. Evidemment, il y a des règles.. cela va venir “en marchant”.» Il met ainsi en perspectives la révolution de l’IA avec celle du Web. « Souvenez-vous de l’époque du début d’Internet. On ne savait pas à cette époque ce qui nous attendait. Je pense que l’intelligence artificielle, c’est la même chose multiplié par mille. A partir de là, il faut que l’on soit humble. Nous allons recevoir un maximum d’informations et nous n’allons pas tout comprendre. A nous de poser les limites, de faire la part des choses.»
Rodolphe Saadé annonce qu’il a missionné Séverine Grégoire, l’actuelle responsable du start-up hub de CMA CGM et ex-entrepreneuse, pour s’occuper du dossier IA pour le groupe. « C’est un sujet casse-gueule mais tout le monde est dessus. Il n’y pas de raisons que nous n’y soyons pas. Donc nous avons déjà investi, notamment dans certaines start-up. Et on continuera à le faire.»
Etre entrepreneur, c’est un état d’esprit
Rodolphe Saadé
Aux commandes d’un géant mondial du transport et de la logistique, Rodolphe Saadé conserve une fibre entrepreneuriale de jeune premier lorsqu’il évoque la création et le développement d’une entreprise. S’adressant aux nombreux entrepreneurs présents dans la salle du Pharo, il ne cache pas son enthousiasme : « Vous avez une place géniale : démarrer sa “boite”, que vous soyez plusieurs ou seul, je trouve que c’est un super challenge. Le fait de se fixer “no limit” et de dire : avec mes moyens, je vais essayer d’aller très loin, je vais essayer de me battre au quotidien pour essayer de créer quelque chose… Peu importe le temps que cela va mettre, peu importe les coups que vous allez prendre. L’essentiel c’est d’y aller. (…) être entrepreneur, c’est un état d’esprit : l’envie de faire des choses un peu différemment. Vous avez une concurrence très forte. Il y a d’autres entrepreneurs qui ont des idées. Il n’empêche. Si vous avez envie, si vous croyez en ce que vous faites, il n’y a pas à hésiter une seule seconde, il faut foncer ! »
Aider Marseille à se développer
La conversation arrive ensuite sur la relation du dirigeant avec Marseille. « Il y a deux pays et deux villes que je porte particulièrement dans mon coeur : Marseille et Beyrouth. Par rapport à Marseille, je trouve qu’il y un potentiel énorme. Il y a plein de choses à faire, à voir. Il y a beaucoup de jeunesse. De temps en temps, elle est un peu paumée. Mais ce n’est pas grave. C’est aussi ce qui fait la richesse d’une ville. Et nous, en tant que groupe CMA CGM, on souhaite continuer à développer notre présence sur place et d’essayer d’aider le territoire. »
Il évoque les derniers dossiers majeurs dans lesquels il s’implique. « Dans certains cas, c’est vrai que l’on sort du transport maritime et de la logistique. Nous avons investis dans La Provence (…) Nous sommes aussi candidat à l’appel d’offre du Parc Chanot. Ce sont des sujets qui n’ont rien avoir avec le shipping. Je ne le fais pas pour gagner de l’argent. Je le fais juste pour aider parce que je pense qu’un groupe comme le nôtre, qui est ancré à Marseille et dont le siège est à Marseille se doit de donner un coup de main.» A ceux qui s’interrogeraient sur d’éventuelles arrière-pensées d’un tel un engagement, Rodolphe Saadé coupe court : « je ne fais pas de politique, ca ne m’intéresse absolument pas. Je le fais parce que c’est ma ville. et comme vous tous j’essaye d’aider. »
Financements : « il faut plus de souplesse et plus de réactivité »
Le débat s’ouvre aux questions de la salle. Un dirigeant de start-up l’interroge sur la politique RSE en direction des jeunes. « Nous attachons une importance forte aux jeunes. nous lançons différentes initiatives, notamment Zebox. Nous avons un fonds qui investit dans les start-up. La moyenne d’âge de notre groupe c’est 39,5 ans. (…) Je crois beaucoup en la jeunesse, ce qu’elle peut apporter. Les jeunes osent. Moi j’ai 53 ans, j’ose un peu moins, enfin façon de parler (sourire). Les jeunes ont moins de limites. Et c’est pour cela qu’il faut continuer à les pousser et à les mettre en avant. Ils nous apportent une réflexion différente et nouvelle par rapport à notre manière de travailler. »
Pierre d’Epenoux, PDG de la société de biotechnologies marseillaise Imcheck therapeutics interpelle lui sur un sujet qui fâche : la reprise par des groupes étrangers, notamment américains, de l’innovation française financée par l’effort national. « Je n’ai rien contre les groupes américains, observe d’emblée Rodolphe Saadé. Mais il insiste sur la nécessaire « fluidité » en évoquant les dispositifs et initiatives publics de soutien à l’innovation. Il concède ainsi que « si au final, pour un grand groupe ou une start-up c’est le parcours du combattant pour aller lever un peu d’argent, cela ne sert à rien de faire tout ça. Je suis un peu cash dans la manière de vous répondre parce que l’on a eu à nouveau ce matin une discussion sur un investissement que l’on souhaite faire dans la décarbonation. Il s’agit d’un centre de production d’e-méthane. Nous avons un partenaire français avec lequel nous aimerions mettre en place un accord pour lever des fonds. »
Même s’il reconnaît que CMA CGM a ses propres moyens, « dans des projets structurants comme celui que nous voulons lancer, ce serait bien, que même un groupe de notre taille, puisse se tourner vers des fonds nationaux qui peuvent aider et contribuer à certaines initiatives. Il faut donc plus de souplesse et plus de réactivité pour que les groupes américains ne viennent pas “taper dans la caisse“.»
Je suis très partisan de faire travailler des start-up sur certains projets
Rodolphe Saadé
Enfin, Rodolphe Saadé répond à une question sur la relation entre les start-up et les grands groupes. Une nouvelle occasion de faire part de son état d’esprit très favorable à l’innovation ouverte. « Quand une start-up propose une solution à un grand groupe, dans certains cas, il faut passer par le fameux Poc (preuve du concept, ndlr). et quand on dit à un grand groupe, “il faut faire des Poc” il répond : “c’est quoi cette histoire, je préfère développer la solution en interne. Cela va être plus rapide et cela va prendre moins de temps.” Evidemment, c’est faux. Il faut donc de temps en temps – on ne pas généraliser non plus – faire appel à des start-up. » Et il s’adresse directement à ses collaborateurs parmi lesquels certains ont fait le déplacement au Pharo. « Faire appel de temps en temps à une bonne start-up qui a une bonne idée et qui va essayer de nous développer en un temps record et avec un prix super compétitif, ça vaut la peine d’être envisagé, parce que sinon, on va dire : faisons en interne, et on va mettre six mois à commencer à travailler et un autre six mois pour délivrer. J’exagère, oui c’est vrai, mais c’est pour vous dire que je suis très partisan de faire travailler des start-up sur certains projets car vous avez des idées que nous grands groupes nous n’avons pas toujours. » Avis aux amateurs.
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