A l’occasion des premières Rencontres de la finance verte et solidaire organisées par Gomet’, Emery Jacquillat, ancien repreneur et dirigeant de la Camif, raconte son parcours qui l’a amené à reprendre et développer l’entreprise spécialisée dans la vente de produits d’ameublement. Il explique les vertus de la qualité d’entreprise à mission qu’il a contribué à créer en France et pourquoi ce modèle se développe en créant du sens pour les entreprises et un impact positif pour la société.
Pouvez-vous présenter ?
Emery Jacquillat : Je suis un entrepreneur. J’ai relancé la Camif en 2009 après sa faillite. La Camif était une coopérative qui avait été créée en 1947 par des instituteurs qui s’étaient regroupés après-guerre pour se rééquiper et qui s’est développée, pour nombre d’entre nous qui l’ont connue, avec le modèle de la vente par correspondance et les gros catalogues papier. Bousculée par l’arrivée d’internet, cette entreprise a fait faillite fin 2008.
J’étais convaincu que même si l’entreprise peut connaître des difficultés, il y a un changement de modèle possible. Une grande marque, surtout quand elle a des valeurs fortes, ça ne meurt jamais. Alors j’ai convaincu ma femme, ma famille et mon entreprise de déménager jusqu’à Niort pour relancer cette entreprise et surtout pour la réinventer. Au fond, on a fait le pari de l’inverse de ce qu’a fait la grande distribution depuis 40 ans, qui a toujours été cherché plus loin, moins cher. Alors que sur cette base de clients attachés à une consommation plus raisonnée, il y avait une place en France pour bâtir un modèle alternatif à la grande distribution, misant sur le local, la qualité, le durable.
En 2009, ce n’était pas évident et ce n’était pas gagné. Le “made in France” n’était pas du tout à la mode à l’époque. Il n’y avait pas eu encore le ministre qui portait la marinière, ni le Slip français. Et nous, pour autant, ça a été la façon de trouver une proposition de valeur qui crée une valeur économique, une valeur sociale, valeur environnementale, et puis une proposition de valeur qui fasse la différence.
L’une des premières innovations qu’on lance sur camif.fr en 2009, c’est de donner la possibilité à nos clients de pouvoir choisir leurs produits en fonction du lieu de fabrication, on peut rechercher par pays, par région, par département. On redonne ainsi le pouvoir au consommateur d’utiliser son pouvoir, son pouvoir d’achat pour favoriser l’économie locale, avec un double bénéfice, c’est plus d’emplois et c’est moins de CO2.
Aujourd’hui on travaille avec 125 fabricants français qui représentent 74 % de notre chiffre d’affaires, et l’aventure Camif a démarré avec ce modèle d’impact positif pour l’ensemble de ses parties prenantes, sur son territoire d’abord à Niort, où on s’est réinstallé, et pour ses fournisseurs français principalement. Aujourd’hui, on fait également 100 % de produits fabriqués en Europe, donc on a arrêté tous les produits grand import. Et sur l’équipement de la maison qui était le métier historique, donc on vend du meuble, de la literie, du linge de maison, de l’électroménager, avec cette transparence, que l’on donne au consommateur qui sait pourquoi il achète, à qui il achète, dans quelles conditions sociales et environnementales cela a été fabriqué.
Nous avons redémarré grâce à la fidélité des clients historiques de Camif. Mais aujourd’hui, 80% de nos clients sont plus jeunes et résolument inscrits dans cette consommation responsable.
Comment avez-vous obtenu le soutien des financiers ?
Emery Jacquillat : Le soutien de la finance, ça n’a pas été gagné tout de suite. 2008, la faillite de la Camif, la faillite Lehman Brothers et la crise financière mondiale. Donc je n’avais plus beaucoup de banquiers pour prêter de l’argent. Et pourtant, on avait besoin d’investir, on avait besoin aussi de soutien bancaire pour réaliser le projet. Et si, dans le contexte, on a malgré tout réussi à convaincre, des banquiers de financer notre aventure, c’est parce qu’on a eu le soutien de tous les acteurs de la région, de la communauté d’agglomération de Niort qui ont compris que le projet aurait un impact positif sur le territoire.
On a recréé sur le territoire, à Niort, à peu près 200 emplois en y installant un centre de relation client, un centre logistique et puis en déménageant notre siège social à Niort et en relançant Camif dans son berceau historique. Et ça a permis d’obtenir les soutiens bancaires puisque la région a garanti 95% de nos emprunts bancaires, ce sans quoi on faisait tout simplement pas le projet. J’ai bien compris que dans ce contexte de crise, qu’au fond, c’est parce qu’on avait mis l’impact positif au coeur du projet, avec un impact social pour le territoire à Niort, qu’on a tout simplement pu convaincre des banquiers de nous soutenir.
Une marque forte, c’est aussi un marqueur fort de différenciation, c’est aussi une protection, contre la guerre des prix et qui érode les marges
Emery Jacquillat
Et finalement, on a trouvé un fonds de famille, qui par cette vision de temps long, sur comment on projette le marché, l’équipement de la maison dans 25 ans, forcément, la part de l’internet se sera développée et forcément, d’avoir une marque forte, c’est aussi un marqueur fort de différenciation, c’est aussi une protection contre la guerre des prix et qui érode les marges. Donc, on a pu lever des fonds en 2009 auprès de ce fonds de famille, puis après la période de relance, le deuxième épisode important pour nous, et assez structurant, est arrivé en 2012-2013.
On a compris qu’on avait réussi la relance, mais qu’il y avait un enjeu clé qui était transformation notamment de notre clientèle. Nous avions 80% de nos clients qui avaient plus de 65 ans d’âge moyen. Donc il y avait une forme d’urgence à aller recruter des nouveaux clients. Qui dit recruter, dit des moyens pour le faire et puis également une transformation de l’offre parce qu’on propose pas les mêmes meubles à un client de 30 ans qu’à un client de 70 ans.
On a commencé à chercher des fonds pour nous accompagner dans cette deuxième phase de développement et de transformation de Camif. Et on a eu la chance de ne pas en trouver et ça nous a obligés à réorienter notre recherche. On a eu la chance de tomber sur l’un des tout premiers fonds d’impact créé en 2008, Citizen Capital, avec une thèse d’investissement qui était que ce sont les entreprises es plus utiles pour la société qui créeront le plus de valeur pour leurs actionnaires.
L’entreprise à mission : une accélération de transformation
Donc, on a été l’une des premières participations de Citizen Capital et ça nous a beaucoup challengé sur la structuration de notre démarche d’impact. C’est avec Citizen Capital que nous avons accompli tout le chemin sur l’entreprise à mission avec la rencontre des chercheurs de l’Ecole des mines, Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, qui a été structurante pour Camif, parce que c’est par l’entreprise à mission que l’on a accéléré la transformation de notre modèle, de notre offre, de notre clientèle.
Comment évaluez-vous vos performances économiques et financières ?
E.J. : L’évaluation de la performance qu’on fait, c’est la triple performance. C’est une performance économique, financière et une performance aussi sociale et une performance environnementale. C’est cette performance globale qui définit au fond la valeur créée par le projet, par Camif.
Quand on a redémarré, nous repartions de zéro. Cityzen Capital est arrivé en 2013 et ils sont sortis en 2021, puisque j’ai revendu Camif et j’ai fait à cette occasion-là sortir tous les fonds d’investissement qui nous ont fait confiance en 2021. La Maif a repris la Camif. C’est un peu le retour vers le futur (sourire).
On a doublé de taille en l’espace de sept à huit ans, donc c’est une belle croissance, tirée notamment par l’arrivée de nouveaux consommateurs, plus jeunes convaincus que l’on peut consommer moins et mieux, qui se posent davantage de questions avant d’acheter un produit et qui sont complètement alignés avec la proposition de valeur Camif, qui prône le local, la consommation responsable, l’économie circulaire.
Un rapport de mission avec un nombre d’indicateurs qui ne sont pas que des chiffres
Donc, cette croissance de chiffre a été évidemment tirée par le projet d’entreprise à mission qui a permis de structurer notre démarche d’impact qui a permis de pérenniser aussi la démarche d’impact parce qu’elle se poursuit aujourd’hui au sein du groupe MAIF et la crédibiliser, parce que l’on a chaque année rendu des comptes en publiant un rapport de mission avec un nombre d’indicateurs qui ne sont pas que des indicateurs chiffrés, d’ailleurs, parfois, il y a aussi des résultats d’actions.
Aujourd’hui, nous sommes pour la septième année consécutive en train de boycotter le Black Friday. On a démarré en 2017 ce boycott, qui allait d’ailleurs assez contre la logique économique puisque quand on ferme son site pour boycotter le Black Friday, c’est forcément le meilleur jour de l’année pour un e-commerçant. Quand vous passez à côté, c’est pas bon à court terme.
Le boycott du Black Friday été une magnifique preuve de notre engagement
Emery Jacquillat
Mais ce renoncement a été pour nous un déterminant en fait, puisque cela a été un marqueur très fort de notre engagement sur la consommation responsable, Notre premier objectif de mission est d’informer et de sensibiliser sur la consommation responsable. Sur le temps long, cela a permis d’accélérer le développement et le recrutement de nouveaux clients qui cherchent des entreprises qui sont engagées mais qui sont surtout capables d’apporter la preuve de leurs engagements. Et ça a été une magnifique preuve de notre engagement sur la consommation responsable.
Camif est devenue la marque préférée des Français dans l’équipement de la maison pour son engagement sur la consommation responsable. Et notre fierté, c’est que l’année dernière, 1500 sites e-commerce ont boycotté le Black Friday. On était seul en 2017. Donc, on porte aujourd’hui un message, et moi, je crois que le rôle de l’entreprise, c’est aussi d’avoir un rôle quelque part politique, c’est de développer cette consommation responsable parce qu’on sait très bien aujourd’hui : on est probablement la première génération à avoir pris conscience de ce lien entre ce qu’on observe, le dérèglement du climat, la biodiversité, et puis nos modes de vie, c’est à dire nos modes de consommation, de production. Donc il faut réduire tout cela.
Je ne prône pas nécessairement la décroissance mais je pense qu’on peut changer nos modèles et adopter une lecture finalement de la performance qui ne soit pas exclusivement sur la croissance mais qui est aussi sur l’impact positif du modèle. Le nôtre, on le mesure en terme social, chaque année, on fait une étude d’impact. Nous avons pu mesurer que quand on crée un emploi à Niort, c’est dix emplois que l’on crée en France. Et puis, en termes d’impact environnemental, on a fait notre bilan carbone Scope 3. Mais surtout, on va assez finement, et c’est au coeur de notre développement sur l’économie circulaire, mesurer l’empreinte carbone de chacun des produits qu’on développe sur Camif et aujourd’hui sur les analyses de cycle de vie qu’on a pu faire, on constat que l’on obtient environ une économie d’au moins 50 %de carbone émis par rapport à un produit classique qui n est pas éco-conçu et qui est fabriqué à l’autre bout de la planète comme à peu près 80% du marché du meuble. Donc on peut atteindre cette triple performance : d’abord sur le projet en termes de croissance, de chiffre, renouvellement de la clientèle et puis financière puisque les fonds d’investissements sont sortis, – et Maif a permis, leur a permis de réaliser une belle opération, mais une performance sociale et environnementale. Tout cela est complètement lié. Evidemment, si on n’avait pas fait ce chemin d’entreprise à mission, si on n’avait pas mis au coeur du projet l’impact positif sur la consommation responsable, sur le made in France, sur l’économie circulaire, on n’aurait pas réalisé cette valeur financière.
Les entreprises à mission : « on arrive à prouver qu’on peut réconcilier l’impact positif et les enjeux économiques »
Je crois que c’est ce qui est intéressant, aujourd’hui avec l’exemple Camif, et il y en a beaucoup d’autres évidemment, avec l’exemple des entreprises à mission, on arrive à prouver qu’on peut réconcilier l’impact positif et les enjeux économiques. Ce qui est évident aujourd’hui, c’est qu’on ne peut plus que se contenter de ne compter que les euros. On va devoir compter autre chose et d’intégrer avec le rapport extra financier un ensemble d’autres critères le CO2, mais pas que le CO2 aussi, les enjeux et l’impact sur la biodiversité, etc. De manière générale, on peut se dire que de toute façon, ça va devenir la norme, ça va devenir une norme comptable avec la CSRD qui arrive et qui va toucher finalement toutes les entreprises, parce que même les petites entreprises vont devoir répondre à leurs donneurs d’ordre qui sont plus grands, qui vont les questionner sur les impacts positifs ou négatifs de leur activité sur l’environnement.
Je crois que cette appréhension de la performance extra financière, elle va devenir centrale au fond, et probablement, ma conviction, c’est que c’est l’utilité de l’entreprise qui fera sa valeur. Aujourd’hui, on sait que la valeur des entreprises, est essentiellement immatérielle. On doit capter cette valeur, peut être moins rationnelle que l’Ebitda, mais qui incarne la qualité du lien qui est entretenu par exemple par une entreprise et l’ensemble de ses parties prenantes.
Qu’est ce qui fait que quand il y a une crise qui arrive, une entreprise va la passer alors que l’autre va en être victime alors que vous avez le même bilan. c’est qu’il n’y a pas la même qualité de lien. Celle qui va échouer ne peut pas compter sur la résilience de son écosystème qui a envie qu’elle s’en sorte avec des fournisseurs, qui vont faire les efforts, des collaborateurs qui vont être plus engagés et activement plus engagés pour que l’entreprise s’en sorte. Cette qualité du lien, elle n’apparaît finalement dans aucun bilan aujourd’hui. Et pourtant, elle est essentielle parce que c’est la vraie richesse des entreprises, c’est cette capacité à créer du lien. Donc on le voit bien aujourd’hui, probablement que l’essentiel de la valeur est immatérielle.
Comment mesurer concrètement cette valeur immatérielle ?
E.J. Nous sommes labellisés B Corp depuis 2014. On répond à 200 questions qui permettent toute la transparence sur l’information et les indicateurs en matière de responsabilité sociale de l’entreprise. Mais je mets un petit bémol sur les reporting extra financiers parce que même à travers les reporting extra-financiers, il y a des choses qui échappent à ces indicateurs. Notre engagement sur la consommation responsable quand on boycotte le Black Friday, ça ne rapporte pas de points, mais pourtant ça fait beaucoup de la valeur de Camif.
Je crois davantage à l’importance de l’action plutôt qu’à celle du reporting
Emery Jacquillat
Notre engagement sur la transformation de nos filières, sur l’économie circulaire. Là aussi, c’est quelque chose qui échappe assez largement au reporting. Et donc je crois davantage à l’importance de l’action plutôt qu’à celle du reporting. C’est pour ça que je trouve que l’entreprise à mission est un très beau modèle parce qu’il permet de mettre le focus sur l’action, mettre le focus sur ce qui compte vraiment pour l’entreprise, ce qu’elle peut changer dans le monde, sa contribution positive pour le monde.
Je pense que les deux logiques sont complémentaires. C’est bien d’avoir une démarche très 360 et un reporting extra financier assez complet pour éviter d’avoir des trous dans la raquette. Mais je crois que l’essentiel c’est de bien définir, finalement, pourquoi on existe, à quoi on sert, quelle est notre raison d’être et qu’est ce qu’on a envie de changer dans le monde ? Et ça, c’est par l’exercice de l’entreprise, à mission qu’on peut le faire. Le chemin qu’on avait sur l’entreprise à mission avec des chercheurs, avec Citizen Capital et avec quelques pionniers, a été un vrai levier d’engagement pour les collaborateurs, un vrai levier de transformation et d’accélération de la transformation de notre modèle.
Pourquoi avoir créé la communauté des entreprises à mission ?
E.J. : On s’est dit que ce modèle d’entreprise à mission est puissant et ce cadre, il faut qu’on le partage. Donc, en 2018, j’ai co-fondé la communauté des entreprises à mission pour offrir un cadre de partage aux dirigeants qui souhaitaient rendre leur entreprise plus contributive pour la société et continuer d’enrichir ce modèle qui était encore un peu naissant et de le faire connaître. C’est les trois piliers en fait de la mission de l’association qui est une association d’intérêt général. Alors on a tellement poussé ce modèle que finalement, lors des échanges sur la loi Pacte en 2019, on a vu naître dans la loi la société à mission qui est le cadre, qui avait été expérimenté, théorisé par les chercheurs en 2008 et expérimenté par Camif, poussé par la communauté des entreprises à mission. Alors qu’est ce que c’est qu’une société à mission ? En fait, c’est une société qui respecte trois grands critères : d’abord, une raison d’être, c’est à dire une société qui a pris le temps de réfléchir à pourquoi elle existe, ses objectifs sociaux, environnementaux.
Tout cela étant inscrit dans les statuts. Cette inscription statutaire est déterminante parce qu’elle permet d’avoir l’alignement des actionnaires sur le fait que l’entreprise n’est pas là uniquement et dans un premier but de partage du profit entre actionnaires, mais qu’elle a un vrai rôle, une utilité pour la société. Et c’est parce qu’elle est utile pour la société qu’elle créera de la valeur pour ses actionnaires. C’est un petit changement d’état d’esprit.
Le deuxième point va toucher à la gouvernance de l’entreprise, puisque l’on doit avoir, avec la société à mission, un comité de mission. C’est pour les entreprises de plus de 50 personnes. Mais même pour celles qui ont de moins de 50 personnes, on peut se contenter d’un référent mission. Mais ce qu’on constate au sein de la communauté, c’est que 80% d’entre-elles ont même créé un comité de mission.
C’est le premier organe de gouvernance qui défend véritablement l’intérêt de l’entreprise. Parce qu’au fond, si on regarde l’entreprise en droit, elle n existe pas. En droit, ce qui existe, c’est la société et la société, elle est gouvernée par son conseil d’administration qui représente ses actionnaires et qui défend les intérêts des actionnaires qui ne sont pas toujours alignés, notamment sur cette question du temps long et la question du rendement, avec l’intérêt de l’entreprise. Et là, avec le comité de mission dans lequel on retrouve principalement des représentants des parties prenantes de l’entreprise – des clients, des partenaires, des fournisseurs, des acteurs du territoire ou des experts des sujets sur lesquels l’entreprise s’est engagée.
On a pour la première fois, et c’est une vraie singularité du modèle français par rapport aux autres pays où le modèle s’est également développé, comme en Italie ou en Espagne. On va devoir bouger le coeur du modèle économique. Si on n’a pas un organe qui crée une tension dans l’entreprise, ça risque de moins bien marcher. C’est une vraie innovation.
Et le troisième point, c’est l’obligation de rendre des comptes avec la publication de ce rapport à mission chaque année et surtout l’organisme indépendant qui va venir vérifier la qualité de société à mission, par un audit qui aura lieu tous les deux ou trois ans selon la taille de l’entreprise.
C’est un cadre volontaire. Chaque entreprise peut ou pas décider de devenir société à mission. C’est un cadre qui permet à la fois de structurer l’engagement de l’entreprise parce qu’il oblige l’entreprise à formuler sa contribution positive pour la société. Et il pérennise l’engagement de l’entreprise parce que c’est inscrit dans les statuts.
Donc, quel que soit demain le changement d’actionnaire ou le changement de dirigeant, la mission, elle, va rester. Elle permet de crédibiliser l’engagement d’entreprise parce qu’on doit rendre des comptes. C’est un cap de progrès. Ce n’est pas un label, c’est vrai, ce n’est pas un statut, c’est une qualité qui vient s’adapter à tous les types de statuts d’entreprise. On le voit aujourd’hui, la dynamique est forte avec 1300 sociétés à mission. Ce chiffre double à peu près tous les ans depuis la création de la qualité de société à mission. La dynamique touche tous types d’entreprises, toutes formes juridiques d’entreprise et tous les secteurs d’activité. On a aussi bien des start-up (un tiers des sociétés à mission aujourd’hui) qui démarrent tout de suite avec leurs missions – c’est un signal qui est assez intéressant – que ds grands groupes. 9% sont des grandes entreprises comme Danone, la Maif, le Crédit Mutuel, la Banque Postale… 81 % sont des PME. Cela montre que c’est aussi un modèle accessible pour tout le monde, toute forme juridique, aussi bien des EURL, des SARL, des SA, des SAS, des mutuelles, des coopératives.
L’intérêt, c’est prendre le temps de dire sa contribution et c’est un acte de leadership assez fort pour un dirigeant aujourd’hui que d’affirmer finalement l’impact positif qui cherche à avoir à travers son modèle économique.
Tous les secteurs d’activité sont touchés, le premier étant la tech. Mais il y aussi la finance, et ce c’est pas un hasard à mon avis. On a aussi le conseil, l’agroalimentaire, l’industrie. On a intérêt finalement à réfléchir et à inscrire cette mission parce que c’est un levier d’engagement pour les collaborateurs. Cela redonne du sens au projet d’entreprise. C’est un levier pour la marque employeur qui est très fort aujourd’hui. Quand on sait la tension sur un ensemble de marché de l’emploi, c’est vraiment intéressant.
Un levier d’innovation pour inventer de nouveaux modèles
Et puis, il est un levier d’innovation pour inventer de nouveaux, de nouveaux modèles. Parce que l’enjeu, c’est d’accélérer la transformation de l’entreprise pour que l’économie soit soutenable, c’est préparer nos entreprises à cette crise que l’on traverse, la crise des ressources qu’elles soient humaines, financières, matérielles, les matières premières. Il faut réinventer nos modèles et l’entreprise à mission est un accélérateur de la réinvention de nos modèles. On a aussi une autre moitié d’entreprises qui ne sont pas encore sociétés à mission et qui sont en chemin vers la définition de leur mission, et qui viennent et qui adhèrent à la communauté pour se nourrir du retour d’expérience de celles qui ont déjà fait le chemin.
On a également mis en place des formations pour accompagner les dirigeants sur ce chemin qui peut être long car cela prend du temps de définir une bonne mission. L’enjeu aujourd’hui pour la communauté, c’est de se développer partout, sur tous les territoires à Marseille, à Lille, à Bordeaux, Nantes, Lyon. Voilà, c’est un développement territorial parce que la communauté a vraiment la vocation de développer le partage entre pairs.
Vous prenez désormais en charge le développement européen de la communauté des entreprises à mission. Pourquoi cet engagement ?
E.J. : Parce qu’on pense qu’il y a aujourd’hui une nécessité d’affirmer cette forme, cette vision, en fait assez humaniste et progressiste de l’entreprise qui est singulière. Et d’affirmer la souveraineté finalement européenne de notre vision d’un capitalisme plus responsable, plus engagé, parce qu’il est très différent du capitalisme chinois et américain; que l’entreprise a mission est probablement aussi un modèle très complémentaire des obligations et des normes qui arrivent avec la conformité la CSRD notamment. C’est un modèle qui va créer une valeur additionnelle pour l’entreprise.
Donc l’enjeu aujourd’hui pour moi, qui est depuis juin passé la main à la présidence de la communauté, c’est de prendre le flambeau du développement européen. Il y a déjà des pays qui ont adopté des modèles assez proches comme l’Italie et l’Espagne. J’ai été témoigner au Parlement suédois, en Belgique. Et l’enjeu est d’arriver à développer le modèle partout en Europe. Je pense qu’il y a un enjeu aussi pour pas mal de grandes entreprises, de grands groupes qui ne sont pas que franco-français pour qu’il y ait une forme d’harmonisation aussi de ce cadre qui crée beaucoup de valeur pour l’entreprise et pour la société.