Par Hervé Nedelec
« Le courage est de chercher la vérité et de la dire ». Qui se souvient encore de cette recommandation de Jean Jaurès ? Les dix jours qui viennent de s’écouler attestent de l’abandon de cette ambition. Il a suffi que le président le plus disruptif de l’histoire contemporaine déclenche, sans préavis, une guerre économique et financière sans précédent, pour troubler puis balayer les théories les plus enracinées et déstabiliser les pouvoirs les mieux verrouillés.
Ainsi va le monde lorsqu’un milliardaire, sans foi ni loi, dirige la première puissance du monde et entame un poker menteur avec la planète. Dans ce moment insolite où les valeurs démocratiques, les donnes géopolitiques, les équilibres commerciaux, les acquis sociaux, sont soumis à rude épreuve, on était en droit d’attendre en France une pause générale et à défaut de consensus, une réflexion collective pour faire face à la tempête déclenchée par un mégalomane aussi imprévisible que sa coiffure et son fond de teint sont improbables. On aurait même pu avoir la faiblesse de croire que, tétanisés ou appelés à la mesure, ceux qui nous gouvernent partout en France se seraient donner du temps pour au moins réfléchir au tellurisme en cours et se concentrer sur les dangers mortels que fait courir à la Maison Blanche une bande de prédateurs surexcités. Eh bien non, le constat est affligeant. Pendant les travaux de destruction US, la vie a suivi son cours au national, comme à Marseille. Comme si de rien n’était.
A commencer par le Rassemblement National dont la seule urgence est de sauver la soldate Le Pen, mal embarquée dans une affaire de détournement de fonds européens. Quatre millions d’euros enlevés à leur destination première, la rémunération d’assistants parlementaires, pour assurer en partie le confort de celle qui dirige d’une main de fer le parti hérité de son père. « Un contentieux administratif » selon le RN qu’il aura fallu dix ans aux enquêteurs pour décrypter et qualifier juridiquement de « détournement » caractérisé.
Franck Allisio, député des Bouches-du-Rhône, aux ordres, a dû organiser dans l’urgence un rassemblement de ses militants au Florida Palace, salle réputée pour la pratique du Zouk cette danse chaloupée antillaise, reconvertie ce soir-là en danse du scalp judiciaire. Le député, rejoint par des élus du Var et du Vaucluse, a justifié cette organisation de dernière heure en avouant que tous ses militants n’avaient pas, comme la famille Le Pen, « les moyens de se payer le train pour monter dans la capitale ». L’élu a donc sonné le tocsin pour, rien de moins, « sauver la démocratie » et surtout, ce n’est pas accessoire au RN où le jeune Bardella trépigne, « soutenir Marine ».
Pour faire bonne mesure, comme l’affichaient quelques slogans à Paris place Vauban, le député qui rêve de rassembler les droites pour les municipales marseillaises de 2026, s’est auto-proclamé défenseur de « l’état de Droit », après avoir contesté dans un chœur dirigé par la candidate empêchée de la présidentielle, le droit des juges à appliquer la loi. Et d’en appeler au nationalisme « Parce que, lance M. Allisio, c’est la Nation et la Nation n’est rien d’autre que le peuple, arbitre et souverain ». Qu’importe les contradictions, l’appel cent fois répété par l’extrême droite pour une justice implacable, l’injonction faite aux juges de condamner à tout va, la volonté d’écarter définitivement de la course au pouvoir tous ceux qui ont failli et manqué à l’éthique, la déontologie, la loi. Oubliées ces postures passées, M. Allisio, comme l’ensemble des élus du RN ont définitivement opté sans honte, à la manière d’un Donald Trump, pour une réalité alternative. Sur Europe 1, il a confirmé le chiffre de 10 000 manifestants place Vauban. La police opposait un 5 000 sans appel. Après la justice le RN va-t-il contester la police ? Tout fout le camp.
Dans l’outrance, le LR a été à la hauteur du RN, qu’il rêve d’imiter pour palier son hémorragie de militants et ses scores électoraux faméliques. On aura compris qu’une partie de cette formation naufragée avait eu un coup du cœur, après ses premiers pas, pour Bruno Retailleau installé place Beauvau. Le ministre de l’Intérieur a, plusieurs semaines durant, bombé le torse et pointé du doigt à travers les OQTF le seul adversaire voire ennemi qui compte à ses yeux, l’Algérie. Et tant pis pour les dizaines de milliers d’Algériens qui vivent et travaillent pacifiquement à Marseille depuis plusieurs décennies, participant de manière significative à la vie économique. Les militants marseillais des Républicains, où les nostalgiques de l’Algérie française sont nombreux, voulaient en découdre, eux qui ont approuvé les 25 ans de gouvernance de Jean-Claude Gaudin délaissant ces quartiers et cette population honnis en les privant d’équipements sociaux, de transports adaptés, d’écoles dignes de ce nom. Les mêmes ont approuvé, dans la bataille interne qui se joue pour la présidence du parti, la surenchère de Laurent Wauquiez promettant St Pierre et Miquelon aux expulsables en délicatesse avec la justice. L’amiral Emile Henry Muselier qui libéra il y a 80 ans, à la tête des forces navales libres, cette terre lointaine doit se retourner dans sa tombe. Il est vrai que la trajectoire du député auvergnat peut être qualifiée comme le fait le Canard Enchaîné de « diagonale du fourbe ».
Les Insoumis n’ont pas non plus hiérarchisé les urgences alors que Trump et ses pitbulls chassaient en meute sur les réseaux sociaux qui leur sont dévolus et les chaînes d’infos à leurs ordres. Une fois de plus l’inénarrable Sébastien Delogu aura trouvé le moyen de se faire remarquer en se laissant filmer place de la République huant son ancien camarade Alexis Corbière, lors de la manifestation sensée a priori protester contre les ruades anti-justice du RN. Corbière a dénoncé Delogu et les « sectaires » qui l’entouraient et prôner malgré tout l’unité de la gauche pour la future présidentielle. Il y a encore beaucoup de chemin à faire.
Dans ce marasme général on ne peut que saluer la pugnacité des écologistes qui continuent à poursuivre leur rêve de « décroissance », alors que les économistes commencent à peine à mesurer la mise en danger d’une organisation mondiale fondée jusqu’ici sur le libre-échange. Imaginer aujourd’hui un modèle qui ferait fi de l’environnement économique et financier planétaire relève de la science-fiction. Même si les questions qu’un Sébastien Barles pose à l’échelle de Marseille restent d’une brûlante actualité. L’élu marseillais n’a jamais cessé d’affirmer que pour la transition écologique, la ville et ceux qui la gouvernent « ne sont pas à la hauteur ». Barles a raison lorsqu’il déplore que le Printemps marseillais « manque d’audace ». Et la promesse de rompre avec l’héritage du gaudinisme reste d’actualité. Il fait même le rêve de faire d’un Centre Bourse aujourd’hui à l’abandon « une vitrine de l’innovation sociale et écologique. » En attendant que ce vœu pieux se réalise, c’est une grande surface low cost qui s’est installée avec ses produits made in China à bas prix, car toujours fabriqués par une main d’œuvre surexploitée.
Dans ces informations locales que la brutalité trumpiste ne semble pas avoir affecté, on notera enfin qu’Olivier Faure a continué à soigner sa base dans la perspective du congrès du Parti socialiste. Interrogé sur BFM sur la réforme de la loi PLM adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, le premier secrétaire a préféré parier sur Marseille, plutôt que Paris et Lyon, pour ce changement à venir. « Parce dans cette ville ils sont tous d’accord » a-t-il osé. Renaud Muselier et Martine Vassal qui sont vent debout contre cette perspective ont dû apprécier. Mais peut-on en vouloir à Faure de ne pas perdre le nord, alors qu’il compte sur le sud et particulièrement le 13 pour être conforté dans son poste. Les petits calculs commencent par de grandes additions.
Ainsi allait la planète phocéenne pendant que la météore Trump menaçait le monde.