Les journées nationales de l’architecture se déroulaient le week-end dernier. Corinne Vezzoni est notamment intervenue lors d’une conférence au Mucem. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle revienne sur son travail réalisé sur le site voisin de l’ex-Villa Méditerranée. Son agence d’architecture a réhabilité le bâtiment pour accueillir la réplique de la grotte Cosquer. Ouvert au public en juin 2022, le nouveau musée a atteint son millionième visiteur le 19 septembre. Entretien avec l’architecte, médaillée d’or par l’Académie française d’architecture en 2020, sur les particularités du chantier.
Pourquoi aviez-vous postulé à la réhabilitation de la Villa Méditerranée, pour le moins atypique au regard de vos précédentes réalisations ?
Corinne Vezzoni : J’ai l’habitude de construire des bâtiments neufs. Au départ, quand la société Kléber Rossillon [gestionnaire de Cosquer Méditerranée, Ndlr] m’a proposé de répondre au projet, j’ai refusé car je trouvais cela étrange d’installer une grotte préhistorique dans un bâtiment contemporain datant de 2013… C’était un peu anachronique. Finalement, j’ai réalisé qu’un projet comme Cosquer Méditerranée ne se présente qu’une fois dans une carrière.
Quelles ont été les difficultés principales du projet ?
C. V : Dans l’appel d’offres, on avait le droit de tout changer à l’intérieur, mais de ne rien toucher à l’extérieur. La première difficulté a donc été de concevoir le circuit du public : il fallait éviter les bouchons et fluidifier les entrées et les sorties des visiteurs. Or, il n’y avait qu’une entrée. On a fait le choix de créer une nouvelle entrée avec un ponton flottant à l’endroit de l’issue de secours, côté Mucem. A l’intérieur du bâtiment, nous avons utilisé le grand monte-charge, qui devait servir à transporter les œuvres, pour accéder à la grotte en donnant l’impression de descendre profondément sous terre. Il y a l’idée de passer de la lumière et du bruit à l’ombre et au silence.
Comment avez-vous travaillé sur ce projet avec votre équipe ?
C. V : Nous nous sommes organisés de manière assez simple : un architecte chef de projet qui suit le projet au quotidien, un architecte directeur de projet qui gère les relations avec les différents interlocuteurs (sur ce dossier, c’était mon associé Maxime Claude ). De mon côté, je surveille la cohérence architecturale et la conception.
Et comment avez-vous travaillé avec l’équipe de Kléber Rossillon ?
C. V : La société Kleber Rossillon est un maitre d’ouvrage très particulier puisqu’il gère une douzaine de sites historiques où son cœur de métier relève plutôt de l’exploitation et de la gestion de visiteurs. Il a fallu l’aider à s’approprier l’architecture et la configuration très atypique de la Villa Méditerrannée. Il a fallu l’aider à développer le projet en concertation avec le Bataillon des Marins-Pompiers et à comprendre les contraintes techniques et réglementaires multiples et variées. Enfin dans le cadre de cette DSP, la Région est l’un des intervenants avec qui il a fallu composer.
En sous-sol, vous avez inséré la réplique de la grotte de 2 300 m2 alors que n’aviez que la moitié de la surface…
C. V : Oui, il a d’abord fallu savoir où installer la grotte. On avait un amphithéâtre de grande qualité qui avait couté cher à la collectivité avec une acoustique remarquable. On a donc choisi, et je crois que nous sommes les seuls candidats à l’avoir proposé, de conserver cet amphithéâtre pour diffuser un film avec Henri Cosquer. Ensuite, on a dû faire rentrer la grotte au chausse-pieds. On a sélectionné avec les chercheurs les morceaux à supprimer pour conserver les parties spectaculaires.
Quand on descend dans la grotte, il n’y a pas de poteaux apparents. C’est une prouesse technique, non ?
C. V : Avant, il y’avait des poteaux partout pour supporter ce fameux porte-à-faux de la Villa Méditerranée, car techniquement c’est très compliqué de la tenir. Nous avons donc englobé les poteaux dans la roche. Nous devions aussi donner le sentiment aux visiteurs d’être dans la pénombre et fabriquer des issues de secours invisibles. On a aussi fait le choix d’enlever l’escalier en colimaçon d’origine pour y installer la cheminée. Grâce au trompe-l’œil des effets de lumière et de la peinture noire, les visiteurs ont la sensation qu’elle est très haute.
Vous avez travaillé avec le groupe Eiffage. Quel a été le rôle de l’entreprise ?
C. V : Au sein du groupement Kléber Rossillon, nous étions en conception construction avec le groupement Eiffage. Nous étions leur co-traitant architecte. Eiffage a réalisé toute la structure en acier pour reconstituer la roche : ils ont projeté du béton sur des grillages. La grotte c’est comme une espèce de carcasse moulée. Ils ont dû faire toute la charpente. C’était un gros travail car il ne fallait pas toucher le bâtiment. Ensuite des résines ont été projetées et les artistes ont commencé à sculpter le matériel, à colorer avec des pigments. C’est un travail remarquable de plusieurs artisans.
Est-ce qu’il y un élément dans le rendu final dont vous êtes particulièrement satisfaite ?
C.V. : C’est notre analyse fine du bâtiment, de la réglementation ERP, des flux qui nous ont notamment permis : un, d’opter pour une visite cadencée et maitrisée en terme de temporalité via les modules, ce qui a été rendu possible par le mode de descente via le monte charge de 10 tonnes; deux, d’augmenter la jauge du porte à faux (R+3 expositions ) de 300 à 400 personnes qui contrairement à la légende urbaine n’étaient pas limiter à 300 personnes pour des raisons de poids au niveau du porte à faux mais à cause du nombre de dégagement (issue de secours).
Vous vous attendiez sincèrement à ce que le musée rencontre un tel succès pour la première année ?
C. V : Ça ne m’étonne pas tant que ça. Je suis allée sur le site de la réplique de la Grotte Chauvet, dont Kléber Rossillon est aussi gestionnaire. La grotte a aussi eu des records d’influence surtout la première année alors que c’est loin de tout. Franchement, il faut vraiment avoir envie d’y aller ! Alors qu’à Marseille, on est en cœur de ville là où tous les bateaux accostent. Donc je me suis dit que ça devrait marcher. Et puis, ce n’est pas une attraction de Disneyland… il y a eu un vrai suivi scientifique très sérieux qui donne de la puissance au projet.
Avez-vous déjà identifié d’autres espaces dans la région qui pourraient avoir une vocation culturelle ?
C. V : Oui, par exemple tous les terrains du grand littoral ont été très abîmés, là où la nature pourrait reprendre ses droits. Ces espaces pourraient être des lieux d’événements très forts. Ils sont aujourd’hui morcelés alors qu’ils ont une situation extraordinaire en balcon sur le port de Marseille. Je pense aussi aux hangars Boussiron dans le périmètre de l’aéroport de Marignane. L’un des hangars est occupé par Sabena Technics, mais son jumeau cherche encore sa vocation. Ce serait un endroit formidable pour y installer une activité de concerts car ce bâtiment est excentré et on sait que les riverains rejettent le bruit. On pourrait aussi y accueillir des jeunes du monde entier puisque c’est à la jonction de Aix et Marseille.
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