Rivés les yeux à nos petits écrans, nous avons vu cette semaine le monde au bout de la seule lorgnette US. Et de nous apitoyer sur cette Amérique, cul par-dessus tête, incapable d’organiser la comptabilité d’un scrutin électoral. Et de nous gausser de cette caricature blonde, enjoignant ses compatriotes à contester l’incontestable. Et de jurer que cette pantomime était impossible dans notre douce France. Et pourtant !
A Aix, un conseil municipal a opposé la maire, Maryse Joissains ; à une députée de La République En Marche Anne Laurence Petel. Micron contre Macron en quelques sorte. Sauf que la première a, sur la seconde, un avantage indéniable. Elle ose tout, c’est même à ça qu’on la reconnait. On parlait ce jour-là du Plan de déplacement urbain, qui fut adopté par la majorité, en rangs serrés derrière son leader, mais pas par l’opposition regrettant notamment le manque d’ambition et de prospective.
L’heure était grave puisqu’il s’agissait de mettre fin à la thrombose routière et autoroutière de l’aire aixoise, comme d’amorcer une politique métropolitaine où les transports sont un point nodal pour le développement économique et culturel et une impérieuse nécessité pour commencer à réduire la fracture sociale dont souffre une partie de la population d’Aix-Marseille.
Au mitan du XIXe siècle, la ville avait refusé de s’inclure dans le projet pharaonique d’une ligne de chemin de fer reliant Le Havre à Marseille.
Un moment du débat a ainsi valu son pesant d’archaïsme. A Mme Petel réclamant une gare à Luynes, Mme Joissains répondit, sans sourciller que les habitants de cette banlieue aixoise ne souhaitaient pas voir leur territoire à portée et donc menacé par les quartiers nord de Marseille. Les élus aixois s’offraient de fait un retour en arrière vertigineux. Qui rappelait qu’au mitan du XIXe siècle, la ville avait refusé de s’inclure dans le projet pharaonique d’une ligne de chemin de fer reliant Le Havre à Marseille. Avant d’inaugurer, en grandes pompes le 31 août 1856 la ligne Rognac-Aix permettant aux Aixois, moyennant un détour d’un peu plus de 23 kilomètres, d’entrer dans la modernité qui était en train de bouleverser l’économie… et les paysages. Le trajet entre Aix et Marseille se faisait alors par le rail en 1h30, ce qui est le cas très souvent en 2020 par l’autoroute dès qu’un incident ou un accident survient.
Maryse Joissains, la Toulonnaise, s’enracine donc dans une lourde tradition aixoise qui veut que l’on regarde la grande voisine du Sud, Marseille, avec méfiance et défiance. D’autres l’ont précédée qui, au nom d’une tranquillité revendiquée et d’un patrimoine à préserver, ont refusé, un temps, de voir le TGV s’arrêter sur l’Arbois. Une gare en forme d’œil, qui regarde depuis ses chiffres gonfler saison après saison et battre tous les records. Les mêmes qui ont oublié qu’un tramway – puis la plus longue ligne de trolleybus en France – assurait la liaison, dès le début du XXe siècle, entre le village de Saint-Antoine au nord de Marseille et la place Forbin en haut du cours Mirabeau.
Si on balaye cette nostalgie, on ne peut qu’être affligé par les arguments de la première magistrate aixoise. A lire les comptes-rendus de Justice ces derniers jours, on sait de plus que ce ne sont pas les populations pauvres de Marseille qui convoitent l’opulente cité du Roy René, mais ce grand banditisme qui « protège » déjà bon nombre d’établissements de nuit aixois, de bars et autres lieux de plaisir.
Les générations à venir auront à juger cette absence de vision, ce nombrilisme forcené, cette non-assistance à citoyens en péril.
Cette escarmouche aura été, une fois de plus, au-delà de la personnalité détonante de « Maryse » comme l’appellent ses nombreux supporters, révélatrice de l’absence d’analyse à long terme des élus qui tiennent encore le haut du pavé. A l’heure où les distances ont été quasiment effacées par la révolution numérique, ils s’entêtent à ne regarder le futur que depuis leur piédestal d’argile. Les générations à venir auront à juger cette absence de vision, ce nombrilisme forcené, cette non-assistance à citoyens en péril.
Il faudra bien un jour expliquer pourquoi Aix a réclamé, à cor et à cri, d’être une capitale universitaire, judiciaire, culturelle, économique tout en s’agrippant à l’idée usée et dépassée que pour vivre heureux il fallait vivre caché, ou pour le moins isolé. Il fut un temps où un ancien maire… Alain Joissains, imaginait comme au Japon (le New transit Yurikamome à Tokyo) une ligne aérienne, sise au milieu de l’autoroute (A 51 puis A 7) permettant aux Marseillais et aux Aixois de rallier leur ville respective en moins de vingt minutes. C’est son épouse Maryse Joissains qui livrait cette confidence. Aujourd’hui elle répond à Mme Petel que le problème pour aller plus loin sur le Plan de déplacement urbain, c’est qu’il n’y a pas de « pognon ». L’avenir est donc comme les mauvais vins, bouchonné.