Aurélien Viers a pris ses fonctions de directeur de la rédaction de La Provence en mars 2023, à la suite du rachat par la CMA CGM en septembre 2022. Auparavant rédacteur en chef du pôle vidéo du Parisien, le journaliste détaille les ambitions de son nouveau projet : faire de La Provence un quotidien régional de référence sur le papier comme sur le web grâce au développement de nouveaux formats.
Quelle est votre nouvelle vision pour le journal ?
Aurélien Viers : Notre projet est d’être un média régional de référence et pas seulement un journal. Un média de référence crée l’actualité, sort des infos, des scoops, des reportages, des récits, des portraits, des témoignages… J’aime bien l’école du terrain. Ces dernières années, nous sommes concurrencés sur le web avec BFM Marseille, Actu Marseille, 20 minutes Marseille, ou des pure players. Notre ambition est donc d’être le média le plus lu, pas seulement sur le print, mais aussi sur le web, la vidéo, l’audio.
Après une consultation de la rédaction, 93,6% des journalistes (sur 83,4% répondants) ont validé votre nouvelle ligne éditoriale. Est-ce votre méthode collaborative qui a payé ?
A. V. : Avant mon arrivée, les représentants syndicaux avaient négocié avec l’actionnaire [CMA CGM, Ndlr] un vote sur le projet du prochain directeur de la rédaction. Il a fallu deux mois pour faire le tour des équipes dans les trois départements afin de faire un bilan, puis construire un projet avant la fin de la clause de cession prévue fin mai. Cela faisait des années que la rédaction n’avait pas parlé ensemble pour imaginer la suite, comme nous l’avons organisé au cours de plusieurs ateliers. C’est donc un projet qui s’est fait ensemble et qui a reçu un accueil favorable.
Près de 60 journalistes sont désormais partis avec la clause de cession. Projetez-vous de recruter un poste pour un poste ?
A. V : Plusieurs postes sont ouverts en interne comme en externe. Nous sommes en train de recruter des contrats notamment pour cet été. Nous voulons muscler l’offre d’éditeurs web, de journalistes web, vidéo et podcast. Nous sommes engagés dans une démarche web first depuis plusieurs mois, et ce, même avant que j’arrive.
Vous avez déjà mené une réorganisation à l’Obs il y a quelques années. Quelles sont les points de vigilance pour réussir une réorganisation ?
A. V : Il y a des enjeux de management, d’organisation humaine et il faut de la volonté. L’état d’esprit des journalistes est bon. Ils sont très motivés pour aller vers le web. Nous devons leur apporter des outils de “back office” efficaces. Comme nous avons pris du retard sur l’ergonomie du site, nous changeons aussi l’interface. Une refonte complète du site et de l’application sera réalisée fin septembre.
Vous allez lancer pour le journal un format tabloïd, plus court, plus adaptable…
A. V : Nous réfléchissons en effet parmi d’autres pistes à un passage au format tabloïd, dans le cadre du projet d’une nouvelle imprimerie avec Nice-Matin. Nous allons en attendant effectuer quelques aménagements concernant le chemin de fer dans le courant de l’automne. Par ailleurs, la rédaction produira davantage de papiers en mode “web-first”.
Quelle est votre politique de titraille ?
A. V : La titraille m’a toujours intéressée. Sur le web, les titres sont cruciaux. Nous devons être aisément compréhensibles, et imaginer des angles qui résonnent. Sur le papier, nous disposons de moins de place, mais nous restons imaginatifs. Nous pouvons jouer sur les rapports entre le titre, l’image, le chapô. Nous essayons aussi de nous battre contre les photos en rang d’oignon. Un vieil adage de la PQR dit que si vous prenez toute l’équipe de juniors de football en photo, tous les parents achètent le journal pour l’épingler sur le frigo. Si c’était le cas, la PQR n’aurait pas de problème de vente. Or, nos ventes papier sont en baisse, comme toute la PQR. Il faut réinventer le modèle.
Sur les réseaux sociaux et sur la vidéo, j’aimerais toucher un public de 15 à 25 ans
Aurélien Viers
En rajeunissant votre lectorat ?
A. V : Nous multiplions les études pour comprendre qui nous lit, qui ne nous lit plus et qui pourrait nous lire. Nous souhaitons viser les jeunes parents ayant un premier enfant, un deuxième enfant, de la maternelle au lycée. C’est un public que nous ne touchons plus vraiment, en tout cas sur le papier. Sur les réseaux sociaux et sur la vidéo, j’aimerais toucher un public de 15 à 25 ans et faire que la marque « La Provence » existe très tôt dans leur esprit. Ce point de contact avec les plus jeunes se fait notamment sur TikTok. Récemment, nous avons publié deux vidéos de plus d’un million de vues sur ce réseau social.
De quelles vidéos parlez-vous ?
A. V : Ce sont deux vidéos de Jul. C’est assez symbolique pour La Provence. Jul est un très grand artiste. C’est celui qui vend le plus de disques en France, il aime beaucoup sa ville, comme nous, et il a très vite accepté de participer à notre campagne « La Provence change, donc on change ». Le rap représente 80% des ventes de disques en France aujourd’hui. Notre ambition c’est aussi d’être référents sur le rap. Nous souhaitons valoriser tous ceux qui font le territoire, les artistes, les chefs de restaurant, les entrepreneurs, les sportifs…
Pour Le Parisien, vous avez lancé « Biclou », une série vidéo immersive qui raconte le quotidien des cyclistes à Paris. Peut-on s’attendre à une série de ce genre à Marseille ?
A. V : C’est plus compliqué à Marseille. Mais nous avons déjà écrit un long papier sur les cyclistes. Nous allons refaire des unes sur les transports en commun, parler du projet de RER métropolitain, des TGV cet été, des histoires d’embouteillage, de voitures et des mobilités actives comme le vélo, la trottinette… Ce thème était assez peu développé dans nos colonnes et je souhaite mieux le porter.
Nous allons nous muscler en interne et travailler avec des studios externes. Dans nos futurs locaux, nous installerons un studio de podcasts dédié.
Aurélien Viers
Et sur le podcast, quelles évolutions envisagez-vous ?
A. V : Nous avons déjà « Bande passante » qui fonctionne plutôt bien, un podcast bimensuel. J’ai remarqué que les Marseillais passaient beaucoup de temps dans leur voiture et qu’ils écoutaient beaucoup de podcasts. Donc je veux développer fortement l’audio. J’ai d’autres idées mais je ne veux pas encore les révéler. Nous espérons lancer un premier podcast à l’automne. Nous allons nous muscler en interne et travailler avec des studios externes. Dans nos futurs locaux, nous installerons un studio de podcasts dédié.
CMA CGM a racheté l’immeuble « Grand Central » dans le quartier Colbert, derrière le Vieux-Port (1er) où La Provence va s’installer. Changer de lieu pour incarner le nouveau projet, c’était nécessaire ?
A. V : C’est un signal fort. Les anciens locaux [avenue Salengro, dans le 15e arrondissement, Ndlr] ont été vendus. Nous devions donc trouver de nouveaux bureaux. La Provence investira ce bel immeuble, très fonctionnel, moderne et central, sur plusieurs étages. Nous emménagerons vers l’été 2024.
Quels sont vos liens avec votre actionnaire ?
A. V : L’actionnaire respecte l’indépendance des journalistes. Nous sommes en train de rédiger une charte écrite pour fixer les rapports entre la rédaction et CMA CGM. Ce document est rédigé à plusieurs mains avec des membres de la rédaction, de la direction, des représentants syndicaux et l’actionnaire.
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