Pour son exposition annuelle, la Villa Carmignac a invité la commissaire britannique Alona Pardo à concevoir un parcours artistique pour appréhender ce qui définit, ou pas, la femme. De la mère vierge à la sirène intrigante, en passant par la monstre, la prostituée, la violée, la guerrière, la noire, l’amante, la queer, la joyeuse…, l’exposition multidisciplinaire aborde autant les questions de représentation, que celle du plaisir, de la sexualité et également du genre, voire du pouvoir. The Infinite Woman se déroule jusqu’au 3 novembre sur l’île de Porquerolles.
Réunissant plus de quatre-vingt-dix œuvres de soixante-six artistes, The Infinite Woman (la femme infinie) présente « un large éventail afin de retracer la manière dont les artistes ont exploré ces questions à partir des années 1960 », souligne Alona Pardo, même si c’est avec une œuvre bien plus ancienne que démarre l’exposition.
Posée au centre de l’entrée, La Vierge à la grenade de Sandro Botticelli, un des fleurons de la collection Carmignac acquis en 2017, accueille les visiteurs avec son regard baissé, entre tendresse, mélancolie et soumission. Cette Mère-Vierge et l’Enfant sur ses genoux tiennent dans leurs mains une grenade, fruit hautement symbolique dans plusieurs civilisations anciennes et pour la chrétienté. À cette époque, nombreuses ont été les commandes privées de ce modèle réduit de l’œuvre magistrale du maître à Florence, à des fins de dévotion.
Mais revenons à la Villa pour découvrir, dans cette entrée, Selected Wall Collages, l’installation murale de Mary Beth Edelson, fruit de ses recherches entre 1972 et 2011 sur la figure de la déesse « force créatrice et trait d’union entre nature et humanité », regroupant 146 représentations d’êtres féminins imaginaires ou populaires, antiques ou contemporains parmi la déesse Baubo, Vénus (version Botticelli), Méduse, Madonna et son soutien-gorge iconique, Uma Thurman (version Pulp Fiction), Grace Jones ou encore Michelle Obama… Activiste de première heure, Mary Beth Edelson a revendiqué tout au long de sa vie une relecture de l’iconographie féministe. Entre ces deux œuvres, se pose d’emblée la question de la représentation des féminités à travers l’histoire de l’art.
On remarquera aux côtés des œuvres peintes, la présence d’autres médiums – tapisserie, couture ou céramique : « des éléments attribués traditionnellement à la culture matérielle féminine », précise Alina Pardo, et repris volontairement par plusieurs artistes comme la Malawite Billie Zangewa et son autoportrait en soie brute, l’Américaine Judy Chicago et son batik représentant un accouchement « symbole d’une force féminine créatrice à une époque où le mot “grossesse” était systématiquement censuré aux USA » ou encore Ghada Amer qui dissimule derrière les fils de ses Grandes Nymphéas des images érotiques « faisant lien entre la flore des étangs de Giverny et les nymphes, jeunes filles dangereuses amantes que le désir poussait à la nymphomanie et qui piégeaient leur héros ».
Des désirs et des corps
C’est dans la salle des “plaisirs coupables”, dont une partie reste interdite aux mineurs non accompagnés, que l’on trouve quelques artistes masculins parmi lesquels Egon Schiele, Pablo Picasso, Roy Lichtenstein, Thomas Ruff et leur vision stéréotypée du corps de la femme comme objet du désir. Un regard masculin que reprend à son compte l’artiste Betty Tompkins dans ses représentations, crues et cadrées, des organes génitaux. Et une exploration décomplexée du plaisir féminin avec Lisa Yuskavage ou Dorothy Iannone et sa “box video”.
Quand le corps devient matériau de création, on retrouve deux petits Saint suaires d’Orlan, qui a bâti toute son œuvre sur la transformation chirurgicale de son visage pour lutter contre la domination sociale et masculine, mais surtout une étonnante sculpture hybride du propre corps d’Andra Ursuţa, Predators’R Us, présentée avec succès à la précédente Biennale de Venise, ou encore Tattoed Body Mask, un des masques corporels en bronze de Sherrine Levine. Et Alona Pardo de préciser que « toutes les artistes femmes ne sont pas féministes avec un regard féministe ».
« On ne nait pas forcément femme pour être une femme, poursuit Alona Pardo, et si on n’est pas défini.e par notre corps, alors que veut dire le corps des femmes ? ». L’avant-dernière salle est celle des métamorphoses et donc de la remise en question des genres. Ici, se rencontrent le portrait monumental et doux d’Emma, une pionnière de la communauté queer, signé Sarah Ball, et l’autoportrait photographique de l’artiste trans Martine Guttierez en guerrière non binaire, mais aussi les seins en céramique de Shafei Xia pour célébrer l’amour, ceux moulés en résine de Loie Hollowell pour « l’expérience sexuelle, physique et émotionnelle liée à la conception, à l’accouchement et à la maternité » et enfin ceux, enfilés tel un collier de perles en verre par Jean-Michel Othoniel qui pourrait étrangement s’apparenter à un trophée. Et puis, il y a Christina Quarles qui se définit comme queer, cis et multiraciale, et qui questionne à sa façon l’identité avec des corps à la fois enchevêtrés et fragmentés. Plusieurs de ses œuvres étaient également à la Biennale de Venise.
Un été à la Villa Carmignac
Cinéma, musique, ateliers… : plusieurs événements sont programmées à la Villa Carmignac en écho à l’exposition The Infinite Woman
> Chaque jeudi du 4 juillet au 29 août : visite en nocturne de l’exposition (jusqu’à 22h), dîner sous les pins (sur réservation) et, du 18 juillet au 22 août, séances de cinéma en plein air (à partir de 21h)
> Midi Festival, le 7 juillet : une traversée artistique dans les jardins et en musique lors d’un après-midi dédié aux musiques actuelles avec Astrid Sonne, Ugly et Bolis Pupul
> 23e Jazz à Porquerolles, du 7 au 10 juillet : après le concert de clôture du festival, avec Sandra Nkake et Thomas de Pourquery à l’affiche et qui aura lieu comme tout le festival au fort Sainte-Agathe, une rêverie nocturne et en musique est organisée à la Villa
> Cinéclub Paradiso, les 12 et 13 juillet : tables-rondes et projections entre le village et la Villa, en collaboration avec MK2
> Atelier de dessin, du 16 au 21 juillet, avec l’artiste Cécilia Granada, autour des thèmes et des œuvres de l’exposition The Infinite Woman
> L’île fait son cinéma, du 18 juillet au 22 août, gratuit sur réservation : projections en plein air de Et Dieu… créa la femme à Princesse Mononoké en passant par Priscilla, folle du désert…
> Soirée lunaire, mardi 23 juillet, de 17h30 à minuit, avec la célèbre drag queen ivoirienne Mami Watta et la compagnie de danse Anna & Grégoire
> Atelier créatif, du 13 au 18 août, avec l’artiste Clothilde Puy
> Les nuits de pleine lune, du 19 au 22 juillet et du 17 au 21 août : promenades sonores menées par Soundwalk Collective, avec les voix de Patti Smith et Charlotte Gainsbourg.
Ce voyage au pays des féminités s’achève par une rencontre avec les sirènes – ces êtres aquatiques mythiques qui ont pris la forme de femmes pour séduire mais aussi aimer comme la Calypso de Chris Ofili. Aujourd’hui, elles reviennent à la surface comme symbole d’émancipation à l’image des divinités de Sofia Mitsola.
Une fondation également coproductrice
À noter qu’à l’occasion de cette exposition, la Fondation Carmignac a coproduit deux œuvres : la frise murale Gardening de Paloma Proudfooot (extraits en photos ci-dessus) ainsi que la fresque I’m at that party right now de France-Lise Mc Gurn. Cette dernière, portrait collectif de femmes joyeuses et libérées exécuté sur place, entre en conversation avec la gigantesque Spider de Louise Bourgeois, symbole également de créativité féminine. Quant à Gardening qui attire à soi le visiteur pour le faire entrer dans les coulisses d’un défilé de mode en compagnie de mannequins dépourvus d’émotion, on découvre ainsi le travail subtil, tant par son concept que par sa réalisation, de cette jeune artiste qui a débuté dans l’univers de la mode.
En réunissant autant d’œuvres, l’exposition prouve la complexité à vouloir définir le féminin. Rares sont les expositions qui rassemblent autant d’artistes femmes et si on reproche à l’histoire de l’art de les avoir occultées par le passé, aujourd’hui leur analyse et leur force créatrice sont devenues indispensables. Elles ont largement gagné leur place sur la scène artistique internationale.
The Infinite Woman, exposition jusqu’au 3 novembre 2024
> Île de Porquerolles
> du mardi au dimanche, de 10h à 18h et jusqu’à 19h en juillet et août. Nocturne le jeudi