Dans le vaste atelier du Luberon, les 13 lustres décrochés des voûtes de Notre-Dame de Paris sont alignés comme à la bataille. Chacun sur son portant, à plus de deux mètres de haut, ils révèlent à hauteur d’homme, la poussière des ans, les traces de plomb et la suie de l’incendie. Le 13e ressemble plus à une compression de César qu’à un chandelier. Ils font partie de la centaine de pièces qui ont été confiées à la lustrerie Mathieu, Entreprise du patrimoine vivant, spécialiste mondialement reconnu des lustres anciens et contemporains.
Tout commence en fait à Marseille près des Chutes Lavie. Henri Mathieu, le fondateur crée l’entreprise de luminaires en 1948. La France se reconstruit, le marché est porteur, Henri Mathieu lance ses propres collections et l’entreprise est florissante, elle emploie plus de 150 salariés.
En 1982, Henri Mathieu disparaît prématurément, son fils Régis, n’a que 11 ans. Sa mère Yvette, assure et reprend les rênes de l’entreprise. Mais le marché du luminaire se transforme, les importations, les grandes surfaces, font une concurrence redoutable. Et en 1990 Régis Mathieu, le fils cadet, étudiant à sup. de co. fait le pari fou de sauver la société familiale et d’en prendre la direction.
L’intuition de l’ouverture au monde
Il est facétieux sur les enseignements qu’il reçoit alors à l’école de management de Marseille. Devant les lauréats de l’accélérateur de Rising sud, en séminaire dans ses ateliers pour une journée, il déclare carrément “j’entendais des cours à l’école, je faisais le contraire le soir dans mon entreprise et ça marchait !”. Il écoute son intuition, ne se fie à aucune étude de marché, mais part à la conquête du monde, avec la conviction que l’art de la lumière, son histoire, sa fabrication française, le sur-mesure, vont séduire des clientèles nouvelles.
Les États-Unis, les pays du Golfe, la Russie deviennent des marchés privilégiés. Et gourmands des lustres qui sont encore fabriqués à Marseille. Fort des talents de ses équipes, certain de détenir un savoir-faire unique, il s’impose auprès des Monuments historiques et surfe sur le marché de la restauration des bâtiments anciens, châteaux, palais, églises que la France chérit en faisant revivre les métiers anciens et les pratiques des compagnons en orfèvrerie, joaillerie, lustrerie. La Basilique Saint Denis, la Cathédrale Saint Alexandre Nevsky, le Château de Versailles et sa galerie des glaces, le Palais Bourbon, le Palais Garnier, le Palais Farnèse à Rome deviennent des références connues et reconnues par les architectes des Bâtiments de France. L’entreprise est labellisée en 2007 “Entreprise du patrimoine vivant” par le ministère de la Culture et devient une référence sur le marché de la restauration d’art.
Adieu Marseille, bonjour le Luberon
En 2002, il décide de quitter Marseille et de s’installer dans le Vaucluse. Il connaît la région, il y passait ses vacances et y a fait connaissance de son épouse Mireille, originaire de Bonnieux.
À Gargas, une petite ville de 3000 habitants, à quelques kilomètres d’Apt, pas loin de Gordes, il a repéré une friche industrielle, trois hectares et demi de ruines issues de l’industrie ocrière, bien connue dans la région pour ses carrières qui se visitent à Roussillon à 10 minutes avec Ôkhra, l’Écomusée de l’ocre.
Le maire la lui cède à la condition qu’il respecte le passé de cette industrie, qui reste dans la mémoire des habitants et qui est une attractivité touristique potentielle. La friche est une vraie friche, une usine d’ocre avec ses 24 bassins, à l’abandon depuis 1930 : tout est à reconstruire. Régis Mathieu y transfère ses ateliers et construit son offre. Il devient acteur des industries du luxe, apprécié des grandes maisons françaises : Hermès, Guerlain, Cartier, Louis Vuitton… Il exporte à 80 %, va vers le marché indien avec par exemple une création personnelle de 12 mètres de hauteur pour une collectionneuse d’art. Il renonce à la Russie, mais ouvre un « showroom » à New York pour proposer ses propres créations contemporaines, une galerie dans le 8° arrondissement et un atelier ouvert au public à l’hôtel de la Marine à Paris.
5000 m2 à Gargas
En 2020, la lustrerie Mathieu investit 3,5 millions d’euros à Gargas pour s’offrir 5000 m², d’ateliers et d’espaces d’exposition. Le lieu est exceptionnel, les architectes ont reconstitué l’univers industriel avec de la brique rouge partout. Ils ont maintenu le four d’ocre et les machineries qui servaient à broyer l’or rouge. Lorsque l’on pousse la porte du hall d’exposition et de travail, on ne sait plus si l’on est à Baccarat ou à Murano. Où que l’on porte son regard en levant les yeux, des dizaines et des dizaines de lustres créés depuis six siècles scintillent au plafond.
La collection maison comprend à peu près 600 pièces. Et sous le pilotage du top manager lui-même, l’œil apprend peu à peu à repérer les œuvres d’art déco, classiques, religieuses, Renaissance ou second Empire. La vingtaine de compagnons travaille dans un univers lumineux aux grandes baies vitrées, prenant avec précision, pièce à pièce, du bronze, du cristal, de l’or, des pierres précieuses, etc. La charpente métallique, apparente, permet de transporter des lustres qui pèsent jusqu’à deux tonnes et de les amener tranquillement sur les bancs de travail des artisans. La société a obtenu du Louvre la possibilité de reproduire à l’identique les pièces historiques.
« Le marché de la réédition, confie Régis Mathieu à Gomet’, est celui qui génère le plus de chiffre d’affaires. C’est le marché du luxe, avec des process de fabrication que nous maîtrisons et la vente en ligne qui nous permet d’accéder aux marchés mondiaux. Le secteur des monuments historiques est toujours intéressant, mais aléatoire. » Exemple avec les lustres de Notre-Dame de Paris que les experts croyaient en bronze doré, mais qui sont faits de bronze ciré, nuance pour le profane mais qui change tout et oblige à attendre de nouvelles analyses et de nouvelles prescriptions de l’Etablissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris pour revenir au dessein de Violet Leduc.
« Les restaurations, explique l’entreprise Mathieu, peuvent être un simple nettoyage, une ré-électrification avec des bougies en led maison, jusqu’à la refabrication complète des pièces en bronze, la redorure, la fourniture de pampilles qu’elles soient en cristal de roche, en verre solarisé ou en cristal plombé. »
La société a innové pour elle-même avec une offre led qui reconstitue la flamme de la bougie, une petite lumière économe qui consomme un watt et restitue le halo, la couleur et la forme d’une flamme. Durable et économe, elle a été adoptée dans de nombreux monuments historiques et dans des collections contemporaines. Elle est même disponible pour le grand public à 10 € pièce.
Enfin, les créations de Régis Mathieu sont référencées sur le marché de l’art, toujours dans l’univers du luxe. Que ce soient des rééditions ou des créations, les achats en lustrerie à Gargas s’étalent de 5000 à 500 000 euros pour une pièce. L’entreprise qui réalise 7 à 8 millions d’euros de CA par an et emploie une trentaine de salariés est restée délibérément une entreprise familiale. Régis Mathieu son épouse, ses deux enfants sont des passionnés, de la lustrerie bien sûr mais aussi des voitures de luxe. Et si tout a commencé par une Volkswagen, la collection d’une trentaine d’automobiles qui parcourent la Provence ou décorent les showrooms aujourd’hui, est dédiée à la marque Porsche.
500 pièces de collection patrimoniales
Lien utile :
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