Il aurait pu aisément embrasser une carrière politique. Économiste, énarque et ancien diplômé d’Aix-Marseille Université (Amu), il aurait pu siéger à l’Assemblée nationale. Qui sait ? Il aurait pu. Il aurait même pu continuer à atteindre des podiums internationaux avec sa ceinture noire de judoka. Mais… Ce n’est ni la voie des ministères que Jean-Baptiste Jaussaud a décidé de suivre, ni celle des tatamis. Homme d’actions, au caractère bien trempé, son appétit pour l’entreprenariat a été bien plus fort que son goût pour « faire » de la politique. Une ardente passion qu’il a décidé d’assouvir non pas dans la capitale mais dans la cité phocéenne. Sa ville natale. Là où sont ancrées ses racines et où continue de s’écrire son histoire. Eh oui, même si son cœur vibre autant pour le football américain que pour le ballon rond, Jean-Baptiste Jaussaud est “fier d’être Marseillais”. Montrer qu’à Marseille rien n’est impossible, mettre en lumière le savoir-faire, et pas n’importe lequel, c’est dans cet esprit que le jeune homme a œuvré ces dernières années, pour faire rayonner un fleuron de Provence : le savon de Marseille. Et comme il aime le dire « un des symboles et des icônes de l’art de vivre en Provence. »
« Le savon de Marseille, c’est une cause pas seulement un produit »
À la tête d’une société spécialisée dans les produits locaux provençaux (savon de Marseille, huile d’olive, parfum de Grasse…) la Compagnie générale des savonneries et des huileries (CGSH) qui possède un portefeuille de marques centenaires et emblématiques au sein de l’économie locale, Jean-Baptiste Jaussaud s’est lancé il y a quelques mois dans une nouvelle aventure. Un nouveau défi, parce que pour lui, le savon de Marseille « c’est une cause, pas seulement un produit. C’est un sujet sur lequel on ne parle jamais de Marseille en mal, parce que ce n’est pas possible. » Le nom de ce projet tient en trois syllabes : MuSaMa. Tout simplement, le musée du savon de Marseille. « On voulait un mot facile à prononcer dans le monde entier, musée du savon de Marseille quand tu es Chinois ou Américain c’est compliqué. MuSaMa ça aussi un petit cachet Mucem, MoMa… qui me plaisait parce qu’il faut être ambitieux. »
Du toit qui s’effondre au bâtiment Haussmanien
Une ambition qui se traduit jusqu’au site d’implantation. C’est en plein cœur de Marseille que le MuSaMa va ouvrir ses portes, au 1 rue Henri-Fiocca (1er arr.). Une adresse prestigieuse loin de celle des débuts. Là où tout a commencé ! Dans le 15e arrondissement de Marseille, quand Jean-Baptiste Jaussaud décide de racheter la marque La Grande Savonnerie. Dans les années soixante, La Grande Savonnerie, c’était l’usine mythique Fournier-Ferrier, détruite pour laisser place à la cité Félix-Pyat. « Nous avons racheté la marque La Grande Savonnerie, qui tombait en désuétude. La marque a été créée en 1881 mais nous sommes repartis de zéro, il y a trois ans » ; dans le 15 e arrondissement d’abord. « Malheureusement, le toit du bâtiment s’effondrait donc nous sommes temporairement à Meyrargues pour la fabrication.»
Et en trois ans, le projet du MuSaMa a eu le temps de mûrir. Il est né d’une réelle volonté de défendre un patrimoine, préserver un produit autant connu, reconnu que méconnu. Connu internationalement, c’est incontestable. Reconnu pour son histoire qui remonte au Moyen-Âge, le nom savon de Marseille s’associe aussi à l’authenticité et à sa vertu “double éco”, économique et écologique. Méconnu, car la grande majorité des consommateurs ont du mal à le différencier de ses contrefaçons très présentes sur le marché local, national et international. « L’absence de protection et de marque forte défendant le produit crée une défiance des consommateurs. D’ailleurs, 95% des savons vendus dans le monde avec la mention savon de Marseille sont fabriqués en Turquie ou en Chine. Le risque est de voir cette défiance devenir un détournement du produit et de voir le savon de Marseille authentique et respectueux de ses traditions disparaître. »
Une seule et unique recette du savon de Marseille
Glisser dans l’oubli, le jeune entrepreneur ne pouvait s’y résoudre. D’où l’urgence d’agir qui se concrétise avec la naissance de ce musée, dont l’architecture a été signée par le cabinet Carta. Passionné par le savon de Marseille et son histoire, Richard Carta est d’ailleurs l’auteur d’un roman mettant en scène un maître savonnier. Il était donc tout désigné pour mener ce projet d’envergure : 340 m² de musée et environ 60 m² de boutique. Un espace où d’autres confrères savonniers auront également leur place, à une condition. « Qu’ils respectent les trois critères de fabrication du vrai savon de Marseille. » A ce titre, une mise au point s’impose : C’est au 72 rue Sainte que la recette du savon de Marseille a été inventée, par François Merklen, grand chimiste de Jules-Charles Roux. Une seule et unique recette : 72% d’huile végétale, donc exit toute graisse animale et par extension tous les autres allergènes (colorants, parfums…), le reste de la composition étant de la soude et de l’eau.
Combien de visiteurs plongeront dans la salle de bain du futur ?
Le MuSaMa, c’est aussi un investissement total de 600 000 euros avec une implantation stratégique. À quelques pas du Vieux-Port, dans le quartier historique qui abrite déjà le musée d’histoire de Marseille et le musée de la marine et de l’économie ; sur le plus vieil axe de Marseille (la via romana). Une locomotive sur laquelle compte Jean-Baptiste pour booster son nouveau-né, puisque le musée d’histoire de Marseille accueille, à lui seul, déjà 80 000 visiteurs par an. Un chiffre qu’il espère dépasser en cinq ans, en comptant sur ce potentiel de visiteurs. « On attend sur la première année 40 000 visiteurs, on espère 60 000 sur 3 ans et, sur 5 ans, arriver à 100 000. Sur un business plan réaliste. » Et à six mois de l’ouverture, 6 000 billets ont déjà été vendus, entre autres, « grâce à la confiance des professionnels du tourisme. » 12 euros l’entrée pour l’exposition permanente – qui a pu être mise en place grâce au Conservatoire national du savon de Marseille, que Jean-Baptiste préside – ainsi que pour une des deux expositions temporaires et pour l’atelier où l’on se transforme en maître savonnier.
Si l’exposition permanente rassemble tous les objets relatifs au patrimoine du savon de Marseille, la première exposition temporaire va faire découvrir au visiteur l’univers du savon de Marseille, grâce aux nouvelles technologies. Maquettes en impression 3D, parcours en réalité virtuelle, casques, vidéos, effets spéciaux… : 1 000 ans d’histoire sont ainsi racontés et même plus, vécus. Et c’est dans la salle de bain du futur que les visiteurs pourront plonger dès l’ouverture prévue au printemps 2017. Faire couler le bain en domotique, changer la décoration de la salle de bain pour atterrir dans un bain romain grâce à la réalité augmentée ou encore dire merci à l’humanoïde qui nous apporte la serviette… Un monde à part où le savon de Marseille reste au bord de la baignoire et ramène inévitablement à la tradition. Une expérience unique, ludique et interactive dans un écrin où tradition et modernité se tutoient au service de la promotion et de la sauvegarde d’un patrimoine marseillais, provençal et français. Une bulle de technologies au service d’un savoir-faire ancestral.
Mission Japon ou quand le MuSaMa s’exporte !
Du 4 au 10 décembre une délégation de la Ville et de chefs d’entreprises marseillais de différents secteurs d’activités se rend au Japon, à Tokyo, Kobé et Osaka. Parmi eux, Jean-Baptiste Jaussaud qui part avec deux objectifs. Promouvoir l’axe industriel pour exporter le savon de Marseille. « On va rencontrer des importateurs pour vendre du savon de Marseille au Japon.» L’autre axe, la filière tourisme : « Promouvoir le MuSaMa. On va rencontrer 80 professionnels du tourisme pour lesquels je vais faire une conférence sur le savon de Marseille et le MuSaMa, avec pour objectif de leur vendre des voyages, de les faire venir, et d’être un portail sur la destination Marseille.»