Dans l’interview du président de la République, le 14 juillet, les 300 salariés marseillais du groupe Bourbon ont dû retenir une petite phrase qui critique la lenteur de diffusion des énergies renouvelables, en particulier les 10 années qu’il faut, bon poids, pour installer des éoliennes en mer. C’était quasiment mot pour mot ce que déclarait la veille à Gomet’, Christian Daumarie, patron des projets éoliens offshore de Bourbon Subsea Services. Emmanuel Macron avait déjà en février dernier souligné cette anomalie française déclarant que les délais n’étaient « pas supportables » et qu’il fallait une « planification maritime des zones de développement des parcs » associant « tous les acteurs de la mer ».
Cette lenteur fait prendre du retard à notre pays dans sa conversion énergétique, mais en plus elle handicape l’émergence d’industriels en capacité de produire les équipements et les services novateurs.
Bourbon est actif depuis 2011 dans l’éolien offshore. Le groupe marseillais (qui avait repris 50% de la Compagnie Chambon en 1991) fournit des services de gestion de projet et prend en charge les projets d’installation, d’équipement, d’exploitation d’énergie marine. Les équipes Bourbon ont géré l’installation du raccordement de l’hydrolienne d’Ouessant et l’installation de l’ancrage de la première éolienne flottante au large du Croisic dans le cadre du projet européen Floatgen et plus récemment l’installation de la première ferme pilote de la façade atlantique, avec trois éoliennes flottantes de 8,4 MW au large du Portugal.
Ce virage de l’oil & gas vers l’éolien s’est fait, malgré la descente aux enfers du groupe. 2018 fut l’annus horribilis. Le groupe affiche alors une perte sèche de 460 millions d’euros avec un chiffre d’affaires de 689,5 millions, doublée d’un endettement de 2,2 milliards d’euros. La chute des cours du pétrole a été sans pardon pour un groupe fragilisé par des investissements lourds. Les lecteurs de Gomet’ ont suivi les procédures devant le Tribunal de commerce de Marseille qui a confié à une holding de tête, la Société phocéenne de participation, les manettes du groupe. Les banques fortement engagées dans le financement du groupe, avaient suivi les ambitions de l’emblématique patron réunionnais Jacques de Châteauvieux. BNP Paribas, le Crédit agricole Alpes Provence, le Crédit agricole de Paris et d’Île de France, le fonds CM-CIC Investissement SCR, le Crédit lyonnais, Natixis et la Société générale portent le Marseillais (ancien élève de Thiers) Jean Peyrelevade à la présidence.
Le 14 décembre 2020, la conversion de la majeure partie (75 %) de l’endettement en capitaux propres est actée par le Tribunal de commerce de Marseille, la totalité du groupe, y compris la marque, est cédées à la SPP, ce qui met fin au redressement judiciaire.
Le groupe Bourbon maritime est organisé en trois filiales
- Bourbon Marine & Logistics dispose d’une flotte de 131 navires et s’affirme comme un pure player des services maritimes à l’offshore pétrolier
- Bourbon Subsea Services est le spécialiste des opérations sous-marines offshore dans les grandes profondeurs. Elle intervient sur les champs pétroliers, depuis les sondages et l’exploration, la construction et les opérations offshore jusqu’au démantèlement.
- Bourbon Mobility transporte les professionnels de l’industrie pétrolière avec des services de transport de personnels et des cargos légers, sur toutes les distances.
En 2022 Bourbon emploie dans 31 pays, dont une majorité en Afrique, 6 290 salariés, réalise un chiffre d’affaires de 482 millions d’euros et possède 285 navires. Le groupe emploie 1 200 employés en France, dont 720 marins.
Ne pas s’enfermer dans les énergies fossiles
Mais le carnet de commandes est encore fortement marqué par le pétrole et les énergies fossiles. Le retournement vers l’éolien en mer se fait, mais trop lentement.
En mai dernier, Bourbon Subsea Services annonce qu’elle a remporté le contrat de la construction d’EolMed une ferme pilote éolienne flottante équipée de trois flotteurs et de trois turbines de 10 mégawatts qui doivent être installés d’ici mi 2024. Il s’agit d’un contrat en EPCI (1), c’est-à-dire un contrat clé en main pour une installation au large de Gruissan et Port-la-Nouvelle, à plus de 18 kilomètres des côtes méditerranéennes. Les équipes marseillaises de Bourbon travailleront sur la conception détaillée, la fourniture, la fabrication du hub électrique flottant, des câbles électriques d’interconnexion, des systèmes d’ancrage sous-marin ainsi que des opérations portuaires et l’installation en Méditerranée de l’ensemble de la ferme. Le groupe s’appuiera sur les équipes de Marseille, mais aussi sur un réseau de partenaires locaux qui depuis 10 ans ont constitué en Occitanie et en région Sud un réseau de compétences dans l’éolien offshore.
De la logistique à la co-conception
Pour répondre à l’appel d’offres de la Commission de régulation de l’énergie, baptisée A06 portant sur des projets d’éoliennes flottantes en Méditerranée, les équipes de Bourbon ont voulu changer de braquet. Christian Daumarie, directeur des projets éoliens offshore explique « qu’il faut changer la relation client fournisseur avec ceux qui portent les projets d’éoliennes. Depuis 10 ans, dit-il, nous avons acquis une grande expérience. Mais trop souvent les équipements n’ont pas été conçus pour les opérations en mer. Nous voulons être impliqués au niveau de la conception, nous avons l’expérience très riche de l’oil & gaz depuis des décennies et si l’on travaillait dès le début en partenariat nous pourrions aller beaucoup plus vite et faire des économies appréciables. Nous pouvons construire une nouvelle chaîne industrielle qui crée de la valeur et accélère les projets ».
Pour avancer dans ce sens-là et pour mettre en œuvre ce partenariat nouveau, les équipes de Bourbon ont sollicité le très grand opérateur allemand RWE, numéro 2 de la production d’énergie en Allemagne, qui emploie 19 000 salariés dans le monde. Fondé en 1898 à Essen, le groupe est très critiqué outre-Rhin, car il exploite encore les mines de lignite (le charbon très polluant qui était exploité à Gardanne) et des centrales thermiques au charbon. Il est considéré comme étant le plus gros producteur d’émission de CO 2 et ne prévoit de fermer mines et centrales que vers 2030. Mais en même temps, un peu comme TotalEnergies, le groupe a les moyens de développer des énergies alternatives et il veut accroître sa capacité de production pour atteindre vers 2030 les 50 gigawatts. Le groupe mettra sur la table 50 milliards d’euros pour développer l’éolien terrestre et maritime, le photovoltaïque, l’hydrogène, le stockage, la biomasse et le gaz. La France et son marché intéressent fortement RWE (comme les autres opérateurs allemands).
Filiale française du groupe, RWE renouvelables France se positionne comme un développeur et producteur d’énergies renouvelables en France, il emploie 120 collaborateurs, qui développent, construisent, exploitent et assurent la maintenance de parcs éoliens et solaires. D’ici fin 2022, l’équipe devrait atteindre environ 180 employés.
Un dossier commun de préqualification avec RWE
RWE Renouvelables France et Bourbon Subsea Services ont signé un accord de partenariat pour répondre conjointement à l’appel d’offres éolien flottant en Méditerranée. Les partenaires ont remis leur dossier de préqualification pour participer à la réponse à l’appel d’offres A06 : deux parcs éoliens flottants d’une capacité unitaire d’environ 250 MW seront déployés, avec un potentiel d’extension permettant d’atteindre à terme 1, 5 GW.
Cela représente, précise Christian Daumarie, pour chaque parc une vingtaine d’éoliennes, l’un sera installé au large de Fos-sur-Mer, l’autre au large de Port-la-Nouvelle. Une équipe projet sera basée à Paris et à Marseille. Comme dans le solaire, une société de projet sera créée par RWE et Bourbon, chaque ferme représentant environ un milliard d’euros d’investissements. Dans une première phase dites de “dialogue concurrentiel” la CRE sélectionnera dans six mois les groupements aptes à répondre. Le cahier des charges sera alors précisé et les groupements d’entreprises auront un an pour répondre. Plus d’une dizaine de challengeurs sont attendus sur ce projet qui sera puissant, donc lucratif. Et pourtant les professionnels savent, que si rien ne bouge, avec la période des permis de construire, des autorisations, des études et des contre études, les pales des éoliennes ne commenceront à tourner qu’après 2030, alors qu’en Europe du Nord, l’éolien en mer s’avère aujourd’hui très productif. Il semble que l’urgence climatique n’est pas perçue jusqu’à la CRE.
Pierre Peysson, directeur éolien en mer chez RWE Renewables France, veut néanmoins « faire avancer l’industrie de l’éolien flottant en France, tout en continuant d’intégrer les territoires du bassin méditerranéen ». Christian Daumarie, s’il reste prudent sur l’issue de l’appel d’offres, regarde déjà au-delà de la rive Sud de la France. « La Méditerranée, dit-il, est un espace privilégié pour la production d’énergie en mer : l’éolien flottant permet de déployer des projets dans des eaux plus profondes et garantit l’accès à des vents plus forts et plus réguliers par la distance aux côtes ce qui représente un fort potentiel de production d’énergie renouvelable. » Bourbon se positionne aujourd’hui comme le leader de l’installation d’éolienne flottante offshore et Marseille pourrait devenir la base arrière de développements prometteurs.
(1) Engineering, procurement, construction, and installation , soit conception, fourniture, construction, installation.
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