César du Meilleur espoir féminin en 2008 pour son interprétation du personnage de Rym, dans La graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche, Hafsia Herzi affiche, à 32 ans, un joli palmarès cinématographique avec une trentaine de films à son actif. L’actrice marseillaise (née à Manosque) a passé la soirée du mardi 3 septembre au cinéma Les Variétés pour présenter en avant-première son long-métrage, totalement auto-produit, Tu mérites un amour. Un film tonique sur le désarroi amoureux aux airs rohmériens. Récompensé par le Prix de la mise en scène au Festival d’Angoulême en août dernier et sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes, le film sort dans les salles mercredi 11 septembre.
Inspiré d’un poème de Frida Kahlo, le film met en scène le personnage de Lila (Hafsia Herzi), jeune femme déçue par l’infidélité de son petit-ami Rémi (Jérémie Laheurte, La vie d’Adèle). Perdue dans la tourmente, la jeune femme se tourne vers ses ami(e)s, notamment Ali (Djanis Bouzyani), son précieux confident qui lui suggère de faire appel à un célèbre marabout. Mais rien n’y fait. Lila tente de tourner la page et s’égare dans des rencontres sans lendemain, festives et loufoques… Lila réussira-t-elle à se sortir de ses méandres?
Entretien avec Hafsia Hamzi
Vous incarnez depuis vos débuts des rôles de femmes, plutôt libres. Ce passage à la réalisation correspond-il à une nouvelle forme d’émancipation ?
Hafsia Herzi : Complètement, c’est une nouvelle forme d’émancipation mais aussi une volonté d’évoluer artistiquement. J’avais envie de filmer, au même titre que jouer, depuis très longtemps. J’ai réalisé un court-métrage il y a dix ans (Le Rodba) et j’avais un projet sur Marseille. Mais il n’a pas pu voir le jour, pour des raisons financières. Je voulais autoproduire un film et c’est tombé sur celui-là. Mais c’est vrai que j’avais aussi envie de m’affirmer en tant que femme car j’en avais assez des clichés. J’ai voulu faire un film d’un point de vue féminin, libre.
Pour votre premier long-métrage, vous avez choisi d’explorer le désarroi amoureux d’une jeune femme, en vous inspirant d’un poème de Frida Kahlo. Pourquoi ce lien ?
H. H. : Parce que je suis une grand admiratrice de Frida Kahlo, de son parcours et de ses œuvres. C’est quelqu’un qui a beaucoup souffert en amour. J’ai découvert son poème magnifique. Ses mots nous révèlent l’intemporalité du chagrin d’amour et combien l’amour est compliqué. Pour moi, c ‘était une évidence qu’il y avait un lien entre l’artiste Frida Kahlo, romantique, mélancolique et le personnage de Lila.
Justement, le personnage de Lila que vous incarnez s’apparente à un auto-portrait cinématographique. Votre ressemblance avec Frida Kahlo, l’image mélancolique que vous dégagez à l’écran… Vous y faites allusion à plusieurs reprises, pourtant vous réfutez l’idée d’un film autobiographique. Qu’en pensez-vous ?
H. H. : Ce n’est pas un film autobiographique, parce qu’en amour, moi ça va ! Mais c’est vrai qu’enfant, on me disait souvent « tu as l’air triste », alors que pas du tout, j’adore rire ! Pour la ressemblance avec Frida Kahlo, si une autre comédienne avait joué le rôle de Lila, la réplique aurait été la même : « Tu ressembles à Frida Kahlo », parce que c’était dans le scénario. Et s’il y a toujours une part d’autobiographie, on va dire que c’est l’incompréhension des rapports hommes – femmes dont il s’agit. On n’est pas préparé au chagrin d’amour, à aimer, à être quitté et à être trahi et c’est de ça dont j’ai voulu traiter. J’ai fait une véritable enquête sur le sujet et cela m’a beaucoup touché. Le sentiment d’humiliation, d’abandon, la tristesse, l’impression que l’on a perdu quelqu’un, que son corps ne nous appartient plus. J’ai pu constater que les hommes étaient très différents des femmes.
À ce propos, vous avez beaucoup d’empathie pour les hommes que rencontre Lila. Ils sont tous attachants, y compris Rémi qui l’a trahie.
H. H. : Je n’ai pas voulu les juger parce qu’on est tous imparfaits. C’est la vie ! Même le personnage de Rémi, pour moi il est perdu, je n’ai pas voulu en faire un personnage de lâche. C’est pour cela que j’ai choisi Jérémie Laheurte, il dégage quelque chose de très doux aussi. Rémi lui fait du mal sans s’en rendre compte, c’est comme ça, ils ne sont pas faits pour être ensemble. Je voulais commencer par la fin d’une histoire. Lila ne veut pas accepter la réalité, malgré ce qu’elle découvre. Elle se rend compte qu’elle mérite mieux à travers le poème d’Anthony.
Vos personnages parlent comme dans la vraie vie, des conversations que l’on pourrait avoir dans la vie courante. Cela a t-il été un choix initial de laisser les balbutiements des comédiens ?
H. H. : Complètement. J’adore les dialogues au cinéma et dans la vie. Enfant, j’étais déjà curieuse d’écouter les conversations. Et à Marseille on est servi ! Les marseillais sont de véritables acteurs. Je voulais vraiment que ça bafouille, que l’on se coupe la parole, que ce soit vivant. Pour moi le dialogue est important, comme chez Pagnol que j’admire beaucoup et qui écrivait des dialogues simples, parfois si bouleversants.
La plupart des comédiens sont non-professionnels, à l’exception de Jérémie Laheurte et Sylvie Verheyde, avez-vous conçu vos personnages en fonction de leur personnalité ou correspondaient-ils au scénario original ?
H. H. : Au départ, les personnages étaient tels quels, mais quand j’ai décidé du casting, j’ai réécrit le scénario en fonction de ce qu’ils m’inspiraient. Par exemple, je savais que Jonathan Eap aimait cuisiner et au départ la scène de la cuisine n’était pas prévue dans le scénario. Ou encore Anthony Bajon, le photographe dans le film, il fait de la photo dans la vie. Je ne fais pas de la voyance mais c’est vrai que les personnages leur ressemblent.
À propos de voyance, cette scène avec le marabout est un véritable gag ?
H. H. : J’ai été toujours été passionné par ces histoires de voyance de marabout. Tout le monde a reçu des papiers dans sa boîte aux lettres « problèmes juridiques, problèmes d’amour on est là pour vous aider ». Cela m’a toujours intrigué. Je l’ai traité avec humour mais c’est dramatique car beaucoup de gens se font avoir. Je voulais montrer jusqu’où le désespoir pouvait nous mener.
Certaines critiques ont vu dans votre film pas mal de similitudes avec votre mentor, Abdellatif Kechiche, cela ne vous agace pas ?
H. H. : Non ! c’est un grand compliment ! Et puis je pense que je ne serai jamais à son niveau.
Vous êtes donc d’accord avec l’idée que son cinéma a influencé certaines scènes de votre film ?
H. H. : Oui, il y a des clins d’œil forcément, mais on est toujours influencé même indirectement. De toute façon on ne pourra jamais le copier. Je suis très fière de la comparaison, c’est quand même une grande référence.
Vous avez un projet du film à Marseille, vous pouvez nous en parler ?
H. H. : Oui, cela devait être mon premier film, il s’appelle Bonne Mère, j’espère le réaliser en 2020, il a déjà obtenu le prix du scénario. Mais c’était compliqué à monter financièrement car j’ai pris le parti de prendre des gens pas connus, issus des quartiers nord, ce qui était important pour moi et l’est encore aujourd’hui. Justement parce qu’il y a des talents à découvrir et le besoin de transmettre aussi. J’espère que Tu mérites un amour aidera ce projet à voir enfin le jour.