Des œuvres de l’artiste franco-américano-égyptienne sont exposées pour une première rétrospective en France dans trois musées marseillais : le Mucem, qui accueille la partie orientale, le Frac, qui expose la partie féministe, et la Vieille Charité, qui héberge ses sculptures. Les commissaires de l’exposition et l’artiste elle-même ont accueilli Gomet’ jeudi pour une visite presse, un jour avant l’ouverture au grand public.
Pierre-Olivier Costa, nouveau président du Mucem, salue l’initiative : « c’est une exposition exceptionnelle car l’artiste est exceptionnelle. Vous y retrouverez de tout : broderie, sculpture, couture, jardin… Les thématiques abordées comme l’identité, la femme et sa place dans la société sont au cœur des préoccupations du Mucem ».
La première œuvre de Ghada Amer qui s’offre aux yeux du public dès son arrivée au Mucem est un jardin extérieur ouvert depuis les journées du patrimoine. Des immortelles y sont plantées, formant une phrase arabe. L’artiste a en fait « repris une revendication féministe aperçue sur une banderole lors d’une manifestation au Caire pendant les printemps arabes », explique Hélia Paukner, commissaire de l’exposition. « C’est le détournement d’un adage attribué au prophète ‘la voix de la femme est source de honte’. En changeant seulement un phonème, Ghada transforme la phrase en : ‘la voix de la femme est révolution’ », ajoute-t-elle. « Le charbon utilisé rappelle le feu de la révolte et le bucher dans lequel étaient brûlées les femmes condamnées pour sorcellerie ».
Dans la partie exposée au Mucem, Ghada Amer essaye de « déconstruire l’opposition radicale, binaire et stérile entre Occident et Orient », explique la commissaire. L’exposition commence par un salon courbé, qui est le salon traditionnellement utilisé pour accueillir des étrangers en Egypte. Les murs l’encerclant sont recouverts d’inscriptions qui sont en fait des définitions du mot terrorisme. « A l’époque où elle a réalisé ce salon, Ghada habitait aux Etats-Unis et entendait parler de la guerre au terrorisme utilisée par Bush pour justifier des frappes au Moyen-Orient. Elle se sentait stigmatisée et vue comme une terroriste en tant qu’égyptienne », détaille la commissaire.
Après avoir emménagé en France à 11 ans, l’artiste est régulièrement retournée en Egypte voir sa famille. Dans les années 90, elle a été frappée par « la radicalisation et l’augmentation du nombre de femmes qui se voilent », explique la commissaire. Ghada Amer a alors l’idée de créer le voile « qu’elle aurait porté si on l’y avait forcée. Sur l’empiècement de dentelle noire, elle brode le mot peur », oberve la commissaire.
En étudiant à Paris, Ghada Amer constate la faible présence d’artistes venus du monde arabe à Paris. Elle décide de réaliser une performance avec une artiste iranienne : elles revêtent un voile noir et se rendent à des vernissages et dans des lieux touristiques. Elles se rendent alors compte des stéréotypes et des connotations négatives que le voile a en Occident.
L’artiste réalise alors quatre toiles pour contrer les clichés négatifs autour de la culture arabe. Elle y écrit les définitions des mots paix, amour, liberté et sécurité pour contrebalancer les menaces associées à la culture arabe.
L’artiste affirme : « il y a eu un vrai lavage de cerveau après le 11 septembre. J’ai voulu montrer qu’on n’était pas des terroristes ». C’est pour cette même raison que Ghada Amer a réalisé des sculptures sur lesquelles sont écrit une trentaine de mots signifiant « amour » en arabe.
Dans la salle du Mucem où sont exposées les œuvres, on retrouve aussi, éparpillés au centre, des cartons de déménagement représentant les déplacements de l’artiste entre Le Caire et New York, sur lesquels sont brodés des phrases tirées de l’encyclopédie du plaisir. « Ce sont des extraits d’un des premiers recueils de textes érotiques en arabe. Ce texte est censuré et interdit dans les pays arabes. Ghada a choisi des passages qui parlent de sexualité et de plaisir féminin », détaille la commissaire. Ghada renchérit : « une culture sauve l’autre. On brûlait les livres pendant l’Inquisition. J’ai pu retrouver ce recueil au Canada ».
Pour une autre de ses œuvres, Ghada Amer brode des sourates issues du Coran pour inviter à la connaissance. « Ce qui en ressort est que la femme n’est ni totalement soumise ni totalement célébrée. Il n’y a pas de conclusions hâtives ni de clichés », explique la commissaire.
D’autres toiles de l’artiste représentent des femmes nues brodées, « ce qui est déjà une prise de position politique très forte face à la culture arabe. »
Ghada Amer s’adressait d’abord à une audience occidentale, pensant qu’il n’y avait pas de féministes qui pouvaient l’entendre en Egypte. Or, après les printemps arabes, l’artiste commence à s’adresser à une audience arabophone. Sur certaines de ses toiles, on retrouve des citations féministes, comme celle de Simone Veil « on ne naît pas femme, on le devient ». Ironiquement, une citation de Saddam Hussein est aussi exposée. « Il était féministe », affirme l’artiste.
Ghada Amer peint également depuis 2016 des portraits de femmes révolutionnaires, qui ne se soumettent pas au patriarcat. Elle représente aussi des femmes de son entourage, qui ont peu de visibilité, pour les montrer et leur donner une voix. Elle montre par exemple une femme égyptienne voilée, et inscrit sur le portrait le slogan « my body, my choice ».
A la fin de l’exposition du Mucem, on peut admirer des photographies prises en Egypte par l’artiste. Elle les poste chaque jour sur son Instagram.
Dans la chapelle de la Vieille Charité, en plein cœur du Panier, on retrouve un autre aspect de l’œuvre de Ghada Amer : ses sculptures. Elle a pris des cours privés et a été résidente pendant deux ans pour apprendre cet art. « C’est très difficile et technique, mais la sculpture me permet de m’échapper de mes revendications politiques », explique l’artiste.
Au Frac, c’est plutôt les œuvres féministes de l’artiste qui sont exposées. L’exposition y est nommée « Witches and bitches », titre qui annonce la couleur. « Les ‘sorcières’ et les ‘salopes’ sont en effet deux figures de femmes puissantes et fortes qui ont servi à condamner et à rabaisser les femmes », explique la commissaire.
Etudiante à la villa Arson à Nice, Ghada Amer a voulu intégrer des cours de peinture, ce qu’on lui a interdit car elle était une femme. De plus, elle a eu du mal à trouver des livres d’artistes femmes, minoritaires. Elle a donc voulu montrer qu’une femme pouvait être peintre, en brodant sur des toiles.
L’une des premières toiles que l’on voit en entrant dans la salle d’exposition du Frac est un autoportrait sur lequel est brodé la citation d’un télévangéliste, définissant le féminisme : « le féminisme encourage les femmes à abandonner leurs enfants, tuer leurs maris, corrompre le capitalisme et devenir lesbiennes ».
Tout au long de l’exposition, l’artiste va à l’encontre des stéréotypes et représente l’émancipation du corps et de la sexualité de la femme. Elle montre des femmes nues, se touchant, s’embrassant.
Avec la multiplication des couleurs utilisées pour ses borderies, Ghada Amer veut « rappeler la peinture de laquelle les femmes sont effacées », affirme-t-elle.
Liens utiles et informations pratiques :
L’actualité des expositions dans notre rubrique
Le site du Mucem
Au Mucem – Fort Saint-Jean, bâtiment Georges Henri Rivière et jardin des migrations :
Du 2 décembre au 16 avril 2023 (320 m²)
« Ghada Amer, Orient – الشرق – الغرب – Occident »Au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur :
Du 2 décembre 2022 jusqu’au 26 février 2023 (plateau du 1er étage – 280 m²)
« Ghada Amer, Witches and Bitches »À la chapelle du Centre de la Vieille Charité :
Du 2 décembre 2022 au 16 avril 2023
« Ghada Amer, Sculpteure »