Le baromètre des levées de fonds de l’année 2023 se présentait sous de mauvais auspices. Alors que les taux d’intérêt bas, voire négatifs, des années précédentes facilitaient les levées de fonds, la rémunération moyenne du crédit aujourd’hui qui est pour les prêts professionnels de 4,28 %, n’encourage pas la levée des fonds et les promesses de rentabilité.
Sur le plan national, selon EY, et uniquement au sein de la French tech, les levées se sont élevées à 8,3 milliards d’euros avec 515 opérations ce qui représente une baisse de 38% en valeur et de 3% en volume. Régionalement les éléments que nous avions, indiquaient un second semestre en baisse par rapport au premier.
Le contre-cycle provençal pour atteindre un record
Pourtant les scores sont tout à fait remarquables et en augmentation : nous avons comptabilisé 59 opérations qui ont permis de lever 563 millions d’euros en région Sud.
Sur le périmètre Marseille Provence (que nous observons depuis 2019), nous retrouvons quasiment le même niveau qu’en 2019 : nous avions 379 millions d’euros de levée et que nous sommes aujourd’hui à 374. Nous avons donc retrouvé le niveau d’avant Covid. Alors que, soulignons-le, au plan national la période Covid a été une période faste tandis que dans le Midi nous accusions le choc. Premier exemple du contre cycle provençal.
En nombre de levées de fonds sur Marseille Provence, nous passons de 34 en 2019 à 43 opérations aujourd’hui, après des chutes autour de 25 et 26 en 2020 et 2022.
Pour la région Sud, nous avions 366 millions de levées au premier semestre 2022 Nous avons identifié 397 millions de levées au premier semestre 2023 et le 2e semestre 2023, que nous subodorions très négatif, a permis quand même de lever 162 millions d’euros, ce qui nous permet de parvenir au total régional des 563 millions. Il constitue un record historique dans les levées de fonds régionales.
La méthode du baromètre
Nous sommes quatre acteurs (Région Sud Investissement, Crowe Ficorec, Webtime Medias et Gomet’) à travailler sur un baromètre des levées de fonds en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il est important de clarifier la méthodologie qui éclaircit les nuances dans les résultats. Les règles comme chez nos partenaires et amis d’Ambition capital sont transparentes. Ambition capital mesure à la source l’activité de ses membres sur le territoire régional en anonymisant les levées de fonds : ce critère permet d’être large, complet, précis et rigoureux et les tendances sont en général proche des nôtres. Nous ne connaissons pas la méthodologie exacte des deux baromètres de EY et de in Extenso.
Pour notre part nous mettons en œuvre quatre critères :
Nous recensons les entreprises financées qui ont leur siège en région Sud et qui ont publié un financement au cours de l’année
Nous prenons en compte les levées dont nous connaissons les chiffres de base date, montants, souscripteurs… (à ce jour le tableau Excel ne sait pas additionner des inconnues)
Nous appliquons une conception large du haut de bilan qui inclut aussi les obligations.
Enfin, soyons clairs nous publions des chiffres qui sont déclaratifs, tels que les entreprises les publient ; mais nous n’avons pas les moyens d’aller vérifier les « due diligence » et les pactes d’actionnaires.
Quels sont les secteurs qui ont été privilégiés par les investisseurs en 2023 ?
Sur le plan national, selon Bpifrance ce sont les clean-tech (environnement), les food-tech (alimentation) et les start-up industrielles qui sont dans le tiercé gagnant.
Notre région est très différente. Ce sont les énergies et les éner-tech (énergie) qui représentent plus de la moitié des levées de fonds et qui tirent le bilan vers le haut avec des levées de 130 millions pour TSE et 100 millions d’euros pour CVE.
Le 2e secteur qui performe est celui des biotechs qui truste 20% des levées dans la continuité des résultats de 2022.
Ce secteur est suivi de près par les services numériques qui incluent deux fintech et deux assurtech. La cosmétique qui avait percé l’année dernière, continue, avec des niveaux beaucoup plus modestes d’investissement, moins capitalistique, mais elle révèle sur notre territoire la présence d’un tissu de marques montantes souvent autour des produits naturels et régionaux.
En nombre de levées, les services numériques sont à 18, l’énergie en représente 16, les biotechs 7, l’industrie 6, les clean-tech ne font que 5 levées. Notons la percée des industries traditionnelles, comme l’emballage, qui lèvent des fonds à la fois pour se moderniser et pour mettre en œuvre des opérations de croissance externe.
Une répartition équilibrée sur le territoire régional
En matière géographique, en Europe, la France est devenue le 2e pays de l’industrie du haut de bilan, ce qui était loin d’être gagné il y a une dizaine d’années. La Grande-Bretagne est toujours en tête, mais la France creuse l’écart avec son challenger l’Allemagne. Les efforts des politiques publiques et l’investissement des acteurs privés portent leurs fruits et permettent aux entreprises hexagonales de bénéficier d’un écosystème financier efficient.
Sur la carte nationale, l’île de France truste naturellement, 62% des investissements en valeur en 2023, ce qui correspond à l’attractivité pour les sièges industriels de cette région centrale. La région Auvergne Rhône-Alpes est seconde et nous arrivons en 3e avec 4% des investissements en valeur selon EY.
Dans notre géographie régionale, la répartition se fait en trois tiers : un tiers sur Marseille, un tiers sur la Côte d’Azur et un tiers sur Provence. Marseille tient son rôle de capitale en rassemblant à elle seule sur ses 116 arrondissements, 37% du nombre des levées et 39% en montant. La Côte d’Azur performe notamment grâce à la levée de fonds de TSE à 34% en montant et 28% en nombre de levées. Et ce que nous avons appelé la Provence qui comprend les Bouches-du-Rhône sans Marseille, mais aussi le Var, et le Vaucluse qui devient très dynamique, représente un nombre de levées important à 35%, mais avec des levées plus modestes, puisque cela ne représente que 25 % du montant total levé.
C’est sur ces territoires que l’on trouve des entreprises industrielles qui sont en train d’adopter des stratégies numériques de développement qui font de la croissance externe et qui renforcent notre rubrique industrie.
Une polarisation des levées vers le haut
Le top 5 fait apparaître trois secteurs leaders : les énergies, les biotechnologies, la cybersécurité. Si l’on reprend le tableau des 59 opérations, il est extrêmement révélateur d’un phénomène de polarisation : nous avons 13 levées au-dessus de dix millions d’euros, ce qui est totalement inédit dans notre territoire et qui montre la capacité des entreprises à aller chercher, souvent très loin, des fonds très élevés, et vont engager des investissements producteurs de valeur pour le territoire.
Le “early stage” en déshérence
À l’autre extrémité de la courbe, nous voyons juste quatre entreprises en dessous d’un million d’euros alors qu’elles étaient, il y a quelques années très nombreuses ; ce qui reflète la difficulté des start-up à constituer un premier tour de table, à pouvoir faire la preuve de leur concept, à mettre en œuvre un prototype, à effectuer une première commercialisation. Sur ces entreprises en démarrage pèse la pénurie de capitaux actuelle avec le risque pour demain d’un gap de créations. C’est bien sûr le secteur le plus risqué, puisque les entreprises n’ont pas encore fait la démonstration de leur capacité à vendre, mais c’est dans cette première période de vie que l’on peut repérer les pépites.
Si l’argent ne vient pas à toi…
Relevons aussi ce qui apparaît dans le tableau général : l’ingéniosité et la capacité d’investigation des entreprises pour lever des fonds. Les fonds régionaux jouent toujours un rôle fondamental, mais selon les spécialités à l’instar d’Hysilab (HSL) , les entreprises vont chercher les investisseurs là où ils sont, que ce soit en Europe ou aux États-Unis.
Les opérateurs clés des levées de fonds (rendues publiques) sont en premier Smalt capital et puis ex-æquo la catégorie très large des business-angels, ceux qui sont structurés dans des clubs, mais aussi toute une catégorie d’investisseurs, family office, industriels, ces “professionnels” qui participent à l’aventure d’une entreprise sans toujours en connaître les codes, mais qui jouent un rôle extrêmement important dans cette période de pénurie de fond pour les premiers tours des entreprises.
Région Sud investissement, le fonds public de la Région Sud, affiche huit levées de fonds mais le chiffre de 12 serait plus près de la réalité puisqu’un certain nombre ne peut pas être rendu public selon le vœu des entrepreneurs. Enfin, BPIfrance joue son rôle d’accompagnement. Elle est présente au moins sur six dossiers par rapport au 59 que nous avons analysé. Dans les banques à réseaux notons le retour de la Banque populaire Méditerranée et l’action toujours dynamique du groupe Crédit Agricole à travers ces différents outils et ses caisses régionales.
Nous sommes donc dans l’expectative sur ce que sera l’année 2024. Les entrepreneurs de la région ont à leur côté des VC qui savent les accompagner dans leurs projets et surtout ils savent aller chercher très loin en Europe du Nord ou du Sud, aux États-Unis des fonds spécialisés, des fondations, du “friendly money” qui vont leur permettre de se développer. Il n’est plus nécessaire de céder ou de déménager pour croître : les 59 levées de fonds de 2023 en sont la démonstration. Souhaitons que les politiques publiques puissent épauler les porteurs de projets stratégiques d’aujourd’hui pour la renaissance d’une industrie régionale.