Il a fallu la visite d’un Havrais, le 17 mai dernier, pour pousser la candidature d’une Marseillaise. Renaud Muselier (Renaissance) présent au meeting marseillais d’Edouard Philippe (Horizons) a martelé un mot qui pour lui est une impérieuse nécessité : « l’union ». Il a même estimé, en regardant le maire du Havre, que « c’est le mode d’emploi des municipales qui apportera celui des présidentielles ». Et, avec son directeur de cabinet pour faire écho, Romain Simmarano (Une génération pour Marseille), de laisser entendre que si Martine Vassal arrivait à réunir la droite locale – de Renaissance à LR en passant par le Centre – elle aurait son soutien, qu’il juge bien sûr suffisamment puissant pour l’aider à balayer Le Printemps marseillais.
La voie est libre pourrait-on donc affirmer pour celle qui a une revanche à prendre, après avoir été battue sur ses propres terres par le ticket Rubirola-Payan en 2020. Prudemment le philosophe Henri Bergson avançait cet aphorisme, toujours d’actualité : « l’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. » La présidente du Conseil départemental et de la Métropole Aix-Marseille Provence le sait trop bien, pour s’être frottée à plusieurs reprises à l’opinion publique phocéenne qui ne va pas toujours où les vents portants sont sensés la diriger.
Le premier écueil à contourner pour celle qui barre désormais le navire amiral de la droite, la diversité idéologique de son camp qui fait de cet ensemble une mosaïque chamarrée plutôt qu’un tableau uniforme. C’est un peu comme la Samaritaine (pas la célèbre brasserie du Vieux-Port, mais le grand magasin qui a longtemps régné en bord de Seine). On trouve de tout dans cet espace, où on regarde autant et sans ciller du côté de Bruno Retailleau, d’Edouard Philippe, d’Hervé Morin, de Gabriel Attal, qu’avec un strabisme convergeant vers les Eric Zemmour ou Jordan Bardella.
Jouer des coudes avec la droite de la droite
La récente campagne de LR qui a vu le triomphe du ministre de l’Intérieur a même marqué une tendance lourde à jouer des coudes avec la droite de la droite. Wauquiez et Retailleau, quasiment atones sur les questions économiques et sociales, n’ont pas cessé de labourer les espaces trop longtemps laissés au seuls RN et Reconquête. L’injonction est faite du coup à tout candidat qui prétend relever le gant de se saisir en priorité des thèmes que la droite dite de gouvernement estime d’autant plus porteurs qu’ils ont été durablement préemptés par les Le Pen qui ont participé à les enkyster dans le débat local et national. Et qu’importe si la sécurité, la lutte contre le narcotrafic, la répression pénitentiaire sont des prérogatives régaliennes où l’autorité municipale ne peut prétendre jouer qu’un petit rôle de supplétif.
A l’heure des réseaux sociaux et de la chasse au buzz sur les chaînes d’info en continu, l’important n’est pas de démontrer qu’une idée est juste ou réaliste, mais simplement de montrer aux naïfs qui y croient qu’une réalité alternative (thèse trumpiste par excellence) est possible. La communication tapageuse d’un Robert Ménard (maire de Béziers) qui dégaine plus vite que son ombre, avec la complaisante assistance, des médias des ineptes grossièretés, est un des modèles à imiter et le temps des maires bâtisseurs autant que prospectifs – Dominique Baudis (Toulouse), Alain Juppé (Bordeaux) Jean-Marc Ayrault (Nantes), Raymond Barre (Lyon) – fait désormais partie de la préhistoire des grandes villes.
Deuxième écueil à éviter : la valse des egos. Et ici comme ailleurs ils sont nombreux. Martine Vassal ne pourra ainsi pas faire l’économie d’un échange approfondi avec le professeur Frédéric Collart. Le cardiologue n’a jamais cessé depuis qu’il est apparu sur la scène politique marseillaise de dire « son coup de cœur » pour la ville. Il se rêve rassembleur en osant l’hypothèse d’une droite modérée qui irait jusqu’à partie de la gauche actuellement au pouvoir. Certes un désir ne fait pas forcément un avenir, mais le médecin sait que l’histoire bégaye parfois. On pense bien sûr au professeur Robert P. Vigouroux qui après un intérim de trois ans, provoqué par la mort prématurée de Gaston Defferre, avait réalisé le seul grand chelem de l’histoire locale en raflant au nez et à la barbe de ses adversaires huit secteurs alors en jeu.
Sauf que ce candidat taiseux avait alors dans son jeu un joker puissant, le roi de pique, régnant à l’Elysée et un fou surexcité, Bernard Tapie, pour briser toute résistance en terre phocéenne. Pezet, Gaudin, Arrighi, furent les victimes expiatoires de ce singulier épisode. Rien n’assure que l’histoire repassera de tel plat et les succès d’estime des meetings du professeur Collart, ne lui ont pas assuré, hors de la Timone, une notoriété suffisante pour jouer dans la cour des grands. Il peut cependant jouer les trublions dans une bataille qui s’annonce indécise.
Un bilan aux multiples nuances
Troisième écueil pour tenir sa revanche de 2020, Martine Vassal devra slalomer entre un bilan aux multiples nuances. Les 25 années de gaudinisme, une gestion difficile de l’institution métropole, une entité complexe et contestée, et l’absence pour l’heure d’une vision novatrice du futur marseillais, n’apportent pas de réponses claires aux multiples questionnements des Marseillais.
Avec des constances qui se sont souvent aggravées – pauvreté, mal-logement, dégradation environnementale – Marseille affiche de plus de nouveaux visages et enregistre de nouveaux venus qui n’ont pas toujours une approche manichéenne des problématiques locales. Marseille est certes tendance, à lire la presse hexagonale et internationale.
Son cosmopolitisme est un exotisme sinon recherché, au moins toléré dans son espace public, même si les barrières culturelles et sociales se dressent encore ici et là et que certains tentent en vain de provoquer l’étincelle qui embraserait les quartiers. Sans heurts notables cependant. Quelques grands rendez-vous et autant d’initiatives – jeux olympiques, rencontres sportives, concerts multiples, braderie, piétonnisation temporaire – attestent que si Marseille n’est pas toujours à la fête, elle peut prétendre être une fête.
L’opposante la plus crédible à Benoît Payan ne pourra pas prendre le risque de rallumer quelques feux mortifères, sans se condamner à une impasse : le triomphe des extrêmes. De ce côté-là on sait déjà que les Insoumis joueront le pire, en s’appuyant sur une critique sans concession de tout ce que le Printemps marseillais a essayé de bâtir, malgré l’espace budgétaire contraint dans lequel il évolue. Comme on ne sera pas surpris de voir l’extrême-droite fourrer son index dans quelques plaies en prenant le risque pyromane de pointer du doigt des populations en grande difficulté.
Oui la voie est libre, au moins dans son camp, pour Martine Vassal, mais ce ne sera pas pour autant une balade tranquille sur la corniche Kennedy, comme le veut désormais une tradition mensuelle. Jacques Chirac devenu un sage aimait à dire en bon paysan Corrézien que c’était « à la fin de la foire qu’on comptait les bouses ». A Marseille où les prairies sont rares c’est à la fin du marché aux poissons que l’on peut mesurer si la vente a été bonne, en regardant si les gabians en ont pour leur faim ou pas. En 2026 la pêche aux voix ne sera pas simple d’autant, que quelques eaux restent très troubles.