À la porte d’Aix, le bâtiment de l’IMVT, l’Institut méditerranéen de la ville et des territoires prend vie depuis la rentrée de septembre. Le temps de faire le point avec sa directrice générale Hélène Corset Maillard, qui pilote à la fois l’école d’architecture, l’Ensam, et le regroupement des trois structures hébergées sur le site : l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional d’Aix Marseille (IUAR), l’École nationale supérieure du paysage Versailles-Marseille (ENSP), et l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille (ENSA-M) et avec la responsable du service communication Isabelle Collet-Reymond.
Vous avez suivi la conception, la construction et l’inauguration de l’IMVT. Est-ce que le bâtiment tient ses promesses, est-ce que la vie qui s’installe est conforme aux maquettes et au projet pédagogique et scientifique ?
Hélène Corset Maillard : Nous avions produit des images de synthèse pour aider justement les gens qui ne sont pas architectes à se projeter dans le bâtiment. Et de tous les projets que j’ai vus de toute ma vie, je n’ai jamais vu une telle fidélité (1). La lumière, fut une des très belles surprises. Au-delà de la qualité spatiale du bâtiment, au-delà des matériaux, il y a des problématiques de maintenance et d’exploitation, de réseaux, il y a encore beaucoup de choses à gérer.
Nous sommes passés d’un bâtiment de René Egger de la fin des années soixante (à Luminy, ndlr), qui était magnifique spatialement, mais d’un point de vue technique, plus basique. Nous sommes dans un bâtiment beaucoup plus complexe d’un point de vue technique et technologique.
J’ai vu l’IMVT se construire pendant deux ans et il était habité par les compagnons, l’équipe de maîtrise d’œuvre, par la maîtrise d’ouvrage. Mais d’un coup, quand, toutes les communautés arrivent, en particulier les premières années, c’était entre 1300 et 1500 personnes, ce fut assez exceptionnel et impressionnant. Il y a énormément d’espaces extérieurs avec une organisation en plusieurs pôles autour du patio. Les gens sont souvent dehors, toutes les circulations quasiment sont extérieures, avec des terrasses, des coursives, des escaliers en tous sens. On voit vivre le bâtiment et les usagers pratiquent les espaces. Du point de vue de l’outil de travail spatial, il y a eu une appropriation assez immédiate.
Isabelle Collet-Reymond : Parmi les cinq lauréats du concours, le groupement retenu est le seul qui a proposé de travailler, non par établissement, mais par pôle de compétences, le pôle atelier, le pôle des communs (les administrations), le forum, la grande bibliothèque et un pôle recherche. Dans chaque pôle il y a des gens des trois établissements. Le but c’est de créer des croisements, des passerelles, des enseignements communs. On démarre, mais ça ne se fera pas tout seul.
Les associations étudiantes sont en avance et font beaucoup de choses ensemble. L’objectif est de promouvoir des équipes avec, à la fois des architectes, des urbanistes et des paysagistes.
La gouvernance de l’IMVT, est délibérément, je dirais non formelle sans structure faîtière, du type GIP, mais avec une rotation des présidents et une unanimité requise des décisions. Est-ce durable ?
H. C-M : C’était l’une des conditions pour que les trois établissements acceptent de se lancer dans l’aventure. L’école d’architecture, c’est plus de 1100 étudiants et l’IAUR moins de 200. Les architectes avaient peur que l’architecture disparaissent, les urbanistes peur que les architectes leur prennent leur pré-carré, mais ça a été dépassé avec le choix d’un établissement commun, mais sans être noyé dans une structure commune. Le conseil des établissements fondateurs est constitué par les trois directions des établissements. Mais l’Ensam est pilote. Je suis responsable du bâtiment. Et nos services en assurent en fait la gestion financière. Le bâtiment a été construit par le ministère de la culture et financé à 40 % par la tutelle de l’école d’architecture. Chaque établissement garde ses compétences, gère ses étudiants et ses équipes.
Quand le projet a démarré, dès 2016, la charte établie prévoyait un conseil des établissements fondateurs, un organe de gouvernance plus stratégique. Ce qui est en train de d’émerger est plutôt un conseil d’orientation scientifique, pédagogique et culturel, un organe d’orientation opérationnel. Je pense que ça évoluera !
Vous avez parlé de coopération méditerranéenne dans vos projets, qui la portera ?
H. C-M : Chaque établissement a déjà ses liens en Méditerranée. L’Ensam a remporté un projet européen qui s’appelle Mélimed, Métropoles du littoral méditerranéen, qui travaille vraiment avec d’autres universités et d’autres structures autour de la Méditerranée sur les questions de métropole et de changement climatique.
L’idée est que les laboratoires, les enseignants puissent co-construire à l’avenir des projets communs sur le territoire méditerranéen. On ne part pas de rien, mais le conseil d’orientation scientifique, pédagogique et culturel, aura vocation à donner des orientations en termes de rayonnement international. Nous travaillons sur ces sujets avec l’Avitem.
Question d’urbanisme : nous avons, concentré autour de la porte d’Aix, outre l’IMVT, les facultés Saint-Charles, une faculté de sciences économiques, la faculté de droit, une école d’informatique et une école de management privée. Et pourtant ce grand quartier urbain n’a rien d’un quartier latin. Où sont les étudiants ?
H. C-M : Saint-Charles, n’a jamais eu de vraie vie de quartier étudiant. C’est la forme urbaine qui domine. Existe-t-il une place publique ou un square ou un espace où les étudiants pourraient se rassembler ? Il n’y a rien. Les étudiants sont à la Plaine, au cours Julien et ils sortent sur les quartiers historiques. La population étudiante explose dans le centre.
Nous avons en cours de finition par Euromed devant le bâtiment et la Montée des universités un espace public, qui ne demande qu’à être approprié, mais les usages ne se décrètent pas.
Quels sont vos échanges, vos coopérations avec les cabinets d’architectes locaux ?
H. C-M : Une grande majorité de nos enseignants de projets sont par ailleurs des praticiens architectes, urbanistes, ingénieurs ou dans le domaine artistique, des enseignants en art. C’est la spécificité des écoles d’architecture. Nous sommes à la fois sur le modèle universitaire LMD et à la fois une école, nous ne sommes pas une université : nous formons à un métier. Nous travaillons avec le Conseil régional de l’ordre des architectes. Nous mettons en place une formation master en alternance. Nous avons eu un « Rapport d’évaluation de l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille et de ses formations » par le Hcéres, le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur le 10 mai 2023. Il définit nos points forts et nos points faibles, mais donne une image positive de l’école (lire plus bas, les conclusions du rapport, ndlr).
Dans votre cursus vous étiez Architecte du patrimoine, ABF, est-ce que cette expérience influe votre pilotage de l’école ?
H. C-M : À la fin des années soixante, le modernisme était dominant en laissant de côté le patrimoine comme une spécialité. Nous avons réinvesti ces champs-là, parce que c’est un enjeu de société. Nous avons procédé à des recrutements pour acquérir des compétences techniques par exemple sur la question du diagnostic. Quand nous traitons aujourd’hui de mesures de transition écologique, nous intervenons principalement sur le patrimoine existant, ce qui exige la connaissance des typologies, des techniques constructives, des problématiques de stabilité et d’entretien.
Je suis convaincue que les architectes doivent absolument s’intéresser et être compétents sur la question de la réhabilitation. Dans mes fonctions d’ABF passées, j’ai vu parfois des défaillances de professionnels, pas que des architectes, des maîtres d’ouvrage, des ingénieurs. Le patrimoine ancien justifie, nécessite une finesse d’expertise et de diagnostic pour ne pas faire n’importe quoi, en termes d’économie et de transmission, sur le long terme de ces patrimoines-là.
Mon parcours m’incite à renforcer notre capacité à intervenir dans le patrimoine existant, mais cette problématique a émergé à l’école avant que j’arrive.
Document source : la conclusion du rapport du Hcéres sur l’Ensam
La conclusion du Rapport d’évaluation de l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille et de ses formations par le Hcéres, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur le 10 mai 2023
L’ENSA-M est une école d’architecture bien implantée dans son environnement territorial, reconnue pour ses apports en termes d’expertise publique. Après avoir traversé des années difficiles avec des crises sanitaire et institutionnelle, elle est parvenue à stabiliser sa gouvernance et à organiser ses forces pour piloter le projet immobilier de l’IMVT, dont l’ENSA-M représente la masse la plus importante. L’établissement se prépare à vivre un changement spatial et organisationnel important avec son arrivée au cœur de la ville, dans un quartier populaire.
Les dimensions pédagogique, scientifique et même politique du projet IMVT restent cependant à ce stade, trop discrètes. En outre, la déclinaison du qualificatif « méditerranéen » doit encore être travaillée et déclinée sur ces deux plans notamment.
Si les acteurs de l’école comptent sur des mutualisations et une organisation plus transversale une fois sur place, le comité́ attire l’attention de l’établissement sur l’enjeu de ne pas différer davantage un certain nombre de réflexions déjà évoquées dans le rapport Hcéres de 2017 :
- – organisationnelles, s’agissant des mutualisations possibles et des budgets nécessaires pour une communication de plus grande ampleur, une bibliothèque partagée ou encore un programme de conférences à la hauteur de nombreuses attentes. Des risques budgétaires existent face aux dépenses de fonctionnement à venir de l’IMVT et la tutelle devrait pouvoir répondre sur un plan pluriannuel à ce défi, les collectivités locales ayant déjà largement abondé l’investissement de leur côté ;
- – scientifiques en mettant résolument autour de la table les cinq unités de recherche de l’IMVT, dans l’objectif d’élaborer une politique scientifique concertée en mesure de répondre aux défis d’une science, avec et pour la société ;
- – pédagogiques pour construire des passerelles dans les formations de deuxième cycle, éviter les doublons et faire face aux enjeux des transitions socioécologiques.
La présente évaluation est marquée par une spécificité puisqu’elle porte sur une période qui s’achève et anticipe le déménagement à venir de l’ENSA-M au sein de l’IMVT. Mais elle témoigne aussi des particularités vécues par les ENSA en France. Après les textes de 2018 qui les placent dans une dynamique de plus forte intégration entre l’enseignement et la recherche et de collégialité plus affirmée (convergence avec les normes internationales partagées de l’ESR) – elles ne sont qu’à la moitié du chemin, et l’ENSA-M ne fait pas exception. Une taille relativement petite pour un établissement de l’ESR ne permet pas, ou difficilement, l’élaboration d’outils de pilotage, une véritable politique de recherche ou encore une politique internationale structurée, avec des priorités.
Pour autant, l’analyse d’ensemble témoigne d’un réel sentiment d’appartenance à l’établissement, de services organisés au profit d’une formation des étudiants caractérisée par la proximité et le souci de la professionnalisation. La volonté affichée d’être en phase avec une pluralité des métiers de l’architecture n’est toutefois pas complètement lisible dans les maquettes pédagogiques.
1/Les points forts
- – Une école consciente de sa trajectoire, de ses manques et de l’ouverture offerte par l’IMVT.
- – Une école attractive, insérée dans un riche environnement d’action publique territoriale.
- – Une école s’appuyant sur des services administratifs solides et une direction volontaire avec une capacité d’anticipation.
- – Une politique de communication externe efficace.
- – Une bibliothèque dynamique, attentive à la valorisation des productions des étudiants et des enseignants-chercheurs.
- – Une politique de formation généraliste, cohérente en premier cycle au regard de la situation de l’ENSA-M, seule école d’architecture en région PACA.
2/Les points faibles
- – Une ambition pédagogique et scientifique pour l’IMVT encore peu présente et qui n’a pas évolué depuis 2017.
- – Une programmation budgétaire peu adaptée au fonctionnement de l’IMVT.
- – Une politique de relations internationales à structurer.
- – Un manque de programmation pluriannuelle.
- – L’absence d’affichage d’une politique scientifique pour l’établissement.
- – Un collectif enseignant peu présent dans la vie de l’école et dont l’engagement dans les instances collégiales est faible.
- – L’absence d’une politique de recherche structurante et concertée à l’échelle de l’établissement.
3/Les recommandations
- – Affirmer une ambition pédagogique, scientifique et politique pour l’IMVT, sans que l’école cherche à s’imposer pour autant aux autres composantes de l’institut,
- – Se doter de schémas directeurs et se doter d’outils de programmation,
- – Construire une politique de recherche en concertation avec la communauté́ des enseignants et dans une dynamique collective en faisant converger les synergies et les forces des trois disciplines de l’IMVT,
- – Structurer et hiérarchiser les projets liés aux relations internationales,
- – Formaliser et expliciter davantage l’offre de formation en cycles DEA et doctorat,
- – Mettre en place un observatoire de l’attractivité́ des formations et des parcours d’insertion professionnelle des étudiants.
Lien utile :
Notre Hors-série Emploi et formation
(1) L’IMVT a été conçu et imaginé par une maitrise d’œuvre regroupant plusieurs cabinets d’architectes, NP2F Architectes, Marion Bernard, Point Suprême, Odile Seyler & Jacques Lucan et des paysagistes de l’Atelier Roberta.