Début janvier 2023, la Chambre régionale des comptes (CRC) Provence-Alpes-Côte d’azur faisait paraître un rapport sur l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (APHM), confirmant la situation difficile des hôpitaux marseillais, pourtant « pivot[s] de la politique sanitaire régionale ». Arrivé en juin 2021, en plein covid-19, le directeur actuel de l’APHM François Crémieux a repris les dossiers en cours tout en assurant la gestion de la crise sanitaire, en remplacement de Jean-Olivier Arnaud. La période concernée par le rapport (2016-2020) fait donc état d’une gestion antérieure à son arrivée. Néanmoins, il prend acte des recommandations de la Chambre, ne nie pas les difficultés et détaille à Gomet’ les grands axes de sa stratégie pour redresser la barre de l’APHM.
Le rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) Provence-Alpes-Côte d’Azur paru début janvier 2023 pour la période 2016-2020 fait état d’une situation financière critique (dette de 900 millions d’euros). Quelles sont les causes qui ont mené à cette situation ? Et qu’en est-il aujourd’hui ?
François Crémieux : Tout d’abord, la CRC relève une situation tout de même moins critique qu’auparavant : le déficit qui s’élevait à 70 millions d’euros en 2015 s’est réduit et nous avons retrouvé une situation presque à l’équilibre.
« La trajectoire financière de l’APHM est inquiétante »
François Crémieux
Malgré cela, la trajectoire financière de l’APHM reste inquiétante. En 2022, nous allons à nouveau être déficitaires de quelques dizaines de millions d’euros. Cela est dû à l’inflation, qui touche à la fois nos achats courant et nos projets d’investissements, mais aussi les séquelles de la crise covid, liées à la réorganisation des services, les fermetures de lits, ou encore l’augmentation des salaires.
Or, le système de garantie de financement, qui a remplacé la tarification à l’activité (T2A) pendant la période covid, ne permet pas de couvrir les frais que nous avons eus. Par ailleurs, comme le relève la CRC, la dette de l’APHM s’élève aujourd’hui à 900 millions d’euros, ce qui en fait le centre hospitalo-universitaire (CHU) le plus endetté de France. Paradoxalement, nos bâtiments sont vieillissants et nécessitent des investissements. Mais nous ne pouvons plus emprunter, car le coût de l’emprunt s’élève déjà à 25 millions d’euros dans notre budget !
La situation est d’autant plus complexe qu’un grand plan de modernisation a été lancé sur l’APHM. Est-ce toujours faisable ou prévoyiez-vous des ajustements ?
F. C. : Il est nécessaire de mener à bien ce plan mais nous sommes dans une impasse financière. D’un côté, il nous manque de l’argent pour effectuer les travaux, mais de l’autre nous n’avons pas encore commencé à dépenser les 500 millions d’euros qui nous sont alloués. La réalisation du plan de modernisation est un défi majeur pour l’APHM. Il doit permettre de moderniser les bâtiments vieillissant et inadaptés de Timone et Nord.
Pour l’instant, alors que les travaux n’ont pas commencé, il nous est difficile de dire comment nous allons financer cela. La CRC pointe une dérive de 36% du montant initial mais le fait est que ce montant de 500 millions d’euros a été évalué très a minima, par rapport à d’autres CHU et compte tenu de l’état des bâtiments, qui datent des années 70. Nous avons lancé des études pour connaître le coût réel de ce plan, en fonction de l’inflation, mais aussi des normes environnementales qui n’étaient pas prises en compte à l’époque.
Quelle est votre stratégie pour sortir de cette impasse financière et parvenir à financer le plan de modernisation de l’APHM ?
F. C. : Deux solutions : soit le montant des aides publiques augmente sur la période de dix ans qui nous est donnée pour réaliser le plan (actuellement, le montant des aides s’élève à 238 millions d’euros apportés par l’Etat et 130 millions des collectivités publiques, ndlr) ; soit une réduction de la dette, comme cela a pu être fait dans le cadre du Ségur de la Santé, qui a déjà permis de reprendre 32 millions d’euros de dette. Une autre option serait d’allonger le délai du plan de modernisation, mais c’est une course contre la montre qui se joue. Il est à la fois urgent d’engager les travaux pour le bien des patients et des professionnels de santé ; mais il est aussi urgent de trouver des financements complémentaires à temps.
Quelles sont les premières concrétisations de ce plan de modernisation ?
F. C. : Nous avons inauguré l’été dernier une partie du biogénopôle sur le site de la Timone (voir notre article). Nous devons recevoir, en avril 2023, le 1er étage et la plateforme de biologie moléculaire. L’entreprise pour le bâtiment du Samu vient d’être choisi (SPIE Batignolles Sud-Est, ndlr). Nous allons pouvoir démarrer les travaux. Pour les financer, nous avons anticipé l’usage des aides qui nous étaient allouées : sur les 31 millions d’euros déjà alloués par la Région, nous aurions dû initialement consacrer six millions d’euros au Samu. Finalement, entre l’argent de la Région et les aides de l’Etat, cette rénovation nous coûte 23 millions d’euros au lieu de 15 millions.
Sur le site de la Timone, nous avons déjà l’architecte. En septembre, nous démarrerons l’installation de la tour monte-malade, qui est la première étape des travaux. A la même période nous allons choisir l’architecte du bâtiment Parents-enfants (maternité de la Conception et de pédiatrie de la Timone réunies ndlr). Les travaux sur la Timone impliquent de mettre en place un système de rotation de l’emplacement des lits en fonction des travaux.
Il y a également la rénovation de l’hôpital Nord, qui est un sujet majeur. Enfin, à côté de tout cela, il y a d’autres projets que nous menons et qui ne font pas partie du plan de modernisation, comme la rénovation du pôle Parents-enfants de Nord qu’il faudra rénover au cours de la décennie. Donc pour l’instant, on sait qu’il faudra le faire, mais l’enjeu est moins urgent.
Comment la crise sanitaire a-t-elle influencé l’évolution du plan de modernisation ?
F. C. : Sur l’ensemble des bâtiments rénovés, nous nous assurons qu’il y ait une capacité d’extension. Ce sera notamment le cas du bâtiment Parents-enfant de la Timone. Même si les enfants ont très peu été touchés par le covid, il faut se préparer à faire face à une éventuelle épidémie infantile, si elle survenait. Idem à Nord, où nous allons prévoir une aile supplémentaire pour accueillir des malades en cas d’épidémie, sans qu’il faille arrêter les autres soins.
« Le nombre de patients actuellement hospitalisés au sein de l’APHM pour cause de covid-19 est quasi-nul »
François Crémieux
Actuellement, le nombre de patients hospitalisés à cause du covid-19 à l’APHM est quasi-nul. Ce qui est certain, c’est que nous allons subir d’autres pandémies, il est donc de notre responsabilité d’anticiper.
Le plan de modernisation prévoyait également deux projets phares : l’institut sur les maladies rares Giptis et le pôle de Sainte-Marguerite. Ces deux projets ont été abandonnés, pourquoi ?
F. C. : Sur Giptis, le projet est abandonné depuis 2021. Nous nous sommes rendus compte qu’il n’était réalisable, ni sur le plan financier, ni en termes de terrain. Cela dit, nous maintenons la réflexion sur un projet axé sur la génétique. C’est un enjeu majeur, que cela soit dans le domaine de la cancérologie ou des maladies rares.
« Le projet sur Sainte-Marguerite n’est pas abandonné et un appel à manifestation d’intérêt sera prochainement lancé »
François Crémieux
Concernant Sainte-Marguerite, le projet n’est pas abandonné. La seule chose sur laquelle nous sommes revenus est la vente du terrain à la Métropole. Mais nous projetons toujours d’en faire un lieu tourné à la fois vers le soin, l’enseignement, la recherche – avec l’éventuelle implantation d’un biocluster -, un pôle d’activité pour les entreprises et également d’autres activités en fonction des besoins, qui restent à déterminer. Le territoire manque de foncier pour accueillir les entreprises et start-up de la santé. Un appel à manifestation d’intérêt sera lancé prochainement pour permettre de trouver un projet qui coche toutes les cases. La Métropole nous accompagne toujours, de même que la Région, la Ville de Marseille ou encore Aix-Marseille Université.
Le rapport de la CRC pointe aussi du doigt des défaillances dans la gestion des ressources humaines. Qu’avez vous prévu afin de mieux encadrer la gestion et remédier au manque de personnel ?
F. C. : Durant le covid, nous avons suspendu toutes les demandes de mutation. Aujourd’hui, on observe un effet de rattrapage, avec des départs qui se font maintenant car ils n’ont pas pu être faits avant.
A mon sens, il faut déconcentrer la gestion des ressources humaines vers les hôpitaux, plutôt que de tout centraliser au cœur de l’APHM. Le système actuel constitue une perte de temps, une perte d’énergie et conduit, parfois, à une perte du candidat. Il faut qu’un hôpital soit capable de recruter un soignant dont il a besoin sans passer par tout un processus de validation bureaucratique au niveau de la direction générale, et que les équipes de direction au sein des hôpitaux aient le plus de liberté d’action et de marge de manœuvre. C’est le travail que j’ai engagé à mon arrivée.
Les soignants tirent la sonnette d’alarme sur leurs conditions de travail, notamment pendant la crise sanitaire. Les métiers de la santé sont-ils devenus moins attractifs ?
F. C. : Non. Au contraire, ces formations restent très plébiscitées sur Parcoursup et l’APHM recrute davantage en sortie des Instituts de formation des soins infirmiers (IFSI). Le taux d’échec a cependant augmenté : il est passé de 5 à 20%. Cela est en partie lié à la crise du covid-19 durant laquelle les étudiants ont été réquisitionnés.
Le problème n’est pas l’attractivité des métiers, mais celle de l’APHM. En 2022, nous avons recensé 1644 départs pour 1704 recrutements. La balance est donc positive, mais cela reste insuffisant par rapport à nos besoins. L’objectif est de revenir au plein emploi. Actuellement, nous avons 18 000 agents, et il nous en manque en moyenne 250. Cela paraît peu, en terme de proportion. Le problème est que ce manque est concentré sur certains services en particulier. Par exemple, actuellement, nous avons des difficultés à recruter des puéricultrices et des professionnels de nuit.
Le rapport met aussi en évidence des négligences dans la gestion du patrimoine privé de l’APHM, qui aurait induit notamment une perte financière de 850 000 euros. Avez-vous remédié à la situation ?
F. C. : D’abord, nous avons créé un service dédié à la gestion du patrimoine, ce qui n’existait pas jusqu’alors. Ensuite, nous avons lancé un audit mené par le cabinet Segat, qui a établi le constat d’un patrimoine immense et très hétéroclite, composé de dons et de legs, avec de l’ancien et du neuf, des appartements comme des terrains avec immeuble… L’objectif à présent est d’établir avant l’été une stratégie pour savoir ce que l’on garde, ce qu’on loue ou ce qu’on vend. C’est un enjeu qui représente plusieurs millions d’euros.
Quels sont les autres défis de l’APHM pour les années à venir ?
« Nous ne pouvons pas laisser les quartiers Nord uniquement aux mains d’un service privé low-cost. Le service public doit reprendre ses responsabilités »
François Crémieux
F. C. : Outre la réalisation du plan de modernisation, un défi majeur est la réduction de la fracture Nord/Sud. Nous ne pouvons pas laisser les quartiers Nord uniquement à un secteur privé low-cost et de mauvaise qualité, ou à la médecine humanitaire. Le service public doit reprendre ses responsabilités. C’est pourquoi nous avons entamé l’installation de centres de santé dans les quartiers Nord, notamment aux Aygalades, en lien avec le CHU. Un second centre sera installé aux Flamants dès cet été. Au total, nous envisageons la création de quatre ou cinq centres. Enfin, nous avons aussi un défi en termes d’innovation et de recherche.
Justement, en termes de recherche et d’innovation, l’APHM avait déposé sa candidature pour obtenir un nouvel institut hospitalo-universitaire (voir notre article) … Où en est le dossier ?
F. C. : Nous avons essuyé un refus au premier tour de table. Nous avions déposé deux projets : un dédié à la neurologie et un autre sur la cancérologie, en lien avec l’Institut Paoli Calmettes. Mais il y a régulièrement d’autres appels d’offres dans le cadre de France 2030. Nous maintenons donc ces projets car ils reposent sur des enjeux majeurs.
Document source : tous les projets du plan de modernisation de l’APHM
Liens utiles :
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