Il fallait un fait-divers pour ajouter à la confusion. Un déséquilibré qui, armes blanches aux mains, s’en est pris à tout ce qui s’opposait à lui. Un Tunisien à la santé mentale fragile, que les policiers vont « neutraliser », pour reprendre leur terminologie, sur un cours Belsunce pétrifié par la peur ou la sidération. L’homme dont le corps sera rapidement dissimulé derrière des parasols couchés à même le trottoir qui sert de terrasse à un café du cours, a blessé cinq personnes. Elles ont été secourues pendant que lui était abattu. Elles sont hors de danger. C’était un après-midi comme les autres, dans une ville semblable à tant d’autres, avec des gens ressemblant aux autres. Oui mais c’était sans compter sur la machine à faire monter une mayonnaise aigre.
Bruno Retailleau : « L’immigration n’est pas une chance pour la France »
Premier à mettre un peu d’huile sur ce début d’incendie médiatique, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des Républicains. Il s’est précipité à Marseille et devant les journalistes a félicité sa police et pointé sans transition, d’un doigt vengeur, « l’immigration » fusse-t-elle régulière comme c’était le cas pour le déséquilibré. « Elle n’est pas une chance pour la France » a cru bon commenter, en s’éloignant des faits, le Vendéen. Autour de lui dans ce 1er arrondissement cosmopolite depuis des décennies, allaient et venaient des immigrés ou des Marseillais issus de l’immigration parfaitement pacifistes.
Benoît Payan, le maire de cette ville une fois encore surexposée, apportait aussitôt en défense son grain de sel. Il décelait chez le premier flic de France une « obsession » et enfonçait le clou : « au moment où la ville connait de tel drame le premier sujet n’est pas celui-ci ! (Ndlr : l’immigration) ». L’occasion était trop belle pour la présidente de la Métropole, Martine Vassal, qui dégainait aussitôt ses mots accusateurs pour fustiger celui qu’elle veut chasser de la mairie : « si, M. Benoît Payan, l’immigration est la cause de bien des maux ». Une réaction qui allait bien évidemment droit au cœur de l’extrême-droite, sans pour autant faire perdre la tête à Olivier Rioult, porte-parole du candidat aux municipales Franck Allisio. Le RN ayant préempté le thème de l’immigration, il y allait d’un tacle au ras du gazon : « Martine Vassal n’est plus légitime sur ce sujet ». Et de dénoncer l’engagement de la présidente de la Métropole derrière Emmanuel Macron. On s’éloignait de plus en plus du drame à l’origine de ce déferlement d’opprobres. On ajoutera pour faire bonne mesure dans cette polémique sans retenue, la réaction de Sud santé 13 qui saisit l’opportunité pour rappeler que « la santé mentale doit être une priorité nationale » et dénoncer l’affaiblissement critique de ce secteur hospitalier.
On entendra encore, titillés par quelques micros tendus, les habitants de Belsunce dénonçant l’insécurité d’un quartier paupérisé, gangréné par nombre trafics, abandonné par les pouvoirs publics. Quelques heures après le fait-divers, la paix régnait sur le cours. On y sirotait son café ou son thé et l’on était déjà passé à autre chose ne prêtant que peu d’attention à la réaction du pouvoir tunisien protestant contre « le meurtre » de son ressortissant. La justice laissait quant à elle entrevoir un non-lieu pour les policiers engagés dans cette nouvelle séquence violente de la vie marseillaise.
A l’heure des comptes, une seule certitude : les hommes et femmes politiques qui s’apprêtent à livrer bataille en mars 2026 pour les élections municipales, n’hésiteront pas à faire feu de tout bois pour arriver à leur fin avec un désintérêt assumé pour les dégâts collatéraux qu’ils vont causer.
Rien de nouveau sous le soleil marseillais diront les plus blasés, même si un peu de lucidité nous oblige à constater que le débat politique est autour du Vieux-Port aussi pathétique que le sont les joutes nationales avec les derniers soubresauts d’un pouvoir en capilotade.
Sur la grande piste du cirque des réseaux sociaux
On aura vu pendant ce que l’on appelle improprement la trêve estivale deux leaders – Benoît Payan et Martine Vassal – se jeter à tout va des tweets venimeux à la figure. Tout y est passé, l’incompétence, le clientélisme, la corruption, l’insécurité, l’habitat indigne, les choix économiques, la pollution, la propreté… des thèmes qui mériteraient pour un certain nombre d’entr’eux des analyses approfondies, des commencements de projets, des perspectives étayées. Hélas ils ne sont traités, sur la grande piste du cirque des réseaux sociaux, qu’à renfort d’anathèmes, d’accusations, de cris d’orfraie, de gesticulations. Là où on attendrait une vision, un horizon, une libération, on constate un repli sur des idées nauséabondes, un refus d’obstacles, une propension à aggraver.
Les Marseillais sont indifférents ou pour le moins sans illusion. Beaucoup ignorent qui de la Région, du Département, de la Métropole ou de la Ville, est responsable d’un quotidien qui se détériore, d’une cité qui se dégrade, d’un art de vivre qui s’étiole. Le « peuple de Marseille » comme on dit au stade Vélodrome est muet mais sa colère peut faire à tout moment du bruit… et cela passera par les isoloirs et les urnes. Les extrêmes le savent et elles maîtrisent avec leurs troupes l’art de tout « conflictualiser » pour reprendre l’antienne d’un des leaders de ces forces-là.
Marseille souffre de bien des maux mais il y a malheureusement à parier que dans les semaines qui viennent ce sont les mots qui lui serviront de cautère. Il est prévisible que quatre forces contraires s’affrontent. LFI et quelques égarés écolos, le PS et ce qu’il aura gardé du Printemps marseillais, écolos compris là encore, les Républicains et les contorsionnistes qui composent ses rangs aussi clairsemés que prompts à s’approprier la grammaire de l’extrême-droite, et enfin le RN qui calculette à la main additionne les désertions de ceux qui appartenaient aux jours réputés « heureux » à une « droite de gouvernement ».
Les turbulences de l’été annoncent de violents orages pour l’automne, l’hiver et le printemps à venir. Ce n’est pas jouer les devins de prédire que le pire est à venir pour Marseille et dans un pays où jamais l’instabilité n’aura été aussi grande. Bonaparte assurait que « la véritable grandeur consiste à faire ce qui est juste sans être remarqué. ». Pour l’heure nos élus marseillais ont surtout une propension à se faire remarquer. On attend qu’ils nous contredisent : arguments et projets à l’appui. Qu’ils parlent enfin vrai en quelque sorte.