Les Rencontres Méditerranéennes ont organisé une grande conférence sur l’insertion des migrants par le travail en France dans l’enceinte du Palais de la Bourse le 22 septembre. Les différents intervenants révèlent des difficultés propres à notre pays qui délivre peu de titres de travail aux étrangers. Des freins sociaux en filigrane, comme le logement ou la baisse du travail ouvrier, enraille la machine de l’intégration.
« En France il y a environ 2,7 millions de travailleurs immigrés qui représentent 10% de la population qui travaille », explique Christian Leblanc, bénévole à la Cimade, une association de défense des droits des migrants. Les personnes immigrées représentent entre 11 et 12% de la population française. Pourtant en 2022, 50 000 titres de travail ont été délivrés par l’État. « Les entreprises réclament plus de titre de séjour pour raison professionnelle car elles n’arrivent pas à recruter. Ce n’est pas nouveau. Je rappelle que l’automobile et le BTP se sont conduits grâce aux Italiens et aux Espagnols. La santé, la propreté… beaucoup de secteurs l’ont fait », rappelle Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail (2017-2020).
Les lenteurs administratives
Dans les années 1970, la France a en effet bénéficié de l’arrivée de plusieurs vagues migratoires pour accompagner ses industries florissantes. Mais à partir des années 2000, l’économie français se caractérise par « la perte d’une partie des emplois de basse qualification qui ont été pendant longtemps la porte d’entrée pour l’intégration sociale », soutient Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Pour ce spécialiste, il est nécessaire de « continuer la régularisation par le travail » dans certains secteurs en tension.
La « lente » régularisation est pointée par les chefs d’entreprises présents autour de la table. « Le premier frein à l’embauche c’est la situation irrégulière des personnes immigrées. On se bat contre le travail illégal et donc on ne peut pas recruter une personne qui n’a pas de carte de séjour », admet Vincent Bortoli, le directeur régional du bâtiment chez Vinci.
Muriel Pénicaud affirme également que 17% des travailleurs dans la restauration sont des travailleurs sans papier. « Ils sont tous déclarés c’est-à-dire qu’ils payent des cotisations mais ils n’ont pas de titre de séjour. Il y a donc une contradiction. Ou ils sont souhaités ou ils ne le sont pas. Ça ne peut pas être à moitié… », éclaire l’ancienne ministre.
Elle révèle également que le secteur recherche 350 000 salariés comme lui a précisé le chef renommé Thierry Marx qui s’engage pour former des jeunes aux métiers de bouche sans requis de diplôme. Au nom des patrons du BTP, Vincent Bortoli affirme : « Nous on s’en fiche d’où viennent les gens, ce qui compte c’est de répondre à nos besoins. On veut des gens motivés et en capacité d’apprendre. »
La difficulté de former…
Le parcours migratoire est un chemin encore plus sinueux pour les personnes qui ne parlent pas la langue et donc qui auraient des difficultés à se former. « Près de 40% des demandeurs d’asile sont à un niveau de formation ne dépasse pas la 4e ou la 3e et plus de 10% sont non-lecteurs et non-scripteurs. L’effort de l’État est constant pour augmenter leur employabilité. La difficulté c’est le temps pour acquérir ces formations. », précise Didier Leschi.
Éric Bobet, le patron d’Aidadomi, une entreprise d’aide à domicile, témoigne également que même si les personnes sont formées en France, elles sont inemployables si elles n’ont pas leur titre de séjour. « Nous avions deux apprentis en master que nous voulions recruter, mais quand on a voulu signer le contrat, on a découvert qu’ils n’avaient pas de titre de séjour », déplore le dirigeant.
…et de loger
L’autre difficulté, permettant de lever les freins à l’emploi, réside dans la capacité d’offrir un logement aux personnes étrangères. « Nous sommes confrontés aux difficultés sociales globales : là où il y a du travail, il n’y a pas de logement. Ceux qui acceptent un travail, acceptent des conditions de logement qui dégradent ce que nous considérons être la vie bonne. C’est le développement des squats, du sur-logement… », explique Didier Leschi.
Car en effet les personnes immigrées qui travaillent ont de faibles revenus : 35% sont considérées sous le seuil de pauvreté en France (alors qu’il est de 7% au global) et leurs revenus sont en moyenne inférieurs de 25% pour le même travail. Ils nécessitent donc d’être installés dans des logements dont le loyer est encadré par l’État. « Je rappelle qu’un ménage algérien ou marocain sur deux vit dans un logement social, et c’est 60% des ménages subsaharien. C’est l’effort constant de l’État pour trouver un accès au logement et à l’emploi », martèle le directeur de l’OFII. Son institution dispose d’un parc hôtelier de 110 000 places « en constante augmentation » années après années.
Créer des conditions confortables d’insertion au sein des entreprises
En plus des freins liés à la langue et à la formation, Pâquerette Demotes-Mainard, la directrice de l’association Acta Vista (groupe SOS) soulève les difficultés psychologiques des personnes « car ils ont eu un parcours très dur dont ils parlent peu et parfois on est un peu démunis vis-à-vis de leur détresse, de blessures de guerre, la perte de proches… »
Malgré ces difficultés systémiques, les entreprises ont une responsabilité à jouer dans l’intégration selon la représentante d’Acta Vista qui emploie des personnes en situation d’exclusion pour restaurer le patrimoine. « Il est important de leur donner de belles tâches, de beaux monuments à restaurer, pour leur redonner confiance en eux », explique Pâquerette Demotes-Mainard.
Le patron du BTP, Vincent Bortoli, livre également sa vision de l’accompagnement au sein d’une entreprise pour une intégration réussie. « Il faut un accompagnement individualisé dans l’entreprise avec du tutorat et l’implication des collaborateurs, l’aide des associations spécialistes », plaide-t-il.
Pour Muriel Pénicaud, cet accueil sera nécessaire pour faire face aux grandes vagues « qui enflent et vont faire un véritable tsunami du travail » : la transition écologique, l’intelligence artificielle, le rapport au travail et la démographie. « Mais comme on est encore mal à l’aise sur ce qu’on fait, de façon générale on n’est pas très bons dans l’accueil et l’intégration. Comme si rendre des situations difficiles allait décourager les gens, c’est absurde… On ne peut pas accueillir tout le monde mais il faut améliorer la reconnaissance. »
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