Entretien avec le cinéaste culte Robert Guédiguian à l’occasion de la sortie de Et la fête continue.
Que s’est-il passé en quatre ans pour vous et pour nous pour que vous passiez du nihilisme de Gloria Mundi à l’optimisme de Et la Fête continue ?
Robert Guédiguian : On me l’a souvent dit dans d’autres films et dans d’autres temps. Quand j’ai fait La Ville est tranquille après Marius, on m’a dit : “Mais enfin vous êtes dépressif ! J’ai répondu : “Non. Je ne suis ni dépressif, ni joyeux. Je suis tout cela à la fois”. Ce que j’aimerais, c’est alterner une tragédie et une comédie en permanence. Ce n’est pas moi qui ait changé, c’est une autre manière de travailler sur le réel. Sinon, je suis comme tout le monde. Parfois je suis déprimé, parfois je suis combattif. Être en mouvement, être dans l’action, ce que dit le film d’ailleurs, être dans la pratique quotidienne, peu importe la forme exacte de cette pratique, c’est un très bon anti-dépresseur ! Justement, avec Serge Valetti, avec lequel j’écris depuis de nombreuses années, on s’est dit qu’après Gloria Mundi, on allait faire un film où tous les parcours des personnages se résolvent. Et, trouver des solutions individuelles, qui peut-être, peuvent déboucher sur des solutions collectives : solutions amoureuses, solutions pour se battre dans leur secteur etc. Du reste, on avait le titre avant de faire le film. Donc, c’était une volonté de faire ce geste-là. Ça ne veut pas dire forcément que je sois dans un état particulièrement optimiste en ce moment.
On a l’impression que vous avez voulu rebattre les cartes de Gloria Mundi, d’autant que vous tournez avec les mêmes acteurs ?
R.G. Oui, on peut dire cela. Ce groupe d’acteurs avec qui je travaille depuis des années, c’est comme si je travaillais dans un théâtre à Marseille avec la même troupe. Effectivement, je peux décider de décrire des personnages qui se débattent, et qui en se débattant deviennent de plus en plus agressifs envers les autres. Ça, c’est Gloria Mundi. Mais je peux décider aussi de montrer des personnages, qui au contraire, se débattent en aidant les autres. Ça, c’est ce film là, Et la fête continue ! Et si je pouvais, je passerai sans arrêt de la comédie à la tragédie et vice-versa. Je crois que les deux registres nous sont nécessaires, et qu’ils nous constituent.
Dans vos films, vous liez souvent le politique à l’intime, je pense notamment au père de Rosa qui était un militant communiste italien, c’est votre histoire de famille en quelque sorte ?
R.G. Je suis un peu dans tous les personnages, je revendique tout ce que disent les personnages. Je suis autant dans Alice que dans Gérard ou évidemment Rosa, la voix-off, tout ce qu’elle dit, et bien sûr les réflexions qu’elle a sur elle-même. C’est comme un journal intime que je ferais incarner par des personnages.
Vous avez réalisé deux films sur l’Arménie, Le voyage en Arménie et L’Armée du crime, mais il me semble que c’est la première fois où vous parlez aussi ouvertement de la culture arménienne, en quoi cela vous tenez à coeur de parler de l’Arménie et du Haut-Karabagh en particulier ?
R.G. Parce que peu de temps après qu’on ait commencé à écrire en septembre 2020, se sont passés les événements dans le Haut-Karabagh : ce qu’on a appelé la guerre des 44 jours, lorsque l’Azerbaïdjan a agressé l’Arménie. Puis, c’est vrai que je ne me doutais pas de ce qui allait se passer quelques années plus tard dans la région. Et puis, on a tourné le film il y a un an et demi en avril, mai.
Dans quel quartier avez-vous tourné les scènes du bar “La nouvelle Arménie” ?
R.G. Certaines scènes ont été tournées dans le quartier arménien de Saint-Loup. L’Eglise arménienne est juste à côté, et compte parmi les sept églises arméniennes de Marseille. En fait, le bar existe vraiment, il s’appelle Cilicie. C’est un vieux bar, qu’on a entièrement refait et redécoré. C’est un lieu que l’on connaissait bien, on l’avait déjà repéré pour d’autres films.
L’effondrement des immeubles, peut-il être perçu selon vous comme une métaphore de l’ancien monde et d’un nouveau monde très précaire ?
R.G. C’est vrai qu’on peut l’interpréter comme un effondrement d’un monde dans lequel on vit. Ce n’est pas que des immeubles qui se sont effondrés, c’est aussi notre rapport à notre pratique quotidienne, à nos modes de vie. Je crois que plus personne ne veut vivre comme on vivait il y a quinze ans. Du coup, à partir de cela il fallait inventer de nouvelles pratiques, et dans tous les cas, ne pas abandonner l’action collective.
Justement, l’action collective des gens de la rue d’Aubagne doit vous avoir bluffé ?
R.G. Bien sûr. Mais là c’est pareil, je n’ai pas fait d’enquête. J’étais en train de tourner Gloria Mundi quand cela s’est effondré. J’ai fait ce que j’ai pu faire, signer des textes, etc. et j’ai vu se constituer ces comités qui sont exceptionnels. Je les ai soutenus dès le début. Il y en a beaucoup qui sont dans le film, notamment le jour de l’inauguration de la place, ils font de la figuration.
Il y a une très belle scène au Théâtre Silvain situé dans le 7e arrondissement de Marseille dans laquelle vous rendez un hommage à Jean- Luc Godard à travers la musique du Mépris de Georges Delerue, vous pouvez nous en dire plus ?
R.G. C’est un hommage que j’avais décidé avant son décès. Donc, cette musique-là elle était calée trois mois avant qu’il meurt. C’est devenu un hommage d’autant plus clair qu’il l’était auparavant.
À propos de musique, elle occupe une place particulière dans le film. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec le compositeur Michel Pétrossian qui a également réalisé la partition du film Bravo Virtuose que vous avez produit et Gloria Mundi ?
R.G. On se connait bien depuis des années, on s’entend bien. C’est un film où il fallait beaucoup de musique parce qu’il n’y a pas une narration extrêmement serrée, avec un suspense, où on pose une intrigue, où on la résout . Donc, il fallait trouver quelque chose qui lie tout cela pour trouver une fluidité, qui nous fasse passer d’une situation à l’autre. Pour cela, la musique est d’une utilité extrêmement forte. Michel Petrossian nous a fait parvenir des thèmes et des moments musicaux bien avant qu’on ait monté le film. C’etait agréable, car j’ai eu l’impression de faire un peu de la musique avec lui, alors je ne suis pas du tout musicien. Donc je me suis mêlé de musique, non pas parce que je sais le faire, mais par goût. J’adore par exemple la guitare sèche que joue sur le personnage de Tonio. C’est une belle expérience. C’est la première fois que dans mes films la musique tient ce rôle là.
Liens et infos utiles :
A noter que la Friche de la Belle de Mai à Marseille consacre une exposition à Robert Guédiguian, intitulée “Avec le coeur conscient” jusqu’au 14 janvier 2024.
Robert Guédiguian dans les archives de Gomet’