Le président Emmanuel Macron, comme il s’y était engagé est venu faire un point sur l’opération « Marseille en grand » et évoqué la bataille du moment, la lutte contre le narco trafic. Une visite express pour survoler des dossiers sensibles, faire le bonheur de quelques rares politiques et renforcer la prudence ou l’amertume des autres. Dire aussi, aux Marseillais qui étaient conviés à l’écouter, qu’il les avait compris en les adjurant à croire que ses solutions étaient les bonnes.
Avec un quinquennat sur sa fin, beaucoup on le comprend sont restés sur leur faim. La France des médias s’est, du reste, peu mobilisée malgré force caméras et micros. Mais une fois encore Marseille s’est retrouvée cœur de cible avec un cortège de clichés qui ont la vie dure, et des réalités têtues difficiles à gommer, fusse d’un coup de baguette magique présidentiel.
Pourtant à porter son regard dans le rétro, on se rend compte que la cité de toutes les exagérations, les dérives, les passions fascine depuis des siècles. Et puisque le temps est aux cadeaux voilà quelques auteurs à déguster sans modération comme un pastis complice où les glaçons ne jetteraient pas un froid.

Marseille « est une ville agitée mais folklorique » alors que selon lui Paris « est une ville agitée mais anxiogène » (Olivier Marchal)
Olivier Marchal, toujours aussi amoureux des récits noirs, triomphe ainsi sur Netflix avec la saison 2 de Pax Massilia. Cet ancien flic, qui a laissé son flingue pour s’armer d’une caméra, aime filmer Marseille et cela se voit à l’écran. Récemment il confiait à La Provence son désir de ne tourner que dans cette ville où il « habite 80% de son temps ». Du coup malgré ses racines bordelaises, il se veut « Marseillais de cœur » et affirme que Marseille « est une ville agitée mais folklorique » alors que selon lui Paris « est une ville agitée mais anxiogène ». On veut donc bien croire que Marseille vaut bien une liesse, même si sa série ne laisse que peu de place à l’optimisme rigolard que quelques « stand-upers » s’entêtent à lui opposer.
Après tout, il y a deux siècles déjà, le plus pessimiste des philosophes, Arthur Schopenhauer – « La vie d’un homme n’est qu’une lutte pour l’existence avec la certitude d’être vaincu » – parlait de « la plus belle ville de France » où « le temps change tellement qu’on a souvent les quatre saisons le même jour » (Le journal de voyage, Le Temps retrouvé). Et de proclamer : « Je suis convaincu que Marseille est la plus belle ville de France, elle est tellement différente de toutes les autres. » Il avait été précédé il est vrai dans cette affirmation par un autre observateur enthousiaste le Saint Rémois César de Nostradamus (1503-1566) qui affirmait que « ceste ville maritime et demi-grecque » était « autant fidèle qu’indomesticable, inforçable et puissante ». Et les canons de Louis XIV tournés vers le Vieux-Port s’en souviennent encore.
Malgré toutes les médisances colportées, ce serait fauter de méconnaître toutes les évocations littéraires qui, au fil du temps, ont réhabilité malgré les vents contraires Marseille la pestiférée, la rebelle, l’inclassable.
« Le fond de ce climat est sain et le fond de ses habitants est bon » (Georges Sand)
Georges Sand avec sa virile féminité écrira tout haut ce que les détracteurs de la ville murmuraient tout bas. « Marseille est une ville magnifique qui froisse et déplaît au premier abord par la rudesse de son climat et de ses habitants. On s’y fait pourtant, car le fond de ce climat est sain et le fond de ses habitants est bon (…) On comprend qu’on puisse s’habituer à la brutalité du mistral, aux colères de la mer, et aux ardeurs d’un implacable soleil, quand on trouve là, dans une cité opulente, toutes les ressources de la civilisation à tous les degrés où on peut se les procurer, et quand on parcourt, sur un rayon de quelque étendue, cette Provence aussi étrange et aussi belle en bien des endroits que beaucoup d’endroits un peu trop vantés de l’Italie. » (Lettre : 1839, séjour à Marseille, avec Frédéric Chopin)
« Tutto va bene » donc comme le disaient les « babis » réfugiés dans le quartier du Panier. Même si tout n’allait pas si bien que cela pour ces Italiens qui survivaient dans ces rues que Victor Hugo décrivait ainsi : « Un tas de maisons sous un beau ciel ».
On ne s’étonnera pas de trouver en Guy de Maupassant la fascination pour Marseille et sa folie lui qui allait finir par y sombrer. « Marseille palpite sous le gai soleil d’un jour d’été. Elle semble rire, avec ses grands cafés pavoisés, ses chevaux coiffés d’un chapeau de paille comme pour une mascarade, ses gens affairés et bruyants. Elle semble grise avec son accent qui chante par les rues, son accent que tout le monde fait sonner comme par défi. Ailleurs un Marseillais amuse, et paraît une sorte d’étranger, écorchant le français ; à Marseille, tous les Marseillais réunis donnent à l’accent une exagération qui prend les allures d’une farce. » Et même la cité canaille le séduit et l’inspire autant qu’une boule de suif. « Marseille au soleil transpire, comme une belle fille qui manquerait de soins, car elle sent l’ail, la gueuse, et mille choses encore. » (Au Soleil Guy de Maupassant Albin Michel).

Un autre fou génial a failli poser ses pas en terre phocéenne. Vincent Van Gogh voulait y admirer les bouquets du peintre marseillais Adolphe Monticelli qui l’avaient ébloui à Paris. Hélas contrairement aux Cézanne, Braque, Derain et autres Dufy qui ne se lassèrent pas d’admirer et d’immortaliser sa baie depuis l’Estaque, Van Gogh s’arrêta à Arles pour le meilleur et le pire. Tous avaient en commun d’avoir été irradiés par la lumière de Marseille.
Ce littoral balayé par le vent et brûlé par le soleil qui laisse parfois à croire à un « invincible été », Albert Camus dont le grand-père paternel était Marseillais l’a parfaitement appréhendé en une phrase en assurant que la ville était « au croisement de ces multiples diagonales méditerranéennes. »
Albert Londres l’attestera avec sa « Porte du Sud » : « J’ai bravé tant de difficultés. J’ai planté mon poteau au milieu de ce tourbillon et, comme Ulysse attaché à son mât, j’ai pu entendre, sans risquer d’être emporté, siffler toutes les sirènes du grand port. C’étaient les départs pour la Chine, les arrivées des Indes. Ce jour, on embarquait de la jeunesse en uniforme pour le Maroc et autre Syrie. C’étaient les émigrants de toutes langues, hagards sous le soleil, les Anglais pour qui Marseille n’est qu’un pont reliant Londres à Bombay. C’étaient les Italiens. Mais là, il faut s’arrêter. Un jour, pour calmer mon esprit en proie au doute, j’ai dû acheter une géographie et contrôler de mes yeux que Marseille était bien dans un département qui s’appelait les Bouches-du-Rhône. J’ai fermé la géographie. Le lendemain, je l’ouvris de nouveau. Marseille était dans les Bouches-du-Rhône, cependant les Bouches-du-Rhône devaient être en Italie. Eh bien ! non, ce département était en France. » (Marseille Porte du Sud, Albert Londres Babelio).

« Ces maisons, ces arbres, ces eaux, ces rochers, ces trottoirs qui peu à peu allaient se révéler à moi et me révéler à moi-même. » (Simone de Beauvoir)
Simone de Beauvoir nommée en 1931, pour son premier poste de professeur de Lettres au lycée de jeunes filles Montgrand, ressentira elle aussi ce vertige avant d’y succomber. « Je me rappelle mon arrivée à Marseille comme si elle avait marqué dans mon histoire un tournant absolument neuf. J’avais laissé ma valise à la consigne et je m’immobilisai en haut du grand escalier. « Marseille », me dis-je. Sous le ciel bleu, des tuiles ensoleillées, des trous d’ombre, des platanes couleur d’automne ; au loin des collines et le bleu de la mer ; une rumeur montait de la ville avec une odeur d’herbes brûlées et des gens allaient, venaient au creux des rues noires. Marseille (…). Et puis, un grand bonheur m’avait été donné. Ici, je n’existais pour personne ; quelque part, sous un de ces toits, j’aurais à faire quatorze heures de cours chaque semaine : rien d’autre n’était prévu pour moi, pas même le lit où je dormirais ; mes occupations, mes habitudes, mes plaisirs, c’était à moi de les inventer. Je me mis à descendre l’escalier ; je m’arrêtais à chaque marche, émue par ces maisons, ces arbres, ces eaux, ces rochers, ces trottoirs qui peu à peu allaient se révéler à moi et me révéler à moi-même. » (La force de l’âge, Simone de Beauvoir Folio)
« La seule des capitales antiques qui ne nous écrase pas avec les monuments de son passé » (Blaise Cendrars)
Blaise Cendrars qui a fait de la pègre la chair de ses romans, a été fasciné de la même façon par cette cité, qui fut nommée « ville sans nom » quelques semaines en 1794, pour avoir tenu tête aux Jacobins. Pour Cendrars et tant d’autres sa singularité n’avait en effet pas de nom. Il estimait qu’elle était « la seule des capitales antiques qui ne nous écrase pas avec les monuments de son passé (…) Elle a l’air bon enfant et rigolarde. Elle est sale et mal foutue. Mais c’est néanmoins une des villes les plus mystérieuses du monde et des plus difficiles à déchiffrer. Je crois tout simplement que Marseille a eu de la chance, d’où son exubérance, sa magnifique vitalité, son désordre, sa désinvolture. » et l’écrivain de décrire « cet air de secret sur lequel on bute partout à Marseille (…) Jamais Marseille n’a essayé de se dépasser et de faire grand, trop grand, voire grandiose. C’est une ville qui reste humaine. ». (Le Vieux Port, Blaise Cendrars, Flammarion).
Londres ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme qu’elle « engage, en notre nom, la conversation avec la terre entière ». Toutes choses bonnes à rappeler alors qu’à la veille d’un nouveau scrutin quelques ignares appellent au repli, au ghetto, à l’apartheid. Et pour ceux qui douteraient encore de la place que Marseille tient dans la sphère littéraire une affirmation de l’historien Claude Camou parlant de l’immense auteur du Comte de Montecristo devrait les convaincre : « si Alexandre Dumas n’était pas marseillais, il aurait mérité de l’être. ».
Puisqu’enfin nous voulons croire en ces temps turbulents que la poésie adoucit les mœurs, citons Jean Cocteau, lui aussi épris de la ville.
« Les cafés de Marseille
Sont plus beaux que le port
Les marins s’y asseyent
Dans des carrosses d’or
Ou bien sur leurs épaules
Déchargent les bateaux
Plein des glaces du pôle
De fruits et de gâteaux ».
(Le fantôme de Marseille, Autres temps)
Ou pour revenir à la politique, François Mitterrand, président de la République remerciant de l’invitation du maire de « l’offrande qui vient de m’être faite, de ce souvenir ancré dans votre histoire et je dirai sans ambages que pour moi, venir à Marseille, cela a toujours représenté une étape heureuse. Que de fois ai-je pu y vivre des heures, non seulement d’action ou de discours, mais aussi de détente, de conversation qui duraient tard le soir, où l’on faisait quoi donc ? Rien d’autre que de rebâtir le monde. »
Voilà une mission qui est loin d’être aboutie et alors que l’aube d’une nouvelle année pointe ses premiers rayons, on se prend à songer que les hommes et les femmes, qui prétendent guider la ville, soient à la hauteur de ceux qui l’ont célébrée par l’image, les vers, la prose. Dans Total Khéops l’immense Jean-Claude Izzo décrivant le Panier écrit « la rénovation du quartier avait quelque chose d’inachevé. » La ville toute entière a besoin de rebâtir ses rêves.

Lien utile :
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