Dans nos articles précédents, nous avons appréhendé la transformation en vingt ans, quantitative de 2000 à 3800 salariés du groupe Saint-Joseph, mais aussi qualitative, avec des investissements dans toute la chaîne des services médico-sociaux. Une vision qu’Antoine Dubout, X-Ponts, professionnel de l’immobilier, défenseur du secteur privé non lucratif, a pilotée depuis qu’il a été élu président après une période de crise de management et de croissance de Saint-Joseph en 2003. Interview.
Comment pouvez-vous faire le choix d’investissements majeurs alors que l’année 2022 est dans le rouge ?
Antoine Dubout : L’année dernière était effectivement une catastrophe financière, comme beaucoup d’hôpitaux de France d’ailleurs. C’est la première fois depuis plus de 20 ans que Saint Joseph affiche un déficit. Nous avons été obligés d’embaucher pour répondre à la crise Covid. À juste titre, les salaires ont fortement augmenté : plus de 300 euros brut par mois par personne. Sans que les tarifs n’augmentent à due concurrence. L’énergie a augmenté de 85%. Tout ça conduit à des déficits abyssaux. Pour nous, ce sera de l’ordre de 10 millions d’euros. L’état nous accorde 3% d’augmentation pour la valeur du point de base pour le calcul des salaires et 0,7% sur les tarifs.
Et pourtant vous investissez ?
A.D : Depuis 2004, nous avons séparé l’activité de la Fondation, reconnue d’utilité publique d’un côté et l’activité de l’Association qui gère l’hôpital, c’était à la fois une demande des autorités de tutelle et un souhait de notre part soutenu par le Conseil d’État, c’est un système vertueux. La Fondation est en quelque sorte l’organisation faîtière, mais comme nous sommes dans un univers d’association, elle ne peut pas détenir de majorité capitalistique dans les associations qui se sont rapprochées. Les associations sont donc structurées dans une relation de confiance qui tient beaucoup aux relations humaines, mais avec une voix prépondérante de la Fondation.
La Fondation a un double objectif d’abord caritatif, que nous avons relancé depuis 2004, pour financer les interventions à l’hôpital qui dépassent le champ médical. Mais c’est aussi un formidable outil économique, car elle est propriétaire des terrains et souvent des bâtiments, qu’elle loue aux opérateurs. La gestion est ainsi plus transparente, et les organisations qui nous rejoignent s’inscrivent dans cette logique avec une exploitation qui doit s’équilibrer avec les financements adéquats et une Fondation propriétaire qui permet de garantir et de financer les investissements.
Tel est le modèle vertueux que nous avons mis en place et qui est attractif pour un certain nombre d’opérateurs. Le fait d’inscrire les terrains et les bâtiments dans le patrimoine de la Fondation sanctuarise en quelque sorte leur destination et nous permet d’engager les nombreux travaux en cours à l’hôpital et ailleurs.
Vous ressentez encore les suites de la pandémie ?
A.D : Le Covid a entraîné une « désorganisation » nécessaire mais très importante de l’hôpital. Pour tous les hôpitaux comme le nôtre, qui ont accueilli la crise Covid, il fallut déplacer les structures, ouvrir, fermer des lits ou en déplacer d’autres. Les habitudes de travail, les méthodes, ont été bouleversées. Dans un bloc chirurgical, un chirurgien est habitué à travailler avec des équipes, il y a juste un clin d’œil pour demander un outil ou un geste. Pendant deux ans, les équipes ont perdu les mécanismes et le temps de se remettre au travail est compliqué.
L’ambulatoire se développe à grande vitesse avec une croissance à deux chiffres chaque année.
Antoine Dubout
Est-ce que l’hôpital garde les mêmes fonctions, ou est-il obligé d’évoluer ?
A.D : Il manque une vision globale de la santé à tous les niveaux. Qu’est-ce que ça veut dire être en bonne santé ? L’ambulatoire se développe à grande vitesse avec une croissance à deux chiffres chaque année. L’hôpital doit être le moment le plus court du parcours de soins. Mais il faut avoir prévu, l’avant et l’après ! Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils accepté que la médecine de ville ne prenne plus de garde ? L’ambulatoire, le domicile font que l’on va réduire le nombre de lits. Il faudrait que l’on passe de 50% d’ambulatoire chirurgical à 60% voire 70%.
Saint Joseph est devenu un groupe important qui s’étend même jusqu’à l’Atlantique, qu’est-ce qui guide votre croissance ?
AD : Nous n’avons pas la volonté de devenir le plus gros du monde ou de grandir pour dominer : notre priorité est d’offrir un service à la population.
Notre première orientation vient d’un constat : si l’abbé Fouque intervenait aujourd’hui en 2023 à Marseille, il n’investirait certainement pas ici dans les quartiers sud, mais il irait dans les quartiers les plus paupérisés de Marseille. Ensuite, c’est notre deuxième orientation, nous pensons qu’il est essentiel de travailler sur l’amont et sur l’aval de l’hôpital, de façon à offrir une prise en charge cohérente, continue, du patient qui fasse place à la prévention, aux soins et pas simplement à l’intervention.
Vous préparez votre succession ?
Les institutions se développent par leur directeur, mais meurent par leurs conseils d’administration. Elles meurent avec le président qui n’a pas su trouver son successeur !
Antoine Dubout
AD : J’ai un âge qui devient canonique et donc il est raisonnable, surtout quand les choses sont préparées, de passer le relais, comme je l’ai fait à la FEHAP, la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, santé, social, privés, solidaire que j’ai présidée pendant 11 ans. J’ai toujours dit que le premier objectif d’un président, c’était d’avoir un bon directeur, ou évidemment une directrice, mais surtout de trouver son successeur.
Les institutions se développent par leur directeur, mais meurent par leurs conseils d’administration. Elles meurent avec le président qui n’a pas su trouver son successeur ! J’en suis convaincu et je l’ai vérifié ! Je suis président depuis 20 ans et ma succession est en bonne voie !
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