En termes de pollution de l’atmosphère, les aciéristes font historiquement partie des mauvais élèves. La filière est aujourd’hui responsable de 7% des émissions de CO² du secteur de l’énergie. Dans la conjoncture économique et écologique que nous connaissons, les industriels de l’acier sont contraints de changer de modèle. L’hydrogène prend le pas sur le charbon, et s’apprête à bouleverser le marché mondial. À l’aube de cette métamorphose, de nouveaux acteurs émergent. La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer se présente comme une terre d’accueil des pionniers de l’hydrogène.
Créée en juin dernier par un consortium industriel d’envergure, la société GravitHy prépare son implantation dans la zone de Fos-sur-Mer. Elle s’est lancée le défi de mobiliser 2,2 milliards d’euros pour lancer en 2024 la construction d’une usine de production de fer réduit (DRI) et d’acier « décarboné » à partir d’hydrogène. Une première sur le sol français. Il lui reste environ un an pour obtenir l’ensemble des permis de construire, avant de passer entre les mains de la commission nationale du débat public (CNDP). Le début d’exploitation est quant à lui espéré en 2027. GravitHy vise à terme une capacité de deux millions de tonnes de « fer de réduction directe » par an.
L’électrolyseur de GravitHy va nécessiter 650 MW de puissance électrique
Le haut-fourneau GravitHy, dont l’emplacement exact est tenu secret, consommera d’abord de l’hydrogène gris, obtenu à partir de gaz naturel, avant que l’hydrogène vert, produit par électrolyse de l’eau, ne prenne progressivement le pas. Une méthode qui nécessitera d’ailleurs une ressource électrique considérable ; une super-ligne de 650MW sera dédiée à l’électrolyseur sur site. Pour fonctionner dans sa globalité, entre production d’hydrogène vert et de fer réduit, l’usine GravitHy requerra à terme près d’un gigawatt annuel. Une consommation équivalente à celle d’une ville comme Marseille. Côté visuel, l’unité de production de DRI se présentera sous la forme d’un four rotatif d’une centaine de mètres de hauteur.
En sortie de terre, la centrale GravitHy s’étalera sur près de 70 hectares – l’équivalent de 100 terrains de football – et devrait générer quelque 3000 postes dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. « La zone de Fos-sur-Mer n’a pas connu d’implantation industrielle de cette taille, et génératrice d’autant d’emplois depuis plus 35 ans », se réjouissait cet été Jean-Michel Diaz, le patron du groupement maritime et industriel de Fos (GMIF). GravitHy a lancé un premier plan de recrutements dans l’ingénierie. Toutefois, la création de postes directs en région ne représentera que 10% du total annoncé au départ, soit 300 emplois. Si le soufflet retombe un peu à ce niveau, ce nombre demeure, à titre d’exemple, six fois plus important que celui promis d’ici 2027 par le groupe allemand Hy2Gen, à Gardanne, à travers son projet d’usine de « biocarburants » baptisé Hynovera.
GravitHY compte sur « la culture ancestrale de l’acier sur le bassin »
À l’occasion de la troisième édition du salon Petrochymia, le rendez-vous des professionnels de l’industrie et de l’énergie organisé les 23 et 24 novembre à la Halle de Martigues, la rédaction de Gomet’ a échangé avec deux représentants français de GravitHy. Il s’agit d’Olivier Cade, le directeur financier de la société, et de Jean-Luc Ngoie Kadita, le chef de projet. Les deux hommes sont venus à la rencontre des acteurs locaux. D’abord pour présenter en personne l’ambition GravitHy lors d’une conférence dédiée à la décarbonation de l’industrie, mais surtout pour nouer des liens directs avec les pointures locales du secteur. Olivier Cade sollicite notamment « la culture ancestrale de l’acier sur le bassin » pour réussir à implanter GravitHy dans les meilleures conditions.
Et pour cause, la société a besoin de soutiens à toutes les échelles, et à tous les étages. À la fois sur le plan technique, vue sa forte demande en électricité, mais aussi sur le volet financier. GravitHy veut en effet décrocher le maximum de subventions, mais en actionnant les leviers de manière stratégique. « Il faut qu’on adresse les guichets, mais sans entraver l’activité de nos partenaires, sans les mettre en difficulté par ailleurs », nous indique Olivier Cade, et d’ajouter : « nous devons être tous ensemble pour relever ce gros défi ». La société GravitHy va, par ailleurs, ouvrir en janvier des bureaux au sein d’un coworking situé aux Docks village de la Joliette, à Marseille.
Un consortium international d’industriels à la genèse du projet
L’incubateur européen EIT InnoEnergy, à l’origine du projet GravitHy, se présente comme « le plus grand investisseur au monde en matière d’innovation dans l’énergie durable ». Pour mener à bien cette ambition, il s’est entouré de cinq grands noms de l’industrie européenne. Parmi les pères fondateurs de cette structure, on compte trois acteurs français ; l’énergéticien Engie, à travers sa filiale capital-risque Engie New Ventures, le promoteur et aménageur Groupe Idec, lui aussi via sa filiale « Invest innovation », ainsi que l’équipementier automobile Faurecia, devenu Forvia. Deux autres firmes étrangères complètent le tour de table. Il s’agit de Primetals Technologies, le fabricant londonien de DRI, membre du groupe américain historique Midrex, et de Plug Power, un électrolyseur américain spécialiste de la pile à hydrogène.
On est intégrateur, mais pas développeur.
Olivier Cade
À moins de deux ans de la pose de la première pierre, chacun commence à mobiliser ses fonds, en attendant les financements complémentaires et les subventions. Toutefois, l’entreprise GravitHy se garde pour le moment de dévoiler les montants mis sur la table par chacune des parties prenantes. « C’est un jeu à trois bandes », justifie Olivier Cade, qui s’attend à des entrées au capital dans les mois à venir. Le directeur financier précise que l’organigramme du groupe est encore en phase de constitution. L’usine de Fos-sur-Mer est un projet pilote, dont le module de production de DRI sera duplicable dans le monde entier. GravitHy envisage déjà l’implantation de deux autres sites en Europe.
GravitHy se positionne comme le prochain fournisseur d’ArcelorMittal
L’usine de Fos-sur-Mer, la première du projet GravitHy, permettra selon ses fondateurs d’éviter à terme jusqu’à quatre millions de tonnes de CO² par an, soit 5% des émissions industrielles françaises enregistrées en 2019. Une fois collecté, le fer de réduction directe (DRI) sera exploité de deux manières différentes. « Il sera utilisé sur place, comme matière première pour la fabrication d’acier vert, ou commercialisé au niveau mondial sous la forme de briquette HBI plus compacte », expliquait en juillet dernier Karine Vernier, l’ex-présidente du conseil de surveillance de GravitHy, remplacée depuis par Jacob Ruiter, le responsable du business chez EIT InnoEnergy. Le groupe ne précise cependant pas la proportion de chaque issue.
La mise en service de l’usine devrait notamment soulager le géant Arcelor Mittal, qui ferme l’un après l’autre ses hauts-fourneaux à charbon. « On a un besoin commun : l’énergie », remarque Jean-Luc Ngoie Kadita. L’entreprise GravitHy ne se positionne pas, en effet, comme un concurrent du sidérurgiste mondial, mais plutôt comme un partenaire à sa décarbonation. Un partenaire à même de lui fournir un complément de DRI. Cette denrée se substituera peu à peu à la fonte brute, un alliage de fer et de carbone dont la production est aujourd’hui considérée comme très polluante.
Liens utiles :
> GravitHy : la zone de Fos, bientôt pôle européen de production d’acier vert ?
> GravitHy à Fos : “Nous n’en sommes qu’aux prémices” (Serge Bornarel, UIMM)
> [Urgent] Projet européen GravitHY : une future usine d’acier vert à Fos