Devant l’entrée du siège de la Métropole Aix-Marseille-Provence au palais du Pharo, une vingtaine de militants de la « Zone à protéger » de Pertuis déplient la banderole « Qui ose encore bétonner des terres à nourrir ? » Le projet d’extension de la zone d’activité économique (ZAE) sur des terres irriguéesde 87 hectares – dans le creux du lit de la Durance aux portes du Luberon – connaît un nouveau rebondissement. La présidente de la Métropole, Martine Vassal, a annoncé lors du conseil métropolitain le 30 juinremettre le dossier « à plat. » Une commission auditionnera en septembre les agriculteurs, habitants, élus et entreprises concernés afin de redessiner les contours du projet.
Pour comprendre les enjeux de la ZAP, il faut remonter en 2019. A cette époque, le programme de fusion nucléaire Iter (réacteur thermonucléaire expérimental international) installé au centre de Cadarache à Saint-Paul-lez-Durance, recherchait du foncier pour entreposer du matériel. Dans le même temps, l’entreprise de machines agricolesPellenc SAS veut également étendre ses activités. Fondée par le maire de la ville de Pertuis, Roger Pellenc, qui assure ne plus y travailler depuis 2017, l’entreprise projette d’atteindre 450 millions de chiffre d’affaires en 2023. « Mon nom représente déjà trois entreprises sur Pertuis [Pellenc SAS, Pellenc Selective Technology, Pellenc Energy, Ndlr]. Je considère que d’ici 2030, Pellenc sera le premier employeur local avec en gros 1 000 emplois », déclarait l’élu en janvier 2022 sur la chaîne LCP.
Ce projet d’extension n’est pas nouveau dans la tête du maire, élu à Pertuis depuis 2008. Dans un rapport de 2010, Roger Pellenc exposait déjà sa vision précise d’un projet industriel de 15 millions d’euros dont cinq millions d’euros de travaux consacrés à l’endiguement de la Durance. Dix ans plus tard, un arrêté préfectoral de mai 2020 autorise ces travaux pour lutter contre les crues de la rivière, en prévision des constructions à venir. « La collectivité a bien dépensé ces cinq millions. Mais cet endiguement met en danger le lit de la Durance et tout le cycle de l’eau…! », martèle Jean-Michel, membre de l’association SOS Durance Vivante.« La bétonnisation de ces terres inondables vient renforcer les risques d’inondation », poursuit le militant rappelant que la Durance est déjà la rivière la plus bétonnée de France.
Un mois plus tard, la préfecture du Vaucluse déclare « d’utilité publique la constitution d’une réserve foncière sur le secteur de la Zone d’activité économique. » La déclaration d’utilité publique (DUP) signée, le projet peut alors commencer. La première étape est de transformer les parcelles en réserve foncière pour ensuite les diviser en deux parts : l’une de 56 hectares pour accueillir les projets d’Iter, l’autre de 30 hectares pour l’extansion des entreprises Pellenc. « Ce projet est un vrai cocktail toxique avec des méthodes de seigneur féodal [le maire Roger Pellenc, Ndlr] de s’approprier les terres pour des intérêts personnels », assume Sébastien Barles, l’adjoint à l’environnement de la ville de Marseille.
La remise en question du projet Iter
Au fils des semaines, les habitants apprennent l’ampleur du projet « par lettre recommandée d’expulsion… Ce qui est extraordinaire dans notre démocratie ! », s’indigne Bernadette Cailleaux-Puggioni, membre de Terres Vives Pertuis, un mouvement citoyen contestataire du projet. Aujourd’hui, six maisons ont été démolies pour constituer la réserve foncière. « Les travaux ont été menés sans précaution alors qu’elles sont bourrées de plomb et d’amiante », s’emporte la militante face aux journalistes présents au Pharo.
Mais l’avenir du projet sur ces parcelles fertiles – appelées « Zone à patates » par les contestataires depuis leur installation en novembre 2021 – vacille. Du côté d’Iter, les besoins d’entreposer du matériel ont été revusà cause de la livraison tardives du terrain. « L’Autorité de sureté nucléaire (ASN) a gelé le projet. Donc l’alibi Iter n’est plus de mise. Il n’y a aucune nécessité de développer une sous-traitance d’Iter sur Pertuis, assure Sébastien Barles, Ce que l’on demande au Conseil municipal c’est d’appliquer le « zéro artificialisation nette des sols ».
Que faire alors des parcelles ?
Sur ces hectares, les militants de la « Zone à patates » prônent plutôt le développement de l’agriculture de proximité, notamment pour augmenter la production de patates, une spécialité bien connue de Pertuis. « Il nous faut des surfaces ! Certains pensent que l’on peut mettre l’agriculture sous cloche pour nourrir la planète. Mais si on veut une agriculture respectueuse, on a besoin de garder de la surface. Chaque fois qu’on enlève de la surface à l’agriculture, on accepte que l’agriculture d’industrialise un peu plus », prévient un agriculteur syndiqué à la Confédération paysanne desBouches-du-Rhône qui regroupe une centaine de membres.
Selon une étude de décembre 2021 de Agreste (statistiques du ministère de la transition écologique), le nombre d’exploitation agricole en Provence-Alpes-Côte d’Azur a chuté de 18% entre 2010 et 2020, même si le niveau d’emploi se maintient (-1%). « Il faut retrouver notre souveraineté alimentaire en privilégiant l’accès aux terres pour les agriculteurs,explique Aicha Sif, l’adjointe à l’agriculture durable de Marseille, Car le prix du foncier, porté par la spéculation foncière est un des plus gros obstacles pour eux. » D’autant que, « un hectare de terre agricole peut créer cinq à six emplois », glisse une autre militante qui tente de se faire entendre. Considérant les 87 hectares, 480 emplois pourraient ainsi être crées sur la zone.
Mais ces choix sont éminemment politiques. « Monsieur Pellenc avait un avantage car il était proche des membres du CT2 (Aix-en-Provence) qui gérait le projet », lance Sébastien Barles. Mais, à présent, l’avenir de l’expansion de la ZAE de Pertuis dépend de la Métropole centrale. Les conseils de territoire ont disparu début juillet 2022. Contacté par Gomet’, le maire de Pertuis n’a pas souhaité donner suite à notre demande d’entretien. « Roger Pellenc aura l’occasion de communiquer à la rentrée au regard des derniers développements du dossier», botte en touche son cabinet.
Une date bien choisie, puisqu’en septembre, la commission de la Métropole, annoncée par Martine Vassal, aura été mise en place. Mais cet engagement de la présidente Martine Vassal a beau être « un pas positif », les militants préfèrent rester « vigilants sur les résultats » et se concentrer sur l’objectif de rassembler plus de 100 000 signataires de la pétition en ligne qui recueille près de 35 000 signatures.
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