Le président du Conseil mondial de l’eau (*), Loïc Fauchon, a répondu aux questions de Gomet’ au seuil d’une année 2021 durant laquelle il espère mettre sur orbite le Forum mondial de Dakar décalé à mars 2022. Les prochains mois seront aussi marqués par les préparatifs et la tenue à Marseille du congrès mondial de la nature de l’UICN. Loïc Fauchon compte bien y inscrire la ressource en eau comme l’un des sujets majeurs pour la planète.
Le Congrès mondial de la nature, organisé par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) devait avoir lieu ce mois de janvier. Il est finalement programmé au mois de septembre. Quelle importance revêt pour vous cette manifestation ?
Loïc Fauchon : C’est important pour Marseille et c’est important pour la nature. Il s’agit de l’un des cinq rassemblements les plus importants organisés dans le monde. Encore plus cette fois-ci car la manifestation, est ouverte au public. C’est un phénomène nouveau que nous avions déjà connu lors du précédent Forum mondial de l’eau à Brasilia en 2018. L’objectif des organisateurs est d’attirer 100 000 visiteurs en plus des 15 000 délégués des différents pays. C’est important pour Marseille et son image. La ville a été choisie parmi des concurrents de taille en France comme à l’étranger. Il y avait Bordeaux et Lyon, et à l’international, Miami, Shanghai ou encore Adelaïde.
Le choix de Marseille a-t-il été lié à la présence dans la cité phocéenne du Conseil mondial de l’eau ?
Loïc Fauchon : Restons modeste ! Et si c’est le cas, ce n’est pas à moi de le dire. Ceci étant, les relations entre l’UICN et le Conseil mondial de l’eau sont anciennes et très étroites. L’UICN a ainsi siégé à notre Board durant la période statutaire maximale. Ce qui a joué sans doute pour l’IUCN, et pour l’Etat également, c’est la capacité que le Conseil mondial de l‘eau a eu à organiser à Marseille le Forum mondial de l’eau. Cela c’était très bien passé.
Vous disiez que c’était important pour la nature… Pourquoi ?
Loïc Fauchon : Généralement ce sommet a lieu tous les quatre ans. C’est l’occasion d’une adaptation du rapport entre l’homme et la nature. C’est au cœur de beaucoup de sujets et pas seulement au regard de l’évolution du climat. Il faut rapprocher ces questions de celles liées à la démographie. Il y a en effet deux sujets principaux. Quid de l’évolution durable du climat ? Nul ne le sait, car on fonctionne sur des modèles mathématiques. Et quelle est l’évolution attendue de la démographie ? Car les tensions observées sur la nature, depuis 10 à 20 ans, ce sont des tensions provoquées par la démographie et non par le climat : la croissance des mégapoles, la saturation en termes de pollution ou d’agriculture. Je pense que l’on ne le dit pas assez. On se libère un peu trop facilement, en accusant le climat, pour des raisons culturelles ou religieuses, de la question de la démographie.
Comment le Conseil mondial de l’eau compte-t-il contribuer à ce rendez-vous avec la nature ?
Le bassin de Réaltor c’est une réserve de biosphère végétale et animale exceptionnelle tout en étant aux portes du monde urbain
Loïc Fauchon
Loïc Fauchon : Les détails ne sont pas encore fixés. Ce n’est peut-être pas un Congrès mondial de la nature comme les autres. Quels rapports futurs entre l’homme et le nature ? C’est important que l’eau ait sa place dans le respect de la biodiversité car, attention, le temps est venu du bon équilibre entre l’eau pour l’homme et l’eau pour la nature. J’espère que pour ce congrès, dans sa préparation et son suivi – ce n’est pas en une semaine qu’on change le monde – que l’eau aura toute sa place. En effet, vous ne pouvez pas avoir des écosystèmes préservés et une biodiversité protégée, si vous ne disposez pas d’une ressource en eau en quantité et en qualité. L’eau, c’est aussi une porte d’entrée sur le sujet la biodiversité car tout le monde à un avis sur l’eau. Les émissions de gaz à effet de serre, c’est un sujet plus technique. Ici sur le bassin de Réaltor, entre Aix et Vitrolles, on a l’exemple parfait et très ancien du curseur bien placé entre l’eau pour l’homme et l’eau pour la nature. On va parler de ce modèle lors du Forum mondial de l’eau de Dakar en 2021. Pourquoi ? Parce que Réaltor c’est une réserve de biosphère, végétale et animale, exceptionnelle tout en étant aux portes de l’urbain. Et en même temps, c’est une réserve d’eau potable. Vous n’avez pas tellement d’exemples comme cela.
Loïc Fauchon : Oui, peut-être que certains grands barrages ont mutilé la nature mais ils ont été très utiles… Il faut quand même dire que l’on ne vivrait pas ici dans les mêmes conditions si nous n’avions les barrages de Serre-Ponçon, de Durance et de Ste-Croix sur le Verdon. Ils sont indispensables, tant en hydroélectricité qu’en eau potable. Aujourd’hui des réserves aquatiques peuvent être aussi des réserves d’eau douce. Il y a la place et la nécessité d’un respect de l’un et de l’autre. Une évolution dans la prise de conscience est d’ailleurs observée depuis une vingtaine d’années grâce aux environnementalistes.
Concernant l’eau pour la nature, quels sont les sujets que vous souhaitez prioriser, notamment dans la perspective du Forum mondial de Dakar de 2021 ?
On veut montrer aux populations que des réponses concrètes sont disponibles, tant pour l’homme que pour la nature.
Loïc Fauchon
Loïc Fauchon : Il n’y pas de solutions globales mais des méthodes globales. La méthode c’est la sécurité de l’eau (« water security » en anglais). A partir de là, on peut décliner tout le cycle de l’eau : sécuriser la ressource, la garder en quantité en sachant la stocker. Pourquoi en France, nous avons à la fin de l’été plus de 80 départements en arrêté préfectoral pour sécheresse ? C’est pourtant un pays arrosé. Notre modeste rôle au Conseil mondial de l’eau c’est de faire prendre conscience de manière définitive, en particulier aux décideurs politiques et économiques que si l’on ne gère pas la ressource en eau, on va au-devant de graves problèmes. Les Forums mondiaux servent à entretenir cette prise de conscience. Ce sont aussi des rendez-vous pour échanger sur des solutions, comme à Marseille, ou sur des « réponses » comme on l’a intitulé pour le Forum de Dakar. On veut montrer aux populations que des réponses concrètes sont disponibles, tant pour l’homme que pour la nature.
Avez-vous des exemples emblématiques de ces réponses ?
Loïc Fauchon : On peut citer le dessalement de l’eau de mer. C’est à ce stade un complément en développement. Dakar est en train d’imaginer sa station. Alger en a déjà une. Nous sommes là dans l’eau « non conventionnelle. » Le nombre de pays qui y ont recours augmente de manière très significative avec environ 80 Etats qui pratiquent déjà cette technique. L’autre voie, et qui va aussi beaucoup accélérer ces prochaines années, est la réutilisation des eaux usées. Nous sommes sur des techniques bien maîtrisées. Certains pays sont très avancés, comme Singapour. Là-bas, plus de la moitié déjà de l’eau potable provient de l’eau usée issue de stations d’épuration. Le Mexique est également très avancé. Cela fait trente ans que la Tunisie arrose ses parcours de golf avec de l’eau usée réutilisée. Elle peut aussi servir pour l’agriculture dans certains pays. En France il y a encore des barrières légales ou psychologiques. On a devant nous un grand potentiel de progression. Le coût additionnel est largement plus faible que celui du coût du dessalement qui a lui-même beaucoup reculé (sous un dollar par m3 alors que nous étions partis à 10 dollars).
Quelles sont les grandes étapes qui précèdent le Forum mondial de l’eau de Dakar fixé désormais en mars 2022 ?
On s’appuie sur un triptyque : la gouvernance, la finance et la connaissance.
Loïc Fauchon
Loïc Fauchon : La préparation d’un Forum concerne à la fois les thèmes que nous aborderons mais aussi les aspects plus politiques. Concernant les thèmes, nous avons aujourd’hui 500 organisations qui sont impliquées dans les groupes de travail préparant le Forum. Je ne crois pas que par le passé nous ayons eu autant de participation. L’addition de l’eau et de l’Afrique, deux sujets prioritaires, donnent un premier succès d’estime. Dans les thèmes, nous avons sélectionné, en collaboration avec les Sénégalais, et les organisations africaines en général, « la sécurité de l’eau », « la coopération », « le rural » et « l’innovation ». A partir de là, on va sortir des propositions et des réponses. L’autre colonne est politique. Elle est essentielle. Je me suis rendu à Dakar il y a quelques semaines pour travailler avec le Chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, passionné par les questions de l’eau, pour voir comment nous suscitons des leviers politiques. Nous avons décidé de faire un sommet des chefs d’Etat, de ministres, de parlementaires, d’autorités locales et d’autorités de bassins. Nous avons une ambition de faire prendre à Dakar des engagements à ces cinq familles politiques. On s’appuie sur un triptyque : la gouvernance, la finance et la connaissance. Si vous maitrisez les trois dans une politique de l’eau, vous avez des chances de réussir.
La pandémie ne perturbe-t-elle pas trop les préparatifs ?
Loïc Fauchon : Il faut en effet que le monde se remette en marche et circule. Parce que dans notre mécanique, nous avons sur la route de Dakar une douzaine d’événements préparatoires internationaux. Ils doivent grosso modo se situer dans les neuf mois qui précèdent le Forum. Et si on ne peut pas les tenir, on a le risque d’avoir un Forum refermé sur lui-même, un rendez-vous de sachants un peu trop technocratique. Nous avons déjà tenu des événements en distanciel mais cela n’a pas le même impact ni la même chaleur et convivialité que lors de rencontres physiques.
(*) Gomet’ Media est associé au Conseil mondial de l’eau pour vous faire découvrir l’une des facettes de l’action de cette organisation internationale, basée à Marseille, et qui œuvre pour défendre la ressource en eau. Une action majeure à l’heure où de multiples excès et dérèglements menacent les ressources de la planète. Notre chronique a démarré en décembre 2019 avec la perspective du prochain Forum mondial de l’eau qui se doit se dérouler à Dakar en 2022, dix ans après celui de Marseille. En route pour un « un voyage au fil de l’eau » de Marseille à Dakar.