Emmanuel Macron a commencé son parcours élyséen en imposant un adjectif : « disruptif ». C’est un verbe qui s’est invité depuis quelques jours dans le langage médiatique : « procrastiner ».
Le président aura donc réussi en sept ans un exploit quasi-olympique. Passer de l’action par la rupture, à l’inaction, en remettant à demain ce qu’il n’avait pas fait la veille. L’épilogue de ce nouvel « en même temps » a désormais un nom, Michel Barnier chargé de gérer l’ingérable, d’apaiser une tempête, de réconcilier l’inconciliable.
Bonne chance au Savoyard qui sait que, pour atteindre les sommets, l’important n’est pas d’être premier de cordée, mais avant tout encordé. Son arrivée à l’Hôtel de Matignon met aussi fin à une épidémie de jeunisme qui a porté le fringant Emmanuel Macron au sommet républicain et le pétillant Gabriel Attal aux manettes du gouvernement de la France. Le pays attend la suite, si suite il y a. En principe le mot « fin » de ce double quinquennat sera gravé en 2027. Ce n’est désormais plus qu’une hypothèse.
A gauche comme à droite une archipélisation aussi visible qu’audible
Beaucoup parient pour un nouvel épisode en 2025, avec fin juin, une nouvelle dissolution, de nouvelles législatives, une nouvelle donne sur l’échiquier politique. Ce dernier est aujourd’hui partagé en trois blocs, mais avec à gauche comme à droite une archipélisation aussi visible qu’audible. Entre ces deux dates, pointent déjà un nouveau rendez-vous et les élections municipales de 2026. Elles ne seront pas épargnées par le tellurisme du paysage politique national et commencent d’ores et déjà à plonger les élus concernés dans la perplexité, quand elles n’attisent pas les spéculations les plus hardies.
Marseille a voté massivement pour les extrêmes les plus antagonistes
L’exemple de Marseille sera de ce point de vue là à ausculter avec précision, la ville ayant une propension atavique au psychodrame, au contrepied historique, aux rebonds comme aux effondrements. Il n’a pas fallu attendre longtemps après la déflagration du 7 juillet pour réentendre, autour du petit palais du Vieux Port les bruits et chuchotements qui font le sel de la vie politique locale. Ils étaient nourris par la sanction des urnes qui imposait un premier constat : Marseille a voté massivement pour les extrêmes les plus antagonistes, le RN et LFI s’imposant là où on les attendait, les quartiers déshérités, mais également au-delà.
Le PS, à l’exception de Laurent Lhardit élu dans la 2e circonscription, et la droite républicaine ne pouvaient que mesurer l’étendue du séisme. Une partie d’un ancien monde venait d’être englouti sous l’impulsion du premier des Français qui appelait depuis 2017 à cette table-rase. Sauf qu’il n’avait pas prévu de faire renaître des idéologies que l’on croyait définitivement obsolètes, le trotskysme et le nationalisme.
Benoît Payan trop Macron-compatible pour LFI
A défaut d’autocritique salutaire ou de volontés émergentes pour changer de logiciel, on voit donc ressurgir la bonne vieille recette qui consiste à sauver les meubles, plutôt que d’inspecter les fondations de la maison menacée. Sébastien Delogu (LFI) a saisi l’opportunité en dégainant rapidement contre Benoit Payan, coupable à ses yeux de mépriser une partie de la gauche marseillaise et de mener une politique marseillaise trop macron-compatible. Les écologistes, Michèle Rubirola et Sébastien Barles, ont été les premiers à répondre favorablement à cet appel du pied, se prenant à rêver à une coalition où ils seraient, selon leurs témoignages, non seulement entendus mais encore écoutés.
En creux, Barles pointe notamment la gouvernance du maire surprotégé à ses yeux – comme naguère Jean-Claude Gaudin – par un cabinet qui filtre ou repousse les empêcheurs de gouverner verticalement. Ils appellent donc à un sursaut démocratique en se rapprochant de LFI, exemple singulier en la matière comme peut en témoigner le député Hendrick Davi expulsé sans ménagement par Mélenchon, mais réélu malgré tout. La séquence ne fait que commencer, mais elle promet à la ville, qui a vu naître Plus belle la vie, un feuilleton à rebondissements.
Droite marseillaise : une guerre de position risquée
La droite marseillaise, sonnée elle aussi par cette dissolution, qui a failli l’éradiquer appelle pour sa part au sursaut. Renaud Muselier désormais ficelé par son macronisme tardif et Martine Vassal courtisée par le RN Franck Allisio, qu’elle feint pour l’heure d’ignorer, rêvent d’équipes nouvelles.
Place aux jeunes exhortent-ils leurs troupes, qui les suivent encore. Mais ils ont plus investi dans la communication que dans le travail de réflexion qu’imposait la fin désastreuse de l’ère Gaudin. Ils risquent également d’être empêtrés entre leur soutien à l’un des leurs, Michel Barnier et leur allégeance au président de la République, qui détient encore des leviers utiles pour Marseille et la Métropole. La guerre de position qu’ils livrent à Benoit Payan est risquée. D’autant qu’une grande partie des Marseillais a voté pour rompre avec les pratiques du passé et que les questions sociales, économiques, écologiques, sont très loin d’avoir été réglées par les deux camps.
A moins que M. Macron décide aussi de dissoudre le peuple, les mois qui arrivent seront orageux.