Pour accompagner son passage sur le canal 16 (au lieu du 27 précédemment) France-Info TV s’est fendu d’une campagne de pub, avec un slogan qui fait mouche. Sur une affiche, où on peut voir l’excellente Maryse Burgot, grand reporter qui vient de publier son autobiographie (Loin de chez moi, chez Fayard), ce slogan : « l’information n’est pas une opinion ».
Qu’on ne s’y trompe pas, si cette chaîne d’info continue revendique aujourd’hui cette affirmation, c’est que, comme ses concurrentes de la TNT (CNews, BFM et LCI), elle a versé plusieurs années durant dans un travers : minimiser le poids de l’info au profit du commentaire. On a ainsi pu voir et entendre à longueur d’antenne des « sachants » – universitaires bardés de diplômes, militaires lourds de médailles, médecins amarrés à leurs certitudes – venir commenter, contredire, nier le travail de reporters présents sur tous les terrains où ces brillants et impitoyables pourfendeurs n’ont la plupart du temps jamais été présents.
Déjà lors de la première guerre du Golfe, les journalistes avaient tiré les leçons de ces plateaux où, sous la dictature du « direct », tout et son contraire avait été dit avec force infographies, images d’archives, témoignages biaisés. La leçon distillée dans les écoles de journalisme, à science-po et dans maints débats par l’ensemble des médias « mainstream », comme les appellent ceux qu’ils desservent, est retombé dans les mêmes ornières. En oubliant des fondamentaux qui pourtant de Voltaire, Beaumarchais, Clémenceau, Camus et autres Aron n’ont cessé d’être rabâchés au fil du temps. « Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres ».
Aux Assises de l’Information de Tours en 2018, l’aphorisme de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, éditeur de Voltaire et promoteur de la première loi sur les droits d’auteur, « les faits sont sacrés, les commentaires sont libres » a été rappelé comme une intangible vérité. D’autant que 92% de Français interrogés disaient alors avoir besoin de l’information pour vivre en démocratie. Une évidence que l’on peut démontrer à l’aune d’une revue d’actualités marseillaises et de l’opinion que l’on peut en avoir.
Les faits d’abord : il y a une semaine un peu plus d’un millier de manifestants souvent porteurs d’un drapeau palestinien défilaient dans la ville en réclamant un état pour la Palestine, la fin du martyr de Gaza, la condamnation d’Israël comme un pays ayant attenté au droit international et commis un crime de guerre voire un « génocide ». Le défilé était également en soutien de la tentative, autoproclamée humanitaire, de l’écologiste suédoise Greta Thunberg, de la députée insoumise Rima Hassan, et parmi d’autres, du médecin de la Timone, Baptiste André, de rallier Israël pour médiatiser la tragique situation des Palestiniens. La manifestation marseillaise a été bruyante et pacifique même à l’approche de quartiers, comme le Carré d’or avenue du Prado, où la communauté juive et ses lieux de culte sont très présents. Parmi les jeunes gens, majoritaires dans le cortège, il y avait des militants de la France Insoumise, des écologistes et même des socialistes. La droite et l’extrême-droite étaient par contre absentes. Alors que la nuit tombait la manifestation qui était accompagnée de forces de l’ordre relativement discrètes s’est dissoute dans le calme. Ainsi furent les faits.
Les commentaires se sont répartis entre les tenants d’une ironie urticante (Franc-Tireur titrant à sa Une la « croisière s’amuse ») aux militants d’une polémique abrupte : « Pourquoi refusent-ils de qualifier le Hamas de groupe terroriste ? », « Où sont ceux qui peuvent diriger un Etat palestinien ? », « Comment Mélenchon qui a parlé d’antisémitisme résiduel, ose-t-il encore soutenir Rima Hassan ». Nous en passons et des plus rudes. La difficulté à l’heure des réseaux sociaux est d’identifier l’auteur et la source des commentaires. Quelques récents exemples attestent de cet écueil.
Les faits encore : on a vu dans cette semaine abondante en informations passer sur les fameux réseaux la photo du député de la quatrième circonscription des Bouches-du-Rhône, Manuel Bompard, en bonne compagnie (Mathilde Panot, Jean-Luc Mélenchon, Louis Boyard). Le commentaire de celui qui a relayé cette fake news, un prénommé Pascal, et que l’on a pu voir sur X mais également sur Facebook, était que les photos avaient été prises dans les loges de Roland-Garros. Tout était faux et Manuel Bompard a révélé le pot aux roses, en affirmant sur son compte X qu’elles avaient été générées par l’Intelligence artificielle. Dont acte.
Mais commentaires aussi : La France Insoumise comme d’autres et notamment le Rassemblement national, a promu ce type de communication sans grand souci déontologique et encore moins de défense de ceux qui font le métier d’informer. On se souvient des premiers pas du Média – chaîne de télé supervisée alors par Sofia Chikirou (LFI) et le psychanalyste Gérard Miller – qui avait fait circuler une rumeur portant sur la mort d’un étudiant lors d’une manif. Celle qui revendique d’être « la femme du chef » chez les Insoumis a refusé tout démenti, réclamé pourtant par sa propre rédaction. Et voilà donc l’arroseur arrosé puisque le post de Pascal n’a pas été supprimé après la supercherie et comme le révèle La Provence il aurait été déjà vu par plus de 700 000 internautes. Le RN dans cet univers impitoyable n’a pas été plus chanceux puisque le feuilleton révélant les penchants idéologiques de sa députée, Monique Griséti se poursuit. On la retrouve likant les publications les plus violentes et fascisantes de la toile. Son neveu Franck Allisio a encore du travail pour la rendre fréquentable.
Les faits toujours : Belle fin de semaine pour Martine Vassal. La présidente du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône et de la Métropole inaugurait ce samedi une place Castellane flambant neuve. Avec force communication décrivant l’ampleur des travaux réalisés et de l’investissement consenti, Mme Vassal, qui fut une candidate malheureuse dans ces arrondissements (6e et 8e) aux dernières élections municipales, a déployé tout son argumentaire pour promettre aux riverains des lendemains souriants. Un spectacle de jolie facture précédait son intervention et elle avait « invité » le maire Benoit Payan, son principal adversaire en 2026, à participer à la fête. Comme aurait pu le dire maître Pangloss « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». D’autant que la présidente du 13 et de la Métropole n’avait pas hésité ce même samedi, à la Une du quotidien La Provence, qui l’a invitée à rencontrer ses lecteurs, à proclamer « le visage du département a changé ». Son portrait accompagnant cette phrase, on dira sans commentaire excessif, qu’elle parlait à tous mais en son nom.
Et les commentaires dans tout ça. Si on avait le talent du Canard Enchaîné, on affirmerait qu’il faut se méfier des vendredis 13. Car la veille de ce week-end festif La Provence, précédée par Marsactu, avait révélé le parfum de scandale qui planait au-dessus de 13 Habitat. En cause la gouvernance de Nora Preziosi, alliée historique de Martine Vassal et de Renaud Muselier, que l’agence nationale du logement social (Ancols) accablait lourdement, allant d’un clientélisme éhonté à des recrutements discutables, en passant par une gestion du personnel calamiteuse. La charge est aussi lourde que périlleuse la tentation de s’en décharger trop vite. Mme Preziosi qui hurle au complot a été remerciée par Mme Vassal. On pourra reprocher à cette dernière d’avoir attendu ce funeste vendredi, elle qui avec Muselier n’avait pas naguère de mots trop durs et acérés pour dénoncer ce qu’ils appelaient « le système Guérini ». Et lui conseiller lors de ses déclarations intempestives d’opter pour le futur immédiat : « Le visage du département va changer ». Pour être crue sur paroles.
Albert Camus, qui avait lu Alexis de Tocqueville affirmait que « tout refus de communiquer est une tentative de communication ; tout geste d’indifférence ou d’hostilité est appel déguisé. La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. » C’est ce parler vrai qu’à l’heure de la tentative si répandue de « dire faux » on réclame. Il y va de notre démocratie que les plus lucides estiment aujourd’hui assiégée (*).
(*) L’association « Marseille et moi » organise le 18 juin à 18h30 au Mundart (Métro Joliette, 72 rue de La Joliette) un débat sur « La démocratie assiégée » ou « Comment résister aux coups de boutoir contre l’Etat de droit, la science et les élections par des populistes ou des dirigeants prédateurs. » Avec Aurélie Biancarelli, maître de conférences à Polytech Marseille, adjointe au maire de Marseille, Jacques Boulesteix, astrophysicien et Ariane Vidal-Nacquet, professeur de droit, présidente de l’Institut Louis Favoreu.