Par Hervé Nedelec
L’actualité est entrée dans une stratosphère dangereuse pour nos neurones qui n’arrivent plus à suivre la vitesse qu’elle nous impose. C’est dans un même temps qu’elle nous propose un tombereau de nouvelles, quasi impossible à trier. Steve Bannon, l’ex-conseiller de Donald Trump, détrôné temporairement par Elon Musk l’homme qui veut convertir la planète en dollars, veut voir dans ce moment singulier l’illustration parfaite de sa théorie : « la seule manière de gérer les médias, la seule opposition, c’est d’inonder la zone de merde ». Il a fait avec sa théorie, mêlant le geste nazi à sa parole, une première victime. Jordan Bardella, le jeune président du Rassemblement National, qui comptait prendre la parole dans un rassemblement des extrêmes-droites aux States, en est resté coi avant de se précipiter dans le premier avion pour rejoindre la France et le salon de l’agriculture. Il s’y est rassuré avec le parfum des bouses. D’aucuns diront que notre époque n’est pas seulement folle mais qu’elle est « surréaliste ». (1)
Le mot est apparu au sortir de la Première guerre mondiale avec André Breton et consorts, mais Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, nous avait dès la fin du XIXe siècle donné un avant-goût de cette prose échevelée. Dans Les chants de Maldoror, il évoquera dans une belle envolée « le canard du doute aux lèvres de vermouth ». Plus tard, le dadaisme précisera les contours de cette révolution intellectuelle et littéraire. Un mouvement qui se caractérisait par « une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques ». Tout est dit !
120 ans plus tard, dans un effet d’éternel recommencement, nous y revoilà donc. Les temps sont à nouveau au « surréalisme » et on ne s’étonnera pas de voir notre bonne et vieille cité être une pionnière de cette renaissance.
Sandrine Rousseau au Vélodrome
Commençons par celle qui a décroché le pompon en s’affichant récemment dans les travées du stade vélodrome. L’écologiste énervée, Sandrine Rousseau, qui a jeté Lucien Bayou, un de ses adversaires internes, dans le ruisseau de la calomnie, est venue « invitée » – ça ne s’invente pas – par l’inénarrable et néanmoins trouble Rachid Zeroual, charismatique meneur des South Winners, les historiques supporters de l’OM. Comme elle a la mémoire sélective, elle dit n’avoir pas entendu les chants homophobes à l’adresse des Stéphanois, et a laissé le temps d’une photo sa lutte contre le patriarcat et pour le féminisme dans les vestiaires du vélodrome. Quelle belle personne cette Rousseau ! Sa séquence communication en boîte, elle a quitté Marseille et s’est vite précipitée sur les plateaux de télévision pour poignarder un peu plus ce pauvre Bayou. Elle ne prononcera jamais pour le malheureux, blanchi par la justice, le mot « innocence » et, à la pousser un peu on l’a senti, à la manière d’un anti-dreyfusard, prête à parler de « présumé innocent ». Surréaliste qu’on vous dit avec une pensée émue pour les quelques verts marseillais qui n’ont pas encore réalisé qu’il y avait vraiment un ver dans leur fruit pas bien bio.
Pourtant il se battent autour du petit palais mairie du Vieux-Port, les écolos survivants rappelant à juste titre, comme Sébastien Barles, à leur allié Benoit Payan que le Printemps marseillais avait promis d’offrir une bonne cuisine bien de chez nous aux scolaires. A visage humain en quelque sorte, avec des produits du cru et un savoir-faire de bonne maman. Hélas la recette d’un budget à l’équilibre ne permet pas de nourrir une telle utopie. Et la puissante Sodexo – certes marseillaise – s’apprête à ramasser la mise de la restauration des 470 écoles marseillaises avec la production de 46 500 repas sur 53 000 possibles.
La « remunicipalisation » des cantines attendra des jours meilleurs
Pierre Huguet, l’adjoint chargé du dossier plaide le réalisme avec cette pirouette « plus que le prestataire ce qui compte, c’est ce qu’on a dans les assiettes ». Et puis comme le nouveau contrat prévoit que le bio soit doublé et que viandes et poissons soient labelisés, Michèle Rubirola, elle aussi issue des « verts », peut oser affirmer que la nouvelle donne débouche sur « de grandes avancées, des victoires ». Circulez donc, y-a rien à boire. Sébastien Delogu, l’insoumis marseillais de service, aura beau lors de cette conférence entamer son chant partisan, fustigeant « la multinationale Sodexo », le train du réalisme politique passera et la « remunicipalisation » des cantines attendra des jours meilleurs. Un peu surréaliste non ?
Sébastien Barles ne se décourage et il émet toujours le rêve de se rapprocher de cette gauche extrême qui a fait de la turbulence permanente une stratégie. Barles estime que Marseille est une « ville en friche » (lire son essai : Marseille 2030, La ville des possibles aux éditions de l’Aube), ce que confirme en partie la réalité. Il estime qu’il s’agit d’un « terrain de jeu bien plus important que d’autres territoires. » Il imagine « un laboratoire à ciel ouvert phénoménal pour travailler sur les enjeux de la transition. » Dans sa lancée quasi onirique, il estime encore, comme naguère quelques marins grecs, que Phocée « peut devenir la ville des possibles ».
L’immigration, l’insécurité, la désindustrialisation, la mort du petit commerce, l’habitat indigne, sont choses graves mais qu’il croit pouvoir balayer avec l’alliance qu’il fomente avec LFI. Formation où Sébastien Delogu apporte à ce futur enchanté sa part de poésie. A ceux qui s’attèlent comme François Bayrou et Bruno Retailleau à barricader la France et ses frontières, il répond à la manière d’un Jacques Prévert qui aurait manqué quelques cours : « C’est comme si les oiseaux, ils volent et d’un coup tu as un grillage ». Le printemps est mort vive l’été invincible. Surréaliste qu’on s’entête à vous dire.
On pourrait vous parler encore de quelques informations qui, comme le grand poète-rappeur Jul, nous ferait dire « c’est Marseille bébé ». On apprend ainsi que quelques épiceries ne vendraient pas la nuit que du lait ou du pinard. Quel étonnement d’apprendre qu’il y a des heures où « on blanchit » comme le disait Coluche « plus blanc que blanc ! ». De quoi faire partager à la néo-macroniste Martine Vassal les « valeurs » du RN. On nous dit encore qu’il y aurait des « magouilles » chez les taxis marseillais. C’est Sami Benfers, un conseiller municipal (PM) qui l’affirme. Il a fait un signalement au procureur de la République. On songe du coup à feu Lolo Gilardinghi, président des TUPP qui, il y a plus de vingt ans déjà, parlait dans cette corporation qu’il dirigeait de « brebis galeuses ».
Il semble que la meute de loups qui rode sur le massif des calanques ne les effrayent pas. Passons ! On nous dit enfin que le maire de la Penne sur Huveaune, Nicolas Bazzuchi, mis en examen pour viol et harcèlement, s’est invité ce jeudi au conseil métropolitain, provoquant le départ de l’hémicycle de Benoit Payan et le silence épais de Martine Vassal. On n’est plus dans le surréalisme, mais déjà dans la caricature.
Ca tombe bien. Ce 26 février on pouvait célébrer la naissance, en 1808, d’un certain Honoré Victorin Daumier. Ce Marseillais est incontestablement un précurseur dont se sont inspirés les Cabu, Wolinski et autres Plantu. Il paya ses audaces de quelques condamnations plus ou moins sévères, mais reste inscrit au panthéon des hommes audacieux. Le site d’infos L’Essentiel nous dit que des milliers de documents, lithographies et dessins, dorment ici près du Vieux-Port dans quelques caves et soupentes. Ce ne serait pas surréaliste de les exhumer et d’offrir aux Marseillais l’accès à ce trésor. Dans un musée par exemple (2).
Pour conclure, et revenir à la théorie de Bannon, gare aux éclaboussures. C’est une ancienne ministre de la culture qui l’affirmé sur un plateau TV. Roseline Bachelot assure que « si l’on met de la merde devant un ventilateur attention aux projections ! » Ah la poésie !
1 : La séquence de vendredi soir dans le bureau ovale de la Maison Blanche où Trump flanqué de son pit-bull de Vice-Président recevaient le président de l’Ukraine nous a fait passer du surréalisme à l’obscénité.
2 : En 2008, le musée Regards de Provence avait réuni Dubout et Daumier, deux génies marseillais, dans une belle exposition.