Le 2 avril Les Insoumis des Bouches-du-Rhône avaient une urgence : dénoncer le financement du ravalement de Notre-Dame de La Garde. Si le sanctuaire devait se refaire une beauté, écrivaient-ils dans un communiqué, ce ne pouvait qu’être « à la charge du diocèse de Marseille ou de fonds privés ». Et d’enfoncer le clou pour crucifier le lifting en cours : « Ce n’est pas aux collectivités locales de dégager à chaque fois plusieurs centaines de milliers d’euros pour prendre en charge ces travaux de rénovation ».
Légitime autant que péremptoire, on peut trouver maladroit que le secrétaire national de LFI, Manuel Bompard, s’en prenne ainsi au symbole des symboles marseillais, la Bonne Mère. Originaire de Firminy dans la Loire, l’élu de la quatrième circonscription n’a peut-être pas mesuré combien la basilique, et sa statue dorée tournée vers la ville, méritait tous les égards. Les exvotos, qu’il n’a peut-être pas encore vus sous ses voutes, témoignent d’un œcuménisme triomphant. Musulmans, catholiques et autres croyants (ou pas) vont en foule sur ce piton rocheux saluer Marie – ou Myriam c’est selon – dans une dévotion qui ne supporte pas, en terre phocéenne, la contestation. Mais où donc voulait aller la France Insoumise ce mercredi-là alors que la France politique mesurait les répliques de la secousse tellurique qui venait de frapper le Rassemblement National ?
Bon soyons juste, Bompard a réagi sur le sujet « Marine Le Pen empêchée », en dupliquant la réaction de son mentor Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci a rapidement prié ses troupes de ne pas s’attarder sur les raisons qui ont conduit la justice à condamner en première instance Marine Le Pen. Et, puisqu’il prétend être la République à lui tout seul, il développe le seul argument qui vaille à ses yeux : « La décision de destituer un élu devrait revenir au peuple. C’est à cela que servirait le référendum révocatoire dans une VIe République démocratique ». En creux on doit comprendre que la justice a le pouvoir d’enquêter sur des crimes ou délits, mais pas celui d’en tirer les conséquences que dictent le droit. On jugera plus tard de cette pertinence.
Heureusement Manuel Bompard a apporté un bémol rapidement à la mansuétude à peine masquée de son leader. « Si elle a violé la loi, dit-il à propos de celle que M. Mélenchon rêve d’affronter en 2027, personne dans le pays ne comprendrait, parce que c’est une responsable politique, qu’elle ne puisse pas être condamnée ». « Je suis un responsable politique, ajoute-t-il, la bataille que je mène face à l’extrême droite, je la mène politiquement. » Il oublie au passage qu’il est aussi un législateur et que la première de ses préoccupations devrait être de défendre à tout crin la loi.
C’est sur cette loi bien antérieure à la loi Sapin 2, évoquée souvent à tort lors des polémiques qui ont suivi le réquisitoire aujourd’hui contesté, que les juges se sont fondés. Depuis le 23 juillet 1992 la peine d’inéligibilité peut être prononcée lorsqu’une personne dépositaire de l’autorité publique a détourné des fonds publics et manqué au devoir de probité. Neuf ans d’enquête et 155 pages de réquisitoire plus tard, Marine Le Pen, le Rassemblement National et 23 autres prévenus, étaient condamnés le 31 mars par le tribunal correctionnel de Paris.
Franck Allisio : « Le gouvernement des juges a encore frappé »
Il n’en fallait pas plus pour déchaîner la vindicte de ceux qui devraient a priori être exemplaires, mais ne supportent pas l’idée que celle qui triomphe pour l’heure dans les sondages ne puisse pas être soumise au seul verdict des urnes. « Le gouvernement des juges a encore frappé », s’est rapidement offusqué le député Franck Allisio, réfutant d’emblée l’accusation de détournement de fonds publics démontrée néanmoins avec force arguments par les magistrats. « La démocratie française en prend un coup » ose encore le responsable du RN dans les Bouches-du-Rhône qui lui-même fait l’objet depuis le début de l’année d’un signalement pour détournement de bien public.
Conseiller municipal du même rassemblement dans les 13-14, Cédric Dudieuzère enchérit en parlant, sans sourciller, d’un « véritable coup d’État judiciaire ». Relayant ainsi la diatribe de Jean-Philippe Tanguy (RN) parlant d’un « quarteron de juges » à la manière d’un De Gaulle dénonçant les généraux, auteurs en 1961 d’une tentative de putsch à Alger. Franck Allisio dramatise un peu plus encore et il en appelle à la fibre locale pour convaincre le bon peuple que Marine, sa figure de proue, n’est que momentanément empêchée. « Marine a quelque chose en commun avec nous, les Marseillais et les Provençaux, croit-il savoir, c’est que c’est une testarde ». Mieux à écouter cet ancien UMP c’est « une femme honnête » et une « travailleuse acharnée” qu’on a sanctionnée. Et puisqu’il s’agit selon lui d’un « acharnement judiciaire », hors de question de plaider coupable : « On pense qu’on est innocent ».
« La condamnation de Marine Le Pen est une honte juridique et un scandale démocratique, tonne-t-il. On ne censure pas 15 millions de Français impunément. La justice rendue au nom du peuple n’est désormais plus qu’un mythe ! ». La justice, si on l’écoute, ne doit donc ni être aveugle, ni sourde. Il va falloir corriger et rééditer les 47 volumes et 19 suppléments, de la bible du droit, les éditions Dalloz.
Devant tant d’audace on se remémore un vieux sketch qu’en robe d’avocat interprétait naguère le regretté Paul Préboist. « Oui, plaidait-il, mon client a tué son père. Oui il a tué aussi sa mère ! Mais vous n’allez pas condamner un orphelin ». Les démonstrations affligeantes auxquelles on assiste ces dernières heures sont de ce tonneau-là.
Pour faire bonne mesure la droite dite républicaine suivant en ce sens ses actuels leaders nationaux, Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, y va de cette grosse caisse à Marseille ou dans le 13. Ainsi Stéphane Le Rudulier, secrétaire départemental de LR et sénateur, avance sa partition : « Les Français ont le pouvoir de décider s’ils veulent voter ou non pour une personne condamnée ». Du Eric Ciotti dans le texte qui à la manière d’un Trump, d’un Poutine ou d’un Bolsonaro, estime que « le destin démocratique de notre nation (est) confisqué par une cabale judiciaire indigne. La candidate favorite à l’élection présidentielle empêchée de se présenter. » Dans l’abjection, la palme revient au Hongrois Victor Orban qui a affiché sur son compte twitter un odieux « Je suis Marine ». Comme si la leader du RN avait été victime, à l’identique des dessinateurs et collaborateurs de Charlie, du terrorisme… judiciaire celui-là.
Laurent Lhardit : « L’internationale illibérale pleure ses martyrs »
La gauche marseillaise a eu du mal à percer le mur du son dressé ainsi par le RN et une partie de la droite. Le député socialiste Laurent Lhardit a ironisé sur les lamentations de cet improbable chœur : « L’internationale illibérale pleure ses martyrs victimes de l’État de droit et de l’indépendance de la Justice face au pouvoir politique. »
Il y a fort à parier que dans les jours qui viennent la présomption de culpabilité pèsera sur les magistrats qui ont osé dire le droit. Une manipulation de l’opinion est déjà en route, même si M. Allisio jure qu’il n’y a rien à craindre de sa formation et de ceux qui la soutiennent : « Évidemment que nos rassemblements seront pacifiques et démocratiques. On soutiendra l’Etat de droit, la liberté d’expression et la démocratie ». Osé. Alexis de Tocqueville craignait au XIXe siècle que la démocratie née de la Révolution française puisse céder à « ses instincts sauvages ». Il ajoutait aussi qu’elle ne concernait pas seulement le domaine politique, mais une « organisation sociale caractérisée par l’égalité de tous les citoyens devant la loi ». Plus près de nous Barak Obama estimait lui qu’une « démocratie robuste et fonctionnelle a besoin d’un électorat sain, éduqué et participatif, et d’un leadership éduqué et respectueux de la morale. » Il a du faire un rêve.