L’enseignement à distance : un secteur trop longtemps négligé
L’enseignement à distance (en anglais distant learning) n’est certes pas une pratique nouvelle et des méthodes diverses ont été utilisées au siècle précédent. En France, sa forme « audio » est déjà présente dès 1947 avec la création de Radio Sorbonne. Mais malgré les progrès des télécommunications depuis cinquante ans, l’enseignement universitaire des deux premiers cycles est resté essentiel dans la tradition « présentielle » dans tous les pays et, de plus essentiellement centré sur la formation initiale. Le perfectionnement des télécommunications (fax, téléphone, Minitel, puis Internet à la fin du XXe siècle) a permis aux universitaires de travailler à distance de plus en plus souvent, mais essentiellement pour la recherche et les rencontres académiques ou pour superviser des doctorants retournés dans leurs pays.
Des expériences à distance ont certes été tentées çà et là. L’IAE d’Aix, par exemple a été co-organisateur en 1995 à Londres de sessions de formation via l’Internet (qui est apparu en 1991 (4)). L’interactivité y était possible et les participants londoniens pouvaient dialoguer avec l’intervenant principal à l’université de New York dont l’image s’affichait à l’écran, lui-même faisant face à la salle via le sien. L’exercice avait la saveur du décollage pionnier de l’hydravion d’Henry Fabre sur l’étang de Berre en mars 1910, mais il n’avait guère été suivi d’effets immédiats dans les institutions universitaires impliquées (neuf européennes, dont HEC et l’INSEAD pour la France) car la technologie n’était pas mûre. Il faut aussi mentionner en 1993 la tenue de « jeux d’entreprises » entre les membres du groupe EUROSIM (Université Bocconi à Milan, London Business School, ESSEC à Paris, Fac de Sciences-éco et IAE à Aix et Université de Liège) et mettant aux prises à distance des étudiants de ces institutions. Des lignes de télécommunication et des modems avaient été loués pour transmettre voix et documents (mais pas encore l’image). L’opération avait été animée par l’équipe du professeur Gambini de la Faculté de sciences économiques (ex-Méditerranée) concepteur du jeu et qui continue en 2020 à concevoir de telles méthodes d’apprentissage dans une start-up aixoise, car l’offre et la demande privée de ce secteur se développent rapidement au niveau mondial.
Mais l’enseignement à distance n’a jamais été une voie royale vers un diplôme dans aucune université ou école. De même que l’on cherche à faciliter l’apprentissage des malentendants et des malvoyants par des dispositifs spéciaux dans les amphis, l’enseignement distant était un pis-aller pour limiter les déplacements de ceux qui en étaient empêchés par handicap ou emploi parallèle. Mais le mal aimé d’hier pourrait devenir la star de demain.
Les MOOCS : premiers coups de boutoir dans la protection par la distance
L’enseignement à distance a pris une nouvelle tournure avec le décollage des MOOCS (en français : cours massifs en ligne) au début des années 2000. En 2010, l’audience de ces cours que l’on peut suivre, seul ou en petit groupe, confortablement assis dans un fauteuil devant un grand écran, atteignait déjà plusieurs millions d’utilisateurs réguliers aux États-Unis. Le lancement par le MIT de programmes systématiques de ce type a incité les autres universités à suivre le mouvement. Comme pour la banque précédemment évoquée, ces universités du haut du tableau, flairant le danger d’une concurrence extérieure, ont fortement investi dans les MOOCS. Elles alimentent donc l’offre mais celle-ci provient aussi d’entreprises et d’institutions dédiées.
Le marché est aussi mouvant et chahuté que celui de l’automobile dans les années 1900 ou celui des ordinateurs portables dans les années 2000. Plusieurs formules de MOOCs coexistent, et comme dans toutes les activités en décollage de nombreux essais se terminent en crash ou font l’objet de succès éphémères. Les standards du secteur ne sont pas encore formés, et critiques et louanges se mêlent à son égard. Certaines de ces critiques sont pleinement fondées et reçues par les initiateurs de MOOCs qui perfectionnent leurs services petit à petit comme le firent les start-up de l’automobile des années 1900-1920. Mais certaines critiques adressées aux MOOCS masquent mal les sourdes inquiétudes de l’enseignement traditionnel. De la même façon que les détracteurs de l’automobile en 1900 trouvaient maints avantages au cheval dans la ville, sur les chemins, dans la police et dans l’armée, une défense suspecte du « présentiel » est érigée par certains défenseurs de la tradition. Les plus sages heureusement comme l’a montré le débat proposé par Gomet‘, se rangent à des formules hybrides et à l’expérimentation. Les universités prestigieuses tirent aussi des leçons de l’expérience et Cambridge par exemple a décidé de poursuivre les cours en ligne mis en place depuis la pandémie.
Les défis du passage « on line »
Le Covid-19 a donc fait sortir les universitaires de leur quiétude car la transition « en ligne » a exigé des efforts, de l’imagination, et beaucoup de bricolage. Certains souhaitent aujourd’hui souffler et revenir rapidement aux méthodes traditionnelles, d’autres veulent bien poursuivre l’expérience en effectuant des petits pas progressifs, d’autres enfin jugent qu’il faut complètement repenser les méthodes d’apprentissage, les modes d’interaction avec les étudiants, et peut-être changer radicalement le modèle de l’enseignant face à sa classe. Le sujet est évidemment plus complexe et les réponses diffèrent selon les disciplines, les étages de l’édifice licence-master-doctorat, les types d’université, et l’évolution de l’énorme demande de formation continue.
Une première raison de la réserve vis-à-vis de cette transition tient aux difficultés de la mise en œuvre. Chaque plateforme de communication et chaque instance informatique dans une université ont leurs propres conventions et règles, un peu comme si certains constructeurs automobiles de 1920 avaient mis la pédale de frein à droite et d’autres à gauche, ou si le Code de la route dans certains pays avait prévu de s’arrêter au vert et d’avancer au rouge (ce que la Révolution Culturelle de Mao avait voulu pour la Chine car le rouge symbolisait la marche en avant).
Contre les infirmités ou les balbutiements de la technologie, on peut sans danger parier que la créativité commerciale associée à l’intelligence artificielle va très vite nous proposer des solutions rapides, efficaces, confortables, fiables, et sûres. La progression étonnante de la qualité de la traduction des langues, que reconnaissent les traducteurs eux-mêmes, permet d’envisager d’ici deux décennies la délivrance de cours devant des auditoires multinationaux avec traduction simultanée automatique. Là où l’interactivité est la moins nécessaire, la substitution risque de s’opérer plus vite ! Suivre chez soi ou dans une petite salle dédiée un cours de droit constitutionnel donné à distance par l’un des meilleurs experts nationaux stimulera l’apprentissage au moins aussi bien que la prise de notes automatique. D’ores et déjà, les auteurs de ce texte exploitent les ressources techniques dans leurs propres cours, faisant appel à des exposés distants pour certains points et réservant leur temps de cours pour la discussion.