Après Rêver Rousseau selon le provençal Bernex, le musée d’Aix invite à revisiter le fameux barbu, en compagnie d’un peintre d’aujourd’hui : Henri Cueco. Malade et âgé de 87 ans, ce plasticien n’a pu assister en personne à cet hommage. Ses fils commentent volontiers la présentation, sur écran tactile, des carnets de parcours sur les hauts lieux cézanniens comme l’Estaque, Sainte-Victoire ou le Jas de Bouffan.
Selon Cueco, Cézanne aura « passé sa vie à construire et déconstruire ce qu’il éprouvait devant la nature. » D’où les multiples variantes surgies d’un même motif. L’emblématique montagne aixoise serait ainsi approchée sur le mode d’un rendez-vous amoureux par le père de la modernité en art. « Il n’y arrive pas.. Il y revient.. Il y revient parce qu’il n’y arrive pas… » Ces mots là, Cueco les écrits soigneusement à l’encre noire, sur son œuvre même, en lignes bien droites, comme s’y appliquerait un écolier studieux. Le procédé rappelle l’activité du Niçois Ben, se plaisant à dérouler sur l’ardoise noire de belles lettres rondes et blanches, lançant des aphorismes du genre « tout est art », ou « j’aime aimer ».
Éloge du ratage
Et le sérigraphe de mai 68 aux Beaux-Arts de Paris [« sous les pavés, la plage », etc] de saluer ce génie du ratage, ce goût du risque chez le maître d’Aix. À son tour, Cueco, fils de paysan corrézien, n’hésite pas à courir le risque. Même celui de la banalité, reconnaissant que, parfois, « c’est elle qui gagne. »
Traitant l’œuvre d’art comme élément de la réalité, cet auteur, qui manie aussi bien la plume que le pinceau, décortique allègrement paysages, nus ou autoportraits, pour les recomposer à sa façon. Il les déforme et les pulvérise, jusqu’à « numéroter les abattis » de tel personnage… Après Poussin ou Delacroix, Cueco analyse par le menu la taille des bras ou des orteils des baigneurs de Cézanne. Nous rappelant à l’occasion ce que Picasso, et ses Demoiselles d’Avignon, doivent aussi à ces nues sortant du bain. Et de la toile du copain de Zola.
Seule voie classée
Seul regret de ces virtuoses du chevalet : ne pas accéder à la troisième dimension, contrainte intrinsèque à l’espace plat de la toile peinte, réduite au long et au large. Ce que Cueco qualifie d’ « infirmité fondamentale ». Adepte de l’oxymore, ce créateur parle aussi poétiquement de « glorieuse défaite », de stabilité instable, comme de « permanent inachèvement » ou de faux devenant vrai !
Ainsi, les successeurs et héritiers de celui que Matisse considérait comme « le bon dieu de la peinture », n’ont-ils qu’à jouir de leur liberté, en suivant « leurs propres règles du jeu. » À quoi s’appliquera énergiquement l’écrivain-ministre Malraux. Après une visite aux alentours aixois, aux côtés d’André Masson, voici un gros demi-siècle, il fera classer la route du Tholonet comme lieu d’art intouchable. Exploit unique, puisqu’aucune autre artère du pays ne possède ce statut. Permettant à chacun de contempler la victorieuse masse minérale.
À la fois toujours la même, et toujours une autre.
PRATIQUE :
> Revoir Cézanne, du 3 décembre 2016 au 19 février 2017.
> Du mardi au dimanche, de 12 à 18h.
> 0 à 5,50 € l’entrée
> museegranet-aixenprovence.fr
Illustration : Les Baigneuses par Cueco © ADAGP, Paris 2016