Par Jean-Michel Arnaud, vice-président de Publicis Consultants et David Lisnard, maire et président de l’agglomération de Cannes.
La lutte contre les incivilités est désormais l’affaire de tous. Les affiches sur ce thème se retrouvent partout : dans les rues des villes, sur les quais des gares, dans les écoles, dans les bureaux de poste ou de Pôle Emploi, voire, de façon plus informelle, dans des cafés et restaurants. La condamnation du manque de savoir-vivre s’érige en une nouvelle norme sociale. Repris à l’envi, les mots incivilité(s) et incivisme sont devenus le signe d’un profond malaise de nos sociétés démocratiques contemporaines, le symptôme de notre incapacité à vivre ensemble en République française.
Pour aborder ce problème autrement, Jean-Michel Arnaud et David Lisnard proposent un nouveau concept, celui d’incommunautés, à partir duquel peuvent s’imaginer de nouvelles politiques publiques.
Jean-Michel Arnaud est vice-président de Publicis Consultants et directeur des publications de l’Abécédaire des Institutions. Cofondateur du quotidien gratuit, il est aussi vice-président de Metro International Newspapers et a présidé le groupe Domaines Publics. Conseiller du Commerce Extérieur de la France, il enseigne l’intelligence économique à l’université Paris-Descartes.
David Lisnard est maire et président de l’agglomération de Cannes. Vice-président et porte-parole de l’Association des maires de France, il siège comme vice-président au Comité des finances locales. Il a dirigé la société d’exploitation du Palais des Festivals et des Congrès de Cannes et présidé le cabinet d’audit et de conseil des collectivités SP 2000.
Extrait
“Derrière le double sujet des incivilités et de l’incivisme, c’est, en effet, toujours d’« incommunautés » qu’il s’agit : des comportements qui abîment, brisent ou usent la possibilité de faire nation. L’« incommunauté » favorise les forces centrifuges qui se traduisent en communautarisme, c’est-à-dire en communautés dont la légitimité nuit à celle de la communauté nationale. Nous proposons de forger ce néologisme d’« incommunautés » pour mieux faire entendre le problème derrière les incivilités et l’incivisme ; le risque est qu’un jour nous ne sachions même plus faire communauté au-delà d’affinités identitaires sectaires, qu’un jour nous n’ayons plus rien en commun à l’échelle de la cité, plus rien à partager. Les incommunautés ne sont pas juste de mauvaises manières, de la menue délinquance ou de l’abstention citoyenne, mais des coups de canif quotidiens et répétés au lien social. Ce néologisme permet de comprendre ce qui se joue derrière tout cela : l’incapacité à faire communauté tous ensemble (communauté nationale, familiale, de quartier, associative), le délitement de ce qui permet de constituer un peuple en transcendant les différences sociales, spirituelles, démographiques, ethniques. Il doit permettre de proposer des réflexions et des solutions pour refaire communauté, réapprendre le sens du partage des droits et des devoirs en société et régénérer le sentiment de l’intérêt général. La question est de comprendre comment se combinent incivilités et incivisme – sachant que les deux mots sont désormais souvent utilisés l’un pour l’autre dans le langage ordinaire. Lorsque l’un d’entre nous a rédigé, en tant que maire de Cannes, un Guide du civisme et plaidé « pour un renouveau civique », certains ont cru voir une confusion entre incivisme et incivilités. Nous souhaitons revenir sur cette prétendue confusion, car, en réalité, les incivilités sont consubstantielles à l’incivisme. Notre sens civique est en effet rongé de toutes parts par les incivilités qui se produisent au quotidien. C’est parce que certains ne respectent plus leur nation et ses valeurs qu’ils ne respectent pas leurs voisins et l’espace public. Et inversement ! Derrière toute incivilité se cache un incivisme fondamental. Le vrai problème derrière les incivilités, c’est donc l’incivisme. Et on parle aujourd’hui autant des incivilités parce qu’elles sont le symptôme d’une crise bien plus profonde : celle du civisme. Ce néologisme d’« incommunautés » a un autre avantage. Il permet de retirer ce que le mot d’« incivilités » draine de trop gentillet : l’idée que les incivilités seraient une simple affaire de formalisme, d’impolitesse. Qu’après tout, elles ne seraient pas si graves et qu’on en ferait une bien grande histoire… Derrière « incivilités » au pluriel, on continue d’entendre « incivilité » au singulier. Et dans nos dictionnaires, la définition associée à ce mot est toujours celle d’un comportement qui manque de politesse. D’une certaine façon, le mot n’est pas assez « dramatique », et nous croyons qu’il est important de donner toute sa portée au sujet – car il est « politique » au sens premier du terme ! Les « incommunautés » ne sont pas juste un manque de savoir-vivre, mais un manque de vouloir- vivre- ensemble. Derrière leurs caractères disparates, « les incivilités » ont en commun de menacer les codes sociaux à l’aide desquels est évaluée l’innocuité du rapport à autrui. Elles contribuent de ce fait à détériorer la confiance interpersonnelle et engendrent le repli. Un manque de vouloir vivre ensemble”.
Aux éditions Hermann – 166 pages – 14 x 21 cm – 15 EUR – ISBN : 978 2 7056 9527 9