La société lyonnaise Carbon, a annoncé vendredi 3 mars, l’implantation de « sa première giga-usine de produits photovoltaïques à Fos-sur-Mer, sur le Grand port maritime de Marseille (GPMM) ». Le projet s’inscrit dans la volonté réaffirmée par le chef de l’État de construire des filières industrielles des énergies renouvelables. Dans son discours de Belfort Emmanuel Macron regrettait « qu’il y a 20 ans de cela, l’Europe, par naïveté ou par fatalité, ait laissé à d’autres continents le soin de produire les technologies et les filières industrielles » des ENR.
L’ambition de Carbon est de se positionner d’emblée sur le champ concurrentiel planétaire en bâtissant un outil industriel qui puisse rivaliser avec l’Asie. Cette giga-usine qui ne serait que la première d’une série, aurait une capacité de production annuelle de 5 GW de cellules photovoltaïques et 3,5 GW de modules, elle entrerait en service en 2025 et nécessitera 1,5 milliard d’euros d’investissement. 3000 salariés seraient embauchés, 2000 en direct, un millier en sous-traitance.
Depuis septembre, les fondateurs de Carbon étaient en quête d’espaces d’implantation vastes, environ 100 hectares, suffisamment à l’écart des agglomérations pour supporter un classement Seveso. Le préfet de Région, Christophe Mirmand, le Président du conseil de surveillance du Port de Marseille-Fos, Christophe Castaner, le président de Région Sud, Renaud Muselier, la présidente de la Métropole Aix Marseille Provence, Martine Vassal se sont mobilisés pour proposer « une surface d’environ 60 hectares, à Fos-sur-Mer, au sein du Grand Port Maritime de Marseille. Un site qui bénéficie de connexions routière, ferroviaire, fluviale et maritime directes et qui se situe au cœur d’un bassin d’emploi attractif ». Chapeau pour cet alignement des astres.
Carbon anticipe déjà les problématiques à venir sur l’intégration au paysage et au territoire provençal : en termes de modèle de production, de conditions de travail et d’intégration paysagère, Carbon revendique dans son communiqué « une ambition architecturale assumée pour cette giga-usine. Elle doit devenir un campus industriel à échelle humaine, conçu dans le souci de l’équilibre territorial, du respect de l’environnement et de la qualité de vie au travail. »
Il reste deux questions fondamentales qui expliquent que nous ayons employé le nécessaire conditionnel et non le futur pour ce projet.
Le savoir-faire industriel
Si la Chine a su prendre la première place mondiale de production des équipements solaires bon marché (-35%) et de plus en plus performants, ce n’est pas uniquement à cause d’une main-d’œuvre peu chère. La Chine produit 1,3 million d’ingénieurs par an et ils ont montré leur capacité en R & D.
En France, nous avons perdu une grande partie de la compétence en R&D industrielle et en ingénierie de projets industriels qui se sont diluées dans le « No Fab » des années quatre-vingt. Il faudra que Carbon puise remobiliser ces compétences rares.
Un premier pas a été fait grâce au rapprochement, depuis septembre 2022, avec le groupe grenoblois ECM, concepteur et constructeur d’équipements et de fours industriels. Avec ses filiales ECM Greentech, pour la production de plaquettes de silicium bas carbone, et Semco Smartech, pour son expertise sur la fabrication de cellules solaires, ECM fera partie du pôle d’experts qui accompagnera Carbon dans le déploiement des lignes de production automatisées de lingots, wafers et cellules qui sont au cœur du projet industriel.
La levée de fonds
Pour un giga projet, il faut des gigas fonds ! Le chiffrage a oscillé depuis une année entre 1,3 et 1,5 milliard. Mais la société Carbon offre une base limitée pour une telle levée. Pierre-Emmanuel Martin et Pascal Richard ont une expérience du conseil et de l’ingénierie dans le secteur, le chiffre d’affaires de leurs activités se compte en millions d’euros pas en milliards. Les associés ont investi en cash via les comptes courants ou en industrie 5 millions d’euros pour concevoir le projet.
Une première levée de fonds était annoncée dans la presse lyonnaise au printemps pour fin 2022. Elle n’a pas eu lieu. L’obtention du terrain, le parrainage des ministres Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique et Roland Lescure, ministre délégué à l’Industrie, l’accueil des élus, du maire de Fos-sur-Mer au président de région, peuvent peser dans la balance pour une levée de fonds lancée, cette fois, selon le siège, pour 120 à 150 millions d’euros afin d’ouvrir le chantier. Les promoteurs comptent sur les investisseurs privés, mais aussi sur les soutiens publics : Région, État et Europe. L’affaire est à suivre pour passer du conditionnel au futur.
Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables réagit à la demande Gomet’ (6/3/2023) sur ce projet : « C’est un projet intéressant car c’est le seul qui prévoit la production et la construction en France de la totalité des composants d’un panneau solaire. Pour que ça marche, il faut deux choses : une forte ambition sur le développement du solaire photovoltaïque (pour garantir un marché local) et des aides au démarrage du projet pour atténuer le surcoût par rapport aux panneaux produits en Chine et surtout aux USA (qui sont eux subventionnés via l’IRA). Il faut y croire, car il n’y a pas de fatalité à rester dépendant d’entreprises hors Europe sur des sujets aussi importants pour notre futur.»
[Document source] Le communiqué officiel de Carbon
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