Aujourd’hui qu’est ce que vous demandez prioritairement pour ces familles et leurs enfants que vous aidez ?
J. B. J’essaye de me battre pour qu’il y ait une trêve scolaire. Pour que les gamins ne soient pas mis à la rue entre le mois de septembre et le mois de juin. Lorsque les lieux occupés sont publics, bâtiments ou terrains, non dangereux et lorsqu’il n’y a pas de projets imminents, il faudrait que l’Etat assume ses responsabilités et laisse les enfants aller à l’école de septembre à juin. Cela veut dire une trêve scolaire des expulsions et non pas une trêve hivernale. Parce qu’actuellement nous avons des enfants qui sont jetés à la rue le 31 octobre avant la trêve hivernale et le 31 mars, après cette trêve… Comment peuvent-ils avancer à l’école ? Et comment se fait-il que l’Etat ne se sente pas concerné ? Ceux que nous n’avons pas réussi à inscrire à l’école se retrouvent souvent au tribunal. Je travaille beaucoup avec les juges des enfants. Il s’agit de faire le lien entre ces familles et le droit commun, leurs droits et leurs devoirs. Quand on a 16 ans ou 18 ans et que l’on ne sait même pas écrire son prénom, c’est compliqué de ne pas tomber dans la délinquance. Je n’excuse pas mais si on ne prend pas la peine d’accompagner ces gosses vers l’école, il faut s’attendre à ce qu’ils basculent peut-être du mauvais côté.
Outre cette trêve scolaire des expulsions, vous demandez également l’évolution des textes sur le dispositif pour les enfants non scolarisés antérieurement ?
J. B. Oui il faut que ces enfants soient reconnus. Aujourd’hui, on « bricole » dans les écoles et collèges. A Marseille, la mairie joue le jeu, les directeurs d’écoles aussi. Mais en théorie, un enfant qui est sur le territoire depuis plus d’un an, ne peut pas bénéficier d’un suivi particulier. En théorie, ces enfants non-scolarisés antérieurement devraient se retrouver dans des classes normales. Et au bout de trois semaines, ils décrocheraient. La reconnaissance de leur existence, c’est la base. Il y a aussi le problème de pénurie de classes dans les collèges pour ces enfants non scolarisés antérieurement. A Marseille, il n’y a qu’une seule classe SAS (structure d’aide à la scolarité, NDLR), elle est au collège Monticelli. Nous y avons récemment organisé un court reportage avec France 3, en présence de Jacques-Henri Eyraud. J’ai sept enfants dans cette classe où il y aussi des demandeurs d’asile, des mineurs isolés. C’est important de mettre en lumière le travail des enseignants et le courage de la principale de ce collège qui s’est battue pour accueillir cette classe à Marseille. L’Inspection académique promet depuis quelque temps des nouveaux dispositifs : une UPEAA et une classe SAS. Nous attendons. Nous sommes fin mars et de nombreux enfants attendent dans la rue.
Vous ne cherchez pas à être plus nombreux dans votre association ?
J. B. : Je ne veux pas. Toute seule j’arrive à faire beaucoup choses, j’arrive à aller dans des lieux où personne n’avait pu aller avant. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, la précarité entraîne des choses très dures. Il y a des lieux où l’on ne peut pas aller en nombre. Et puis, je reconnais que je n’ai pas envie de faire de la gestion de personnel. Je trouve que c’est mieux comme ça, c’est plus efficace. C’est vrai que lorsque je rentre le soir chez moi, je me dis toujours que je n’en ai pas assez fait. Mais si en plus, je devais gérer du personnel, des locaux, je ne gagnerais pas de temps et je ne pourrais pas travailler de la même façon. Car tout repose sur le lien de confiance que l’on construit avec les personnes.
Quels sont les résultats finalement obtenus par la scolarisation des enfants ?
[pullquote]Les parents vont désormais seuls aux réunions à l’école[/pullquote] J. B. Ils sont énormes. Les parents vont désormais seuls aux réunions à l’école, ils saluent les autres parents à la sortie de l’école. C’est pas grand-chose mais quand je vois les mamans roms faire la bise aux autres mamans du quartier, je suis heureuse. Et oui, les gamins sont contents aussi. Mais ce n’est pas simple. Le racisme existe dans la cour de récréation, dès la maternelle. Je peux vous raconter des anecdotes avec des propos très durs tenus par des enfants de 5 ans… Et pourtant, il suffit de se côtoyer pour s’apercevoir que l’autre est comme nous. Il y a des cons partout. Et les Roms n’ont pas le monopole de quoi que ce soit. Mais croire qu’une nationalité, qu’une communauté ou qu’une couleur de peau peut signifier une différence d’humanité, c’est absurde. Il faut résister, il faut être là. Et pas que dans les mots, pas que dans les beaux rapports que l’on rédige. Je suis une femme de terrain et je le resterai.
Mais vous êtes aussi dans la réflexion ?
J. B. Oui c’est vrai. J’ai une vision à long terme de ce combat et je veux le mener jusqu’au bout. Je veux que ces enfants qui sont allés à l’école alors qu’ils vivaient en bidonvilles, aient le choix plus tard. Je veux qu’ils puissent devenir des adultes qui travaillent, reconnus et respectés.
Lire les précédents volets de notre entretien avec Jane Bouvier
[Entretien] Jane Bouvier de l’Ecole au présent : « Avoir des idées, manifester, ce n’était plus suffisant » (1/3)
[Entretien] Jane Bouvier : « J’ai accompagné 460 enfants sur le chemin de l’école » (2/3)
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