Le compte à rebours avance inexorablement depuis le 25 avril dernier pour les salariés, co-traitants et intérimaires de l’usine sidérurgique de Fos-sur-Mer. Un enjeu pour les équipes, mais aussi pour le futur industriel de notre région. Ascometal emploie à Fos-sur-Mer 324 salariés, 150 co-traitants, en période d’activité une cinquantaine d’intérimaires et produit des aciers pour roulement et des aciers de construction mécanique…
TYPE | DIAMÈTRE |
Lingots | 5,3 t à 7,5 t |
Billettes et blooms laminés | 80 à 400 mm |
Largets | 70 à 600 mm |
Barres rondes laminées | 80 à 325 mm |
Fil machine | 5 à 32 mm |
Fil tréfilé | 1 à 22 mm |
L’ancienne entité d’Usinor-Sacilor, est certainement l’unité industrielle la plus maltraitée de notre région depuis (de mémoire de journaliste) les chantiers navals La Ciotat : en 10 ans, elle a connu trois dépôts de bilan, avec à chaque fois un traitement particulier pour l’entité sudiste par rapport aux implantations mosellanes comme Hagondage. Unité moderne qui s’inscrit dans l’économie circulaire, l’usine de Fos est entièrement basée sur l’utilisation de ferrailles de recyclage et un process de fusion électrique reposant sur un mix peu émetteur en CO2.
René Raimondi, maire de Fos-sur-Mer le déplorait le 12 avril dernier : « Ascometal a été en avance en produisant grâce à un four à arc électrique un acier décarboné et cela ne l’empêche malheureusement pas de connaître son troisième redressement judiciaire en quelques années ».
L’histoire longue et chaotique de l’aciériste méditerranéen s’entrecroise avec les regroupements parfois industriels, souvent financiers des sidérurgies allemande, helvétique et française.
Pour tenter de comprendre la situation actuelle, repartons de 2018. Le 22 novembre 2017, Ascometal qui emploie 1 400 salariés sur cinq sites en France, a été placé une nouvelle fois en redressement judiciaire et c’est l’aciériste suisse-allemand Schmolz + Bickenbach qui est le repreneur. Il emploie 8 900 personnes pour un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros, il promet de garder 85 % du personnel, mais envisage la fermeture du train à fil de Fos-sur-Mer.
Cette holding Schmolz + Bickenbach, précédemment nommée Swiss Steel AG, est cotée sur le marché suisse. La société opère dans la production, les ventes et les services. La production d’acier brillant, l’ingénierie en acier, l’inox, l’acier à outils et autres produits spécialisé et comprend des services commerciaux : Deutsche Edestahlwerke, Finkl Steel, Steeltec Group, Swiss Steel et Ugitech avec une commercialisation en Europe, en Amérique, en Afrique, en Asie et en Australie.
En 2020 alors que le groupe dévisse à la bourse, il s’offre un coup de communication et revient à son nom d’origine Swiss Steel avec des promesses de redéploiement et de croissance rédigé par des communicants inspirés (?) : « Nous nous réjouissons de notre voyage avec vous. Ensemble. Pour un avenir qui compte » lit-on encore sur le site du groupe. « Le nouveau nom de Swiss Steel Group incarne la vision et les valeurs du groupe. Après cette année mouvementée, il était temps de changer à bien des égards et il est temps de profiter de l’élan pour changer de nom », rapportait alors le président Jens Alder. Au même moment, le siège de Swiss steel en 2020 est passé de Lucerne à Cham dans le canton de Zoug connu pour être le plus favorable de toute la Suisse pour la charge fiscale liée aux impôts sur le revenu et la fortune.
Swiss Steel à la ramasse
Pourtant après une légère reprise en bourse, le groupe continue sa descente aux enfers. Mais qui est aux manettes ? Swiss Steel, hormis les actions cotées, est détenu par Martin Haefner et Peter Spuhler. Ce dernier, minoritaire, est le patron de Stadler Rail. C’est un entrepreneur et un homme politique engagé à l’UDC, Union démocratique du centre, version helvétique ripolinée du Rassemblement national, ancien élu de Thurgovie.
Le Zurichois Martin Haefner (1) est selon Forbes a la tête d’une fortune de 5,3 milliards d’euros. Il est propriétaire de l’importateur automobile Amag et le plus gros actionnaire de Swiss Steel. Selon la presse suisse, les deux actionnaires divergent sur la stratégie. Peter Spuhler, cherche à quitter le navire « de manière ordonnée », et Swiss Steel met sur le marché ses actifs en France.
De longues et exclusives négociations avec le groupe italien Acciaierie Venete, un aciériste crée en 1990, basé à Padoue en Italie vont capoter fin 2023. À noter que le plan de reprise discuté à ce moment-là, excluait de la vente le site de Fos-sur-Mer qui est mis sur le marché, sans grand succès, mais indépendamment du reste du groupe lorrain. Entre le début des négociations et la fin de l’année, Ascometal aurait grillé ses réserves financières et épuisé ses stocks. Les résultats du groupe Swiss Steel présentés aux actionnaires le 14 mars 2024 font état d’un Ebitda en baisse de 40 millions d’euros avec des ventes en baisse de 17 %.
Martin Haefner se fait donc hara-kiri, et demande, pour Ascometal France, la protection du tribunal de commerce. Le 27 mars 2024, le tribunal judiciaire de Strasbourg, sa chambre commerciale spécialisée, a ouvert les redressements judiciaires de la holding France Ascometal, d’Ascometal Hagondange, d’Ascometal Custines-Le Marais et d’Ascometal Fos-sur-Mer. Il nomme deux mandataires judiciaires, MJ AIR avec Maître Nadège Lanzetta et Maître Jean-Denis Mauhin et Koch & Associes, avec Maître Daniel Koch et Maître David Koch. Les éventuels repreneurs avaient jusqu’au 25 avril 2024 pour se manifester.
Deux offres de reprise, trois lettres d’intention
Le 25 avril au soir (2) raconte pour Gomet’ le représentant syndical CGT du site fosséen François Barges « les offres spécifiques pour Fos-sur-Mer sont tombées » : deux offres industrielles et trois lettres d’intention. Avec des offres « conditionnées » se présentent donc le fonds britannique Greybull, un fonds de retournement et l’italien Marcegaglia
La réputation de Greybull est sulfureuse, selon la BBC, l’ancien ministre britannique de la Ville, Lord Myners, a déclaré que « Greybull a l’habitude de prendre des entreprises (N.D.L.R. dont British Steel) qui font faillite, mais dans lesquelles, apparemment, Greybull ne perd pas beaucoup d’argent », « En fait, grâce à ses investissements ratés, elle a gagné de l’argent ».
Marcegaglia, une entreprise familiale diversifiée
Quant à Marcegaglia, il s’agit d’une grande entreprise familiale italienne de Lombardie, qui s’est diversifiée à partir de la sidérurgie, vers l’ingénierie, l’énergie, le tourisme et l’immobilier. Le groupe emploie 7 000 personnes sur une cinquantaine de sites. Il détient 15 sites métallurgiques en Italie et est implanté en France à Lyon depuis les années quatre-vingt-dix.
Trois lettres d’intention sont parvenues au mandataire judiciaire, d’abord étrangement celle d’un industriel russe, NLMK déjà présent en France, mais qui a peu de chance d’être agréé par un tribunal de commerce. Puis Europlasma, société qui développe, construit, et exploite des applications de la torche à plasma : dans la dépollution, le traitement et à la valorisation des déchets dangereux. Cotée en Bourse, la société a dévissé depuis 2020 et cherche à rebondir par croissance externe.
Marcegaglia porte un projet ambitieux qui selon François Barges passerait par « une phase de transformation totale. L’usine se reconvertirait vers la fabrication de produits plats en lieu et place les lingots comme aujourd’hui. » Cela induit des travaux qui inquiètent les salariés : « Quelle serait la continuité de l’activité ? s’interroge le leader CGT. Pendant une période d’environ 15 mois qu’est-ce qu’on fait de nos salariés ? C’est potentiellement du chômage partiel, des formations, etc. »
« Le volet social ne répond pas aux attentes », affirme avec force François Barges. « Nous souhaiterions que le fil machine continue son activité, que l’on préserve les compétences y compris celle des fonctions support externalisées ou des intérimaires ». La CGT souhaite garder l’ensemble des salariés des ateliers. De plus ajoute le délégué syndical, « il y a des conditions suspensives qui semblent peu réalisables ». À ce jour, pour la CGT, « le compte n’y est pas !».
Un plan de continuation sous surveillance locale et syndicale
Les syndicats de l’entreprise ont donc pris l’initiative d’une troisième lettre d’intention pour demander un plan de continuation de l’activité (PCA) . Les salariés d’Ascometal avec leurs syndicats CGT et CFE-CGC souhaitent que la continuité d’activité soit assurée pour maintenir les liens avec les fournisseurs et les clients, assurer de la trésorerie et payer les salariés.
Une période d’intérim serait assurée par un mandataire avec un « groupe de suivi élargi » intégrant les représentants des salariés, le maire de Fos-sur-Mer et le député de la circonscription, sous l’égide du préfet de région. « La mission du mandataire, insiste le communiqué syndical, sera d’établir un business plan garantissant le maintien de l’emploi et des installations sans aucune cession. »
Si la forme juridique de la société qui reprendrait l’activité n’est pas encore fixée, les partenaires sociaux estiment qu’Ascometal Fos aurait besoin d’un financement de 150 millions d’euros pour faire face aux dettes exigibles, à la recapitalisation et aux investissements nécessaires pour l’avenir du site. Le projet syndical demande aussi la signature d’un contrat d’énergie à long terme ; l’électricité représente en effet 13 % du chiffre d’affaires et son coût erratique ne permet pas de stabiliser les prix de l’acier.
Capture page Facebook UDCGT 13 https://www.facebook.com/UDCGT13
La présentation très médiatisée de ce projet de reprise le 25 avril a permis de remettre l’unité fosséenne au centre du terrain : la difficulté majeure est que tout se décide à Strasbourg ou à Lucerne sans prise en compte de la réalité économique et sociale du territoire sudiste.
Nous sommes en période d’amélioration des offres
« On déplore que les projets apportés à ce jour ne préservent pas l’intégralité des emplois, souligne François Barges et des ateliers nécessaires à la continuité de l’activité de manière pérenne » Nous sommes rappelle-t-il « en période d’amélioration des offres » et de levée des conditions suspensives. Le sous-préfet d’Istres, le maire René Raimondi, le député communiste Pierre Dharréville sont montés au créneau.
La trésorerie de l’entreprise n’est pas illimitée, elle permettait de tenir trois mois, donc de mars à juin, pas plus ; la chambre commerciale du tribunal de Strasbourg devra donc trancher, à l’issue de la période d’observation, le 30 juin prochain. Si la proposition du groupe italien Marcegaglia semble la plus solide, parce qu’adossée à un groupe qui connaît parfaitement le marché de l’acier européen et le pratique au quotidien, les interrogations, les inquiétudes des salariés sont légitimes. Quid de la période de travaux et quel sera le profil d’une usine Ascométal réorientée vers les produits plats ?
[1] La fortune de Martin Haefner provient en grande partie de son ancienne participation dans l’éditeur de logiciels de gestion informatique CA Technologies, acquis par Broadcom en juillet 2018. Il a hérité de la moitié de la participation de son père Walter dans CA Technologies à son décès en juin 2012, alors milliardaire le plus âgé du monde à 101 ans. Il a également hérité d’une partie du concessionnaire automobile Amag, qui vend des marques telles que Volkswagen, Audi, Bentley et Porsche. Sa sœur, Eva Maria Bucher-Haefner, a hérité de parts égales dans CA Technologies et AMAG. Il a racheté sa participation dans Amag en 2018. Martin est copropriétaire de l’hôtel Bellerive à Lausanne, en Suisse, avec sa sœur.
[2] Pour le groupe mosellan, avec les unités de Hagondange, de Custines (Meurthe-et-Moselle) du Marais (Loire), ainsi que le centre de recherche, l’italien Acciaierie Venete, revient dans la discussion.
Document source: la présentation du bilan 2023 de Swiss Steel à ses actionnaires
Les propositions syndicales
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