Après la publication hier de la présentation de l’ouvrage de Bruno Charlaix et Marc Lassus consacré à la saga Gemplus, nous publions ici en bonnes feuilles l’avant-propos de l’ouvrage. Nous remercions les auteurs pour leur aimable autorisation.
En 2000, Gemplus enchaîne les succès à un rythme endiablé, la société créée en 1988 est alors leader mondial incontesté dans le domaine des cartes à puce ainsi que dans celui des cartes SIM indispensables au fonctionnement de nos téléphones portables. Son chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros, elle génère de très confortables profits et ses effectifs tournent autour des dix mille salariés, disséminés dans le monde entier. Pour y parvenir, il a fallu la foi chevillée au corps de cinq ingénieurs, au rang desquels Marc Lassus, qui en viennent à quitter leur employeur Thomson-CSF, celui-ci ne désirant pas développer ce type d’activité, et décident de faire le grand saut en créant leur propre entreprise. Ils vont mettre à profit la possibilité de bénéficier de dégrèvements fiscaux offerts aux entreprises acceptant de s’implanter dans le canton de La Ciotat qui souffre de la fermeture de son chantier naval. Ils tiennent par ailleurs leur premier client, France Telecom, et possèdent la maîtrise industrielle de cette technologie qui va révolutionner nos habitudes de paiement et de nos modes de communication.
Aux alentours du site de Gémenos où va être érigée l’usine, se trouve un Club de Sport nommé le « Gem Club » dont le nom inspire Marc. Pourquoi ne pas appeler l’entreprise Gemcard ? Les fondateurs sont d’accord et une modeste conférence de presse sera rapidement organisée dans le sous-sol d’un hôtel de Marseille. Contre toute attente, Marc reçoit un coup de fil en provenance de Lyon de la part d’une personne qui revendique la paternité du nom et qui l’a déjà déposé pour le compte de son entreprise. Son activité consiste à imprimer des cartes de visite et accessoirement, assure-t-elle, des cartes plastifiées. Sa dénomination est tirée de ses initiales : Grégoire Étienne Marthoud ! Il tente de négocier un droit d’utilisation mais ses prétentions trop élevées feront que la piste sera vite délaissée.
C’est au cours d’un dîner à Aix avec un ami d’origine indienne, patron de la société californienne Catalyst qui transférait chez Thomson une technologie de mémoires non volatiles, que celui-ci glissera à l’oreille de Marc :
« Why don’t you call it Gem Plus ? » Cette fois-ci, le nom définitif est trouvé !
Un patron californien
Reste désormais à trouver un logo représentatif. Celui-ci sera proposé par une toute petite agence de communication voisine, qui plus est pour un coût dérisoire. Il consiste en une sorte de G majuscule de couleur bleue, complété du signe « plus » et traversé de traits orientés vers le haut représentant chacun des fondateurs. Marc remarquera en relisant le roman de René Barjavel, la « Nuit des temps », dont ce sera très certainement inspiré Roland Moreno pour imaginer une bague réalisant les fonctions des cartes à puce d’aujourd’hui, que la civilisation Gondawa, venue de l’espace et « découverte » à 1 000 mètres sous les glaces l’Antarctique, aurait existé 900 000 ans plus tôt et utilisait un sigle presque identique appelé « équation de Zoran » qui signifie « ce qui n’existe pas existe ». On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec les « états superposés » de la mécanique quantique et penser que la future carte à puce proposée par Gemplus existait déjà avant même d’exister.
En 2000, afin d’accompagner son développement, Marc Lassus cède au chant des sirènes d’outre-Atlantique et accepte de céder 26 % de son capital au fonds d’investissement américain Texas Pacific Group. Comme le dira à Marc le conseiller politique et économiste Alain Minc : « N’avez-vous pas laissé entrer le loup dans la bergerie ? ». Ce choix était pourtant motivé par la volonté affichée d’entrer en Bourse aux États-Unis et en France et celle de partir à la conquête du vaste marché américain. Parmi les premières décisions figure la nomination à la tête de la société d’Alex Mandl, en provenance d’In-Q-Tel, société de capital-risque émanant de la toute-puissante CIA, ce qui ne sera découvert que plus tard. Malheureusement, rien ne se passe comme prévu. Très vite les premières difficultés surgissent, du fait d’une opposition frontale en ce qui concerne la stratégie, entre le nouveau management de Texas Pacific Group et Marc Lassus. En 2002, le couperet tombe et les premiers plans sociaux font leur apparition. Le 29 décembre, Marc se voit contraint de démissionner de son poste au conseil d’administration, laissant ainsi le champ libre aux Américains.
L’étape suivante verra la fusion avec Axalto, ce qui donnera naissance à Gemalto le 2 juin 2006. Axalto représente la branche « cartes à puces » du géant Schlumberger, multinationale à l’origine française et désormais dirigée de l’étranger, spécialiste des services et équipements pétroliers, créée alors que l’entreprise souhaitait se recentrer sur son métier de base. La nouvelle entité élargit son périmètre à tout ce qui a trait à la sécurité numérique en général. L’État Français décide en 2009 d’y prendre une participation au travers de la Caisse des Dépôts et Consignations. S’ensuit alors une politique d’acquisitions débridée aux quatre coins du globe menée par son Président Olivier Piou, transfuge de Schlumberger, qui peine à prendre la pleine mesure des profondes mutations en cours dans ce secteur d’activité. L’entreprise mise sur une croissance externe en multipliant les participations, une vraie boulimie. En août 2014 Gemalto avale l’entreprise de sécurité informatique américaine Safenet pour 890 millions de dollars et en décembre 2016 la branche « identification de personnes » de 3M pour 850 millions. Avec 2017 arrive le temps des profit-warnings, et le plan stratégique se trouve aussitôt remis en question. Le chiffre d’affaires entame son déclin, la Bourse n’y croit plus. D’un plus haut de 91,60 € touché le 23 janvier 2014, le cours dévisse pour toucher un plancher de 38,60 € le 4 septembre 2017. Une vraie descente aux enfers ! La direction ne peut faire autrement que d’envisager une nouvelle politique de réduction des coûts.
La fin d’une histoire ? Probablement pas. Le Phoenix peut toujours se montrer capable de renaître de ses cendres. C’est cette histoire que ce livre veut vous faire découvrir, depuis ses origines jusqu’à ses derniers rebondissements.
La puce et le morpion co-signé par Marc Lassus et Bruno Charlaix est paru en novembre 2019 chez Librinova.
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