Les résultats du deuxième trimestre 2022 validé par le conseil d’administration du 2 septembre du groupe CMA CGM ne vont pas apaiser le débat sur une éventuelle taxation des superprofits. En trois mois, le chiffre d’affaires s’élève à 19,5 milliards de dollars, porté majoritairement par les activités maritimes du Groupe et l’Ebitda atteint 9,6 milliards de dollars, soit une marge de 49,2 %. Le rêve pour tout chef d’entreprise : lorsqu’un dollar entre dans la caisse, il en reste la moitié une fois toutes les charges payées.
Un excédent brut d’exploitation qui s’explique par le revenu exceptionnel du conteneur : le revenu moyen par EVP (équivalent vingt pieds soit 6,1 mètres) est de 2 850 dollars en légère hausse encore par rapport au premier trimestre (voir la courbe des prix de vente ci-dessous).
Au deuxième trimestre 2022, CMA CGM a transporté 5,6 millions d’EVP, pourtant en léger recul de 1,3 % par rapport à 2021. Le chiffre d’affaires de l’activité maritime, l’activité la plus rentable atteint 16 milliards de dollars. Le chiffre d’affaires de l’activité logistique (fret maritime et aérien), là où le groupe a investi, atteint 3,8 milliards de dollars avec un Ebitda de 340 millions de dollars. La croissance du chiffre d’affaires de CEVA a été soutenue par les acquisitions d’Ingram Micro CLS et Colis Privé finalisées en avril 2022. Ingram Micro CLS et Colis Privé ont respectivement contribué au chiffre d’affaires à hauteur de 375 et 64 millions de dollars.
Dans une telle situation, de marges d’exception, tout entrepreneur a quatre réflexes quasiment pavloviens :
- Ca ne va pas durer et Rodolphe Saadé a expliqué aux sénateurs le 21 juillet dernier que le prix actuel comme celui très bas d’avant le Covid était des anomalies « que le marché allait corriger ». « On n’a jamais connu une telle demande, le marché a explosé ! » Il a confirmé lors du Forum des entrepreneurs qui se déroulait à Marseille vendredi que la baisse des volumes et des tarifs était constatée depuis « quelques semaines. » (lire par ailleurs).
- Profitons-en ! La CMA CGM n’a pas simplement vu augmenter le prix du conteneur, elle a été en capacité de répondre à la demande. Elle engrange donc un excédent d’exploitation et aucune entreprise ne va, par masochisme renoncer à des clients prêts à payer. Rodolphe Saadé s’est insurgé au Sénat aussi sur l’importance donnée à la logistique dans l’inflation. Sur une paire de basket à 50 € qui vient d’Asie a-t-il plaidé « la logistique représente un euro, c’est beaucoup… et c’est peu » dit-il.
- Remboursons ! Sachant que cette opportunité de marge est conjoncturelle, tout entrepreneur cherchera à consolider ses bases financières en allégeant sa dette. « L’endettement net s’élève à 5,4 milliards de dollars au 30 juin 2022 (après prise en compte des placements financiers à moins d’un an), en baisse d’1,5 milliard par rapport au 31 mars 2022. » énonce le communiqué officiel.
- Investissons. Rodolphe Saadé se défend bec et ongles face à ceux qui veulent taxer ses super-profits : « 90 % des bénéfices du groupe sont réinvestis afin de préparer les relais de croissance des années à venir et répondre aux enjeux environnementaux. » Et le patron marseillais a dérouté plus d’un observateur en démultipliant les acquisitions souvent loin, en apparence de son cœur de métier.
Le premier semestre 2022 a été marqué par trois acquisitions qui permettent de renforcer l’offre de CEVA Logistics, filiale du Groupe CMA CGM :
- L’activité Commerce & Lifecycle Services d’Ingram Micro permet d’offrir une solution complète en logistique du e-commerce
- Colis Privé acteur de la logistique du dernier kilomètre
- Le 8 avril 2022, le Groupe CMA CGM a signé un accord en vue de l’acquisition de GEFCO un leader européen de la logistique contractuelle, spécialiste du segment automobile, notamment dans la logistique des véhicules finis.
Le groupe a décidé de faire de CMA CGM Air Cargo une compagnie aérienne de frêt française et a reçu le Certificat de transporteur aérien (CTA) auprès de la Direction générale de l’aviation civile française (DGAC) le 1er juin 2022. La flotte qui comptera 12 avions d’ici 2026, dont 10 opérés par le Groupe CMA CGM (et deux par des pilotes du Groupe Air France-KLM). En mai dernier, CMA CGM a signé un partenariat dans le fret aérien avec Air France-KLM et il est entré au capital d’Air France-KLM à hauteur de 9 %, pour un montant de 396 millions d’euros, devenant ainsi son premier actionnaire privé.
Un fonds de 1,5 milliard sur 5 ans pour la décarbonation
CMA CGM affiche comme objectif d’atteindre le Net Zéro Carbone en 2050 avec « des engagements concrets » :
- Arrêt du transport des déchets plastiques sur les navires du groupe depuis le 1er juin 2022.
- Partenariat avec Engie pour le projet Salamandre, lancé le 30 juin afin de produire 11 000 tonnes par an de biométhane de 2e génération.
- Partenariat avec le projet Jupiter 1000, 1er démonstrateur industriel en France de production d’hydrogène et de e-méthane à Fos-sur-Mer.
- Accueil de l’un des deux sites de l’Institut maritime français de la décarbonation, fondé par le Cluster Maritime Français, au sein de Tangram, le centre d’innovation et de formation du Groupe CMA CGM.
- Le 27 juin 2022 CMA CGM a obtenu la certification du Label « Green Marine Europe » de la Surfrider Foundation, premier programme volontaire de certification environnementale pour l’industrie maritime européenne.
Le 4 septembre 2022 le groupe a annoncé la création d’un Fonds spécial énergies, doté de 1,5 milliard sur cinq ans pour accélérer la transition énergétique qui investira pour soutenir la production industrielle de nouvelles énergies, ainsi que des solutions de mobilité à faibles émissions dans toutes les activités du groupe (transports maritime, terrestre et aérien ; activités portuaires et logistiques ; bureaux). Il permettra de soutenir une plateforme mondiale d’innovations développée avec de grandes entreprises, des PME, des start-up, des acteurs académiques et scientifiques. Il s’appuiera sur une équipe dédiée et opérationnelle dès octobre 2022.
Les tensions inflationnistes se traduisent par un ralentissement de la consommation des ménages et donc une modération de la demande de transport maritime
CMA CGM Communiqué
À ces quatre axes d’intervention de tout manager bénéficiant d’une manne inespérée, il faut pour CMA CGM en ajouter désormais un cinquième : son exposition médiatique, commerciale, politique. Avec Total Energies, le logisticien apparaît pour certains comme un « profiteur » de la crise, comme un enjeu de débats politiques éloigné des règles d’un marché cyclique et des mutations du marché mondial. Au Sénat Rodolphe Saadé a donné une leçon de géopolitique mondiale et de prospective des marchés, propos repris dans le communiqué du 2 septembre :
« Les chaînes logistiques mondiales ont connu des tensions inédites sous l’effet de la crise sanitaire, de la forte demande qui a suivi les confinements et de la guerre en Ukraine. La permanence de fortes tensions a pesé sur la capacité effective de la flotte mondiale depuis le début de l’année 2022 et sur les opérations du Groupe. La généralisation des congestions portuaires dégrade la qualité de service et limite les volumes transportés par la flotte maritime. (…) La forte hausse du coût de l’énergie, conjuguée à l’inflation du prix de nombreuses matières premières, pèse sur la consommation des ménages et pourrait dégrader la situation économique et les perspectives de croissance du commerce mondial. Depuis quelques semaines, les tensions inflationnistes se traduisent par un ralentissement de la consommation des ménages et donc une modération de la demande de transport maritime. Ces évolutions se traduisent dans certaines régions par une baisse des taux de fret spot. » Une façon de démontrer que le cash va servir pour aborder une période tendue.
Le communiqué sur les résultats du deuxième trimestre ressemble à un plaidoyer pro domo tant le groupe semble devoir se justifier. Aux sénateurs qui critiquaient son très modeste taux d’imposition réel (2%) Rodolphe Saadé répliquait toujours le 21 juillet « Quand le fret était à 350 dollars vous étiez où ? Regardez mes concurrents, je ne veux pas être le seul à payer ». Pour mémoire ses concurrents sont l’italo-suisse MSC et le danois Maersk qui ne redoutent pas une surtaxation des profits. La seule solution fiscale équitable à ses yeux devrait être européenne sans pour autant laisser la place libre aux compagnies asiatiques qui se développent en « hors taxes ».
A Marseille, lors de la rentrée économique des acteurs locaux réunis par l’UPE 13vendredi 9 septembre (lire par ailleurs), Rodolphe Saadé a bien confirmé qu’il n’était pas du tout favorable à une taxe nouvelle et défendu au contraire les investissements que les les bénéfices exceptionnels permettaient de réaliser.
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